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La fin des fausses solutions : Vers des solutions au changement climatique fondées sur les droits et la transformation du genre

Indigenious women carrying fodder from the forest in Nepal

Les fausses solutions au changement climatique sont de plus en plus dénoncées et rejetées par les communautés du monde entier. De vraies solutions, fondées sur les droits et transformatrices de genre, existent, et elles sont le seul moyen d’empêcher une augmentation catastrophique de la température mondiale. Les décideurs politiques en matière de forêts et de changement climatique doivent tenir compte de ces solutions réelles.

Vous en saurez plus en lisant le dernier numéro de Forest Cover.

Forest Cover 68 fournit un contexte sur le difficile chemin à parcourir pour atteindre la justice climatique et le contexte dans lequel les organisations membres du GFC voient la COP27. Il présente des articles sur les impacts des fausses solutions à la crise climatique en Ouganda, en Colombie, au Népal et en Afrique du Sud. Un autre article jette un regard critique sur les rapports du GIEC sur l’adaptation et l’atténuation, et la nécessité pour ceux-ci d’aller au-delà de la comptabilité carbone et de reconnaître les connaissances traditionnelles, la sagesse et le rôle des peuples autochtones, des femmes et des communautés locales.

FC68 décrit également des points de vue sur les fausses solutions provenant du monde entier et issus d’une série d’ateliers que le GFC a menés cette année, soulignant la façon dont les fausses solutions renforcent les dynamiques de pouvoir existantes, et ce que les gens font à ce sujet. Téléchargez ou lisez ci-dessous !

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La fin des fausses solutions : apporter des réponses climatiques fondées sur les droits et transformatrices en matière de genre

Couvert Forestier 68

 

Table des Matières

  • Colonialisme climatique et fausses solutions : un chemin difficile vers la justice climatique, Par Souparna Lahiri, Maureen Santos, et Kwami Kpondzo
  • Un regard critique sur les rapports du GIEC, Par Coraina de la Plaza et Souparna Lahiri
  • Les risques et les potentiels de l’Initiative pour la restauration des paysages forestiers africains (AFR100), Par Philip Owen
  • « Trees for Global Benefit » en Ouganda : une étude de cas sur les échecs de la compensation des émissions de carbone, Par D.K. et Marvin Kamukama, Ouganda
  • L’industrialisation de la production de bioénergie issue des forêts au Népal et son impact sur les femmes et les autres populations dépendantes de la forêt Par Bhola Bhattarai, NAFAN, Népal
  • La terre n’est pas à vendre, l’air n’est pas à vendre : l’initiative REDD+ en Colombie, Par Andrea Echeverri Sierra
  • La résistance mondiale aux fausses solutions, Par Megan Morrissey, Global Forest Coalition

 

Colonialisme climatique et fausses solutions : un chemin difficile vers la justice climatique

Par Souparna Lahiri (GFC, Inde), en collaboration avec Maureen Santos (FASE, Brésil) et Kwami Kpondzo (GFC, Togo)

Le numéro 68 de Couvert Forestier expose la manière dont les nations développées et les entreprises du Nord se déchargent de la responsabilité de réduire leurs émissions sur les communautés vulnérables et leurs territoires, en utilisant la crise climatique comme un moyen de faire du profit et en envahissant le Sud Global avec leurs fausses solutions, dont les conséquences sont dévastatrices pour les communautés qui sont en première ligne. 

Les vagues de chaleur intenses, les sécheresses, les pluies et les inondations incessantes, les typhons destructeurs et les incendies de forêt sont des signes indéniables que notre planète est proche de franchir son point de basculement : une augmentation de la température mondiale de 1,5°C, le code rouge pour l’humanité et les êtres vivants sur la Terre Mère. Nous sommes déjà témoins et victimes des effets dévastateurs et irréversibles d’une augmentation de température comprise entre 0,8°C et 1,1°C.

