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Les revenus du tourisme ne peuvent pas compenser les violations des droits du parc national de Kahuzi-Biega

Par John Ciza, Francine Bintu, Thank God Munguakonkwa et Alain Bisimwa, FCPEEP-RDC 

Dans les années 1960 et 1970, environ 6000 Pygmées autochtones ont été violemment expulsés du Parc National de Kahuzi-Biega au Sud-Kivu, dans l’est de la RDC. Sans titres fonciers légaux et au mépris total de leurs droits coutumiers sur leurs terres ancestrales, les communautés autochtones qui résident aujourd’hui en marge du parc vivent dans la pauvreté et sont criminalisées par les autorités du parc et l’armée de la RDC. 

La RDC n’a pas délimité les terres et territoires des peuples autochtones, et le droit congolais ne contient aucun mécanisme garantissant leur consentement libre, préalable et éclairé aux décisions qui les concernent. Des aires protégées et des concessions sont donc établies sur leurs terres et territoires sans les consulter et sans leur verser la moindre compensation. Les terres de ces communautés sont souvent identifiées comme inoccupées et classées comme “vacantes”, ce qui signifie que l’État peut en faire ce qu’il veut. 

C’est le cas du parc national de Kahuzi-Biega, créé dans les années 1950, qui fait partie des cinq sites [1] du patrimoine mondial de la RDC. Depuis 1997, il figure également sur la liste du patrimoine mondial en péril de l’UNESCO. Les 6 000 km2 du parc présentent une grande biodiversité, mais l’espèce la plus rare et la plus recherchée est le gorille de Grauer (Gorilla beringei graueri), qui constitue la principale attraction du parc.

Les Pygmées ont été expulsés du parc sans compensation, et ceux qui ont résisté ont perdu la vie. Les communautés ont été éloignées par les autorités par divers moyens coercitifs, par exemple on a dit à certains que s’ils ne partaient pas volontairement, ils seraient massacrés par les groupes rebelles présents dans la région. La conséquence directe de l’application stricte des règles du parc est que les populations locales ont dû accéder à ses ressources en secret, ce qui a provoqué de nouveaux conflits et contribué à la dégradation de l’environnement.

Des affrontements armés entre Pygmées et gardes du Parc sont en cours, faisant des victimes des deux côtés. En 2017, un père et son fils ont été abattus pour avoir ramassé des herbes médicinales dans les limites du Parc, le fils a succombé. En 2018, 45 maisons ont été incendiées afin de forcer les agriculteurs à quitter une zone de couloir reliant deux zones du parc. Et en 2020, un tribunal militaire fictif a condamné six hommes et deux femmes pygmées à 15 ans et 1 an de prison respectivement, pour avoir pratiqué l’agriculture sur leurs terres ancestrales. 

Des décennies d’insécurité foncière, d’accès restreint aux ressources forestières et de manque de terres pour cultiver ont également conduit les communautés à devenir économiquement dépendantes du tourisme lié au parc. Avant la pandémie, un grand nombre d’hommes, de femmes, de filles et de garçons pygmées autochtones vivant en bordure du parc survivaient grâce aux revenus des visiteurs nationaux et internationaux du parc, par exemple en vendant des produits agricoles et artisanaux aux touristes. Ces activités vitales génératrices de revenus ont eu un effet d’entraînement, améliorant les conditions de vie des ménages, créant des emplois et contribuant à éradiquer la pauvreté. Elles ont également contribué à l’égalité des sexes en offrant aux femmes des moyens de subsistance qui ont renforcé leur pouvoir au sein de la communauté. Cependant, les restrictions de voyage dues à la pandémie ont privé de nombreux ménages de leurs moyens de survie économique et ont montré qu’une dépendance économique excessive à l’égard du tourisme de parc n’est pas une option résiliente pour les communautés autochtones. 

Par ses avantages économiques directs, le tourisme peut contribuer efficacement à la lutte contre la pauvreté en RDC, notamment en fournissant un marché pour l’artisanat et le commerce local. Il peut également contribuer à la protection des espaces naturels et des sites historiques, ainsi qu’à la valorisation des cultures locales. Elle peut contribuer à la formation des jeunes pour qu’ils puissent trouver les emplois dont ils ont besoin localement, et encourager le développement d’infrastructures qui peuvent bénéficier aux populations autochtones, comme les stations d’épuration des eaux usées et les réseaux de distribution d’eau et d’énergie, et donc contribuer à l’amélioration du niveau de vie des communautés rurales. [2]

Cependant, pour qu’il puisse remplir ce rôle dans le Parc National de Kahuzi-Biega et ses environs, les populations autochtones doivent avoir un accès plus important à la propriété foncière, et des mesures doivent être prises pour garantir la consultation et la participation effectives des Pygmées dans la prise de décision et dans la gestion des terres autochtones. Il est également nécessaire pour le gouvernement et les autorités de travailler avec les communautés pygmées expulsées du parc dans le cadre du processus de médiation et de réconciliation, notamment dans le contexte actuel de conflit. 

Dans le même temps, les peuples autochtones doivent poursuivre et renforcer leurs propres efforts et initiatives pour sauvegarder leurs droits à la terre et aux ressources. Cela inclut la cartographie de leurs territoires ancestraux, qui leur permet d’indiquer avec précision leur propriété foncière traditionnelle et leurs pratiques d’utilisation des terres, et constitue une étape importante vers la reconnaissance et la protection juridique de leurs droits. 

Enfin, la marginalisation de la population autochtone pygmée de la RDC est une réalité que les gouvernants, la société civile congolaise et les acteurs à tous les niveaux doivent s’efforcer de surmonter si l’on veut améliorer la vie et les moyens de subsistance des Pygmées expulsés du parc national de Kahuzi-Biega, et éviter que les abus et les traumatismes qu’ils ont subis ne se reproduisent ailleurs.

[1] Institut Congolais pour la Conservation de la Nature, Plan général de gestion du Parc National de Kahuzi-Biega (2009-2019), Kinshasa, 2009, p.6.

[2] Gérard Ruiz, Le tourisme durable : un nouveau modèle de développement touristique ?, IRIS éditions : Revue internationale et stratégique, 2013/2 n° 90, p.101, disponible sur : https://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2013-2-page-97.htm

Lire la publication complète en anglais ici.

10 juin, 2021
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