Les mesures nécessaires pour y remédier sont très claires : nous devons réduire radicalement les émissions. Les émissions de combustibles fossiles doivent connaître un pic d’ici 2025, et le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a recommandé une réduction de 43 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030. Au regard des promesses et des engagements pris par les pays dans le cadre de leurs contributions déterminées au niveau national (CDN), nous allons non seulement dépasser le seuil de 1,5°C, mais les tendances actuelles des émissions laissent présager une augmentation de plus de 3°C au cours de ce siècle.

Alors que les pays développés, apparemment peu soucieux de cette catastrophe et historiquement responsables de la crise, poursuivent leurs activités comme si de rien n’était, les pays en développement subissent de plein fouet les effets du changement climatique, auquel ils ont le moins contribué. Les communautés qui sont en première ligne – Peuples Autochtones et communautés locales, femmes, enfants, jeunes, agriculteurs et paysans – se battent au quotidien pour survivre et protéger leurs territoires, leur souveraineté alimentaire et leurs moyens de subsistance. Les femmes, les enfants, les personnes âgées et les personnes de genres divers sont affectés de manière disproportionnée par ce scénario mondial d’inégalité et de colonialisme climatique.  

Depuis plus de dix ans, les pays développés refusent de mettre en œuvre les engagements pris en 2009, à savoir fournir 100 milliards de dollars par an pour l’adaptation au changement climatique et l’atténuation de ses effets, sans parler des réparations que réclament les pays en développement et les mouvements de justice climatique. Au lieu de cela, les pays et les entreprises du Nord global détournent systématiquement la politique climatique mondiale et les accords multilatéraux, véhiculant une narrative et un discours climatique fallacieux, qui commence par le déni du changement climatique pour ensuite servir de fausses solutions. Les entreprises ont accaparé la politique climatique mondiale. Avec à leur tête les entreprises de combustibles fossiles, celles de l’agroindustrie ainsi que leurs investisseurs, et les géants de la technologie, elles déploient tout leur arsenal pour empêcher les changements systémiques et structurels nécessaires pour surmonter la crise climatique. Ces entreprises étouffent les voix du Sud et rejettent le fardeau de la réduction des émissions sur les communautés vulnérables et leurs territoires – les terres autochtones, les forêts, les pâturages, les terres agricoles fertiles et les biens communs, qui sont le fondement de la vie des communautés du Sud global.

Lors de la COP26 à Glasgow, alors que le monde était ébranlé par la pandémie de la COVID-19, le Nord global a non seulement refusé de contribuer et de soutenir les appels à la création d’un mécanisme dédié au financement des pertes et dommages causés par le changement climatique, mais a également rejeté catégoriquement l’arrêt immédiat de la production de combustibles fossiles, y compris la combustion du charbon. D’autre part, la présidence britannique, soutenue par ces mêmes entreprises de combustibles fossiles et par les apôtres du carbone, a imposé un accord visant à rendre opérationnel un marché international du carbone et à diffuser de fausses solutions qui ne sont pas fondées sur la science, ne permettront pas de réduire les émissions et aggraveront davantage la crise climatique.

Pourquoi ? Parce que les accords conclus à Glasgow concernant les solutions basées sur le marché, en vertu des articles 6.2 et 6.4 de l’Accord de Paris, ne prévoient pas de réelle atténuation du changement climatique au travers de la coopération internationale. Ils prêchent des fausses solutions où les plus grands émetteurs peuvent en fait acheter des crédits carbone issus des actions climatiques et de la résilience des pays vulnérables et de leurs communautés dans le Sud global, pour compenser leurs continuelles émissions. En clair, les pays du Nord global seront en mesure de compenser leur surconsommation, leur production excessive et les émissions causées par des économies basées sur la combustion, en compensant et en finançant des actions climatiques à bas prix dans le Sud.

L’article 6.2 fait référence au commerce de résultats d’atténuation transférés au niveau international (ITMO) entre deux pays, sans mentionner le respect de l’intégrité de l’environnement, les obligations en matière de droits humains ou toute norme internationale qui réglemente ce type d’échange. L’article 6.4, qui faisait à l’origine référence à un mécanisme de développement durable, a été transformé en un nouvel avatar du tristement célèbre mécanisme de développement propre (MDP), qui permet la commercialisation des forêts et autres écosystèmes sur le marché mondial. Ces deux articles défient l’esprit même de l’Accord de Paris, déjà faible.

Comment cela se traduit-il ? Les entreprises de combustibles fossiles achètent (lire : s’emparent) de millions d’hectares de terres en Afrique, en Asie et en Amérique du Sud, sous prétexte de reforestation ou de réduction de la déforestation. Ce qu’elles font en réalité, c’est investir dans des plantations d’arbres en monoculture commerciale et dans d’autres projets REDD+ et de compensation du carbone forestier, en les dénaturant et en revendiquant abusivement des droits relatifs au carbone séquestré ou aux « puits de carbone améliorés ». Ainsi, elles prétendent faussement être sur la voie de la décarbonisation de leurs activités et de la réalisation du zéro émissions nettes (et non zéro émissions réelles). Les preuves scientifiques montrent qu’il s’agit d’une affirmation totalement fausse, qui place au même niveau l’assimilation du carbone par des réservoirs géologiques et l’assimilation par des réservoirs biologiques. Les conséquences et impacts sur le climat se sont pas les mêmes selon qu’il s’agit de réduction des émissions ou bien d’absorption et retrait des émissions.

Ces fausses solutions se cristallisent rapidement en un discours promouvant le colonialisme climatique, qui permet aux gouvernements et aux entreprises du Nord de pénétrer et de piller les écosystèmes, les habitats et les territoires inviolés et intacts des Peuples Autochtones et des communautés forestières. Comme le souligne l’article de ce numéro qui examine les rapports du GIEC sur l’atténuation et l’adaptation, la modélisation actuelle du climat ne dispose toujours pas d’un cadre qui reconnaisse le savoir traditionnel, la sagesse et le rôle des Peuples Autochtones et des communautés locales, ni leurs droits et pratiques en matière de conservation et de protection de la nature et des écosystèmes. Cela a inévitablement conduit à des conflits et en provoquera d’autres, violant les droits des Peuples Autochtones et des communautés locales, alimentant la violence à l’encontre des femmes et des enfants, et transformant les ressources naturelles en produits vendus sur les marchés mondiaux. Cette situation accentue tous les traits dominants du colonialisme, qui détruit la cohésion sociale et crée des conflits et des divisions entre les communautés, les races, les couleurs et les sexes. 

Les fausses actions climatiques, basées sur les compensations et le commerce du carbone – comme le montrent les articles de ce numéro qui abordent des projets en Colombie et en Ouganda – sont non seulement l’antithèse d’une véritable solution au problème climatique et d’une relation symbiotique entre les personnes, les communautés et la nature, mais elles ignorent également l’utilisation des connaissances traditionnelles dans la conservation et la protection de la nature et de ses écosystèmes. Elles sapent le rôle des Peuples Autochtones et des communautés locales, en particulier des femmes, ainsi que leurs connaissances, leur sagesse et leurs pratiques traditionnelles qui, depuis des siècles, permettent à cette planète de rester habitable et vivable. Elles remettent en question la notion même de bien-être humain.

Cependant, la progression du colonialisme climatique par le biais des fausses solutions n’est pas sans rencontrer de résistance. Les mouvements pour la justice climatique demandent depuis longtemps des réparations face à la responsabilité historique du Nord global dans le déclenchement de la crise climatique, et ces voix se font de plus en plus entendre. Le Sud global appelle le Nord à prendre ses responsabilités et à apporter sa juste contribution à la reconstruction des communautés qui subissent de plein fouet les pertes et les dommages.

Alors que les effets du changement climatique s’aggravent et que les conséquences des fausses solutions sont exposées, les luttes des communautés situées en première ligne se renforcent et s’affinent. Elles ne se contentent pas de lutter contre les fausses solutions et leurs impacts ; elles deviennent également plus résilientes et mettent en place leurs propres solutions climatiques – les vraies solutions.

Dans ce numéro 68 de Couvert Forestier, nous dévoilons certaines des fausses solutions apportées au changement climatique, telles que la compensation carbone et les programmes volontaires REDD+, le reboisement par monoculture, et leurs impacts sur les communautés, les femmes et leurs familles, ainsi que sur leurs terres. Nous mettons également en lumière la façon dont des politiques de développement irrationnelles peuvent conduire à des « solutions » climatiques vouées à l’échec, ainsi qu’à l’incapacité, au niveau international, d’adopter une approche de l’adaptation au changement climatique et de l’atténuation de ses effets qui tiennent compte des droits, de la dimension de genre et non axée sur le marché, en plus de reconnaître les savoirs traditionnels, la sagesse et le rôle des Peuples Autochtones et des communautés locales.

Un rapport ougandais révèle comment le projet « Trees for Global Benefit » (des arbres pour le profit de tous) est en train de provoquer l’insécurité alimentaire des communautés qui ont cédé des terres rares, pour des périodes allant jusqu’à 25 ans, afin d’y faire pousser des arbres pour séquestrer le carbone vendu sous forme de crédits à des entreprises, principalement européennes. Le projet ne propose aucune mesure contre la pauvreté ni pour l’amélioration du régime foncier ou de l’accès des femmes à la terre et aux ressources, et soumet les communautés à des contrats unilatéraux et inéquitables.

Du point de vue de l’Amérique latine, un article sur les projets REDD+ en Colombie remet également en question la fausse notion de réduction des émissions par le biais de projets de compensation des émissions de carbone. Il soulève d’importantes questions, liées au manque d’information et de connaissance de ces programmes au sein des communautés affectées, et au peu qu’elles reçoivent du financement international de ces projets. Par ailleurs, les projets REDD+ aggravent les injustices tout en permettant aux pollueurs de poursuivre leurs activités destructrices de la planète.

Un rapport du Népal examine comment un petit pays en développement (le Népal est dans la catégorie des pays les moins avancés) peut devenir la proie des fausses solutions dans ses efforts pour remplacer les combustibles fossiles et fournir à ses citoyens un accès à l’énergie. Le gouvernement cherche à industrialiser la production de bioénergie en brûlant les forêts et la biomasse forestière, avec des conséquences graves et à long terme pour les forêts, la biodiversité et les communautés qui dépendent des forêts et des produits ligneux.

Notre article sur l’Afrique du Sud expose les dangers d’une autre initiative climatique majeure, qui a été accaparée par les entreprises et menace d’établir des plantations commerciales d’arbres en monoculture, sous couvert de l’Initiative pour la restauration des forêts africaines (AFR100), censée mettre fin et inverser la tendance à la dégradation des écosystèmes sur le continent. L’article montre que ce sont ces mêmes plantations commerciales qui ont provoqué la dégradation des terres et des sols au cours des 40 dernières années, entraînant des conséquences néfastes pour les communautés locales, en particulier les femmes et les jeunes filles.

Dans un regard critique sur les rapports du GIEC relatifs à l’adaptation et à l’atténuation, nous soutenons que la modélisation du climat continue d’ignorer l’élaboration d’un cadre qui reconnaît le savoir traditionnel, la sagesse et le rôle des Peuples Autochtones et des communautés locales. Nous  affirmons que la science du climat doit adopter une approche fondée sur les droits et tenant compte du genre si nous voulons avoir un quelconque espoir de faire face au changement climatique.

C’est armés de ces connaissances que nous nous préparons à une énième COP. La COP27, qui se tiendra en Égypte, est de plus en plus souvent qualifiée de « COP africaine ». Au cours de l’année écoulée, le continent a subi des inondations dévastatrices en Afrique du Sud, au Mozambique et en Ouganda, qui ont tué des centaines de personnes et en ont déplacé des dizaines de milliers. Dans le même temps, la Corne de l’Afrique connaît sa quatrième année de sécheresse, avec plus de 18 millions de personnes en situation d’insécurité alimentaire.

L’Afrique, qui est responsable de moins de 4 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, a été ravagée par 500 ans de colonialisme, d’extractivisme, de dette et de dépossession. Son modèle de développement a souvent été imposé depuis le Nord global et les sociétés transnationales. Le colonialisme exercé par l’industrie des combustibles fossiles au moyen de l’extraction du charbon, du pétrole et du gaz a dévasté les communautés, infligé des violations des droits humains et détruit les écosystèmes locaux, tout en alimentant le racisme et la violence de genre. 

Alors que les communautés du Gabon, du Mozambique, du Nigeria, de la République du Congo, de l’Afrique du Sud, du Soudan et d’autres pays de la région se battent contre les plus grands pollueurs du monde, elles doivent aujourd’hui subir le colonialisme lié au carbone. Tout ce qu’elles avaient conservé, protégé et cultivé pendant des siècles – depuis les forêts, les pâturages, les prairies et les terres agricoles jusqu’aux déserts du Sahel – est colonisé et envahit par la mise en œuvre des fausses solutions climatiques imposées par le Nord global.

Les projets REDD+, marqués par les conflits, les vastes plantations en monoculture au nom de l’AFR100, les plantations d’arbres pour la production de bois et de cultures bioénergétiques qui bénéficient du soutien du Fonds vert pour le climat et de fonds de capital-investissement tels que le Arbaro Fund, les millions d’hectares accaparés par les entreprises de combustibles fossiles pour tenir leurs engagements « net zéro », et la prolifération d’instruments de compensation carbone comme le MDP ; tout cela indique que la voie est ouverte aux fausses solutions. L’annonce récente par le Gabon de l’ouverture de ses forêts au marché volontaire du carbone et de la mobilisation de 90 millions de crédits carbone avant la COP27 montre que les pays développés et leurs alliés industriels conduisent et renforcent en Afrique un modèle de développement qui s’est déjà avéré être un échec, en plus d’être la cause profonde de nombreuses crises, y compris la crise climatique. La nature, les ressources naturelles, les Peuples Autochtones et les communautés locales, les femmes et les paysans, sont sacrifiés sur cet autel.

Mais les peuples d’Afrique, les mouvements pour la justice climatique, les mouvements de femmes et les communautés autochtones ont une vision différente : ils veulent décoloniser l’économie et le modèle de développement. Ils veulent sortir des modèles de croissance économique dominés par le Nord. Et ils réclament des conditions propices pour une transition juste vers les énergies renouvelables, grâce à une élimination progressive et équitable des combustibles fossiles. Leurs priorités immédiates sont la santé publique, la justice économique, la souveraineté alimentaire et l’agroécologie. 

Dans une récente déclaration, le Collectif africain pour la justice climatique a demandé aux pays riches d’honorer leurs dettes climatiques, de remplir leurs obligations en matière de financement climatique, de réduire les émissions à zéro et de mettre fin aux fausses solutions. Les entreprises du Nord utilisent la crise climatique comme un moyen de faire du profit, envahissant le continent africain de fausses solutions et infligeant des conséquences dévastatrices aux communautés qui se trouvent en première ligne.

Les COP sur le climat ont leur propre dynamique : souvent, les questions de politique mondiale et le lobbying des entreprises interfèrent dans les négociations, et il est possible que la COP27 n’y fasse pas exception. Toutefois, en coulisse, ce seront les demandes du mouvement pour la justice climatique qui vont retentir. Sachant que les négociations des Nations unies sur le climat et les autres plateformes multilatérales de l’ONU sont dominées par les pays riches et les entreprises, les COP ne seront peut-être pas le seul centre d’intérêt des militants pour le climat. Toutefois, elles peuvent donner l’élan nécessaire pour mettre sur pied une solidarité et des actions locales, régionales et mondiales qui contraignent à une réforme du système multilatéral afin de répondre à la crise climatique, aux inégalités et à l’injustice, et pour consolider le pouvoir des citoyens en vue d’un véritable changement. Notre rôle est de veiller à ce que le monde ne soit pas aveuglé et trompé par les fausses solutions et les promesses vides annoncées lors de ces événements. Nous avons besoin de vraies actions et de vraies solutions.

Ce numéro de Couvert Forestier révèle l’ampleur des dangers des propositions officielles et corporatives et la nécessité de se tenir informé. Nous devons protéger notre Terre Mère et atteindre la justice et l’équité climatique en défendant les droits de nos communautés, des femmes, des paysans et des travailleurs à choisir et à gérer leurs propres solutions climatiques pour une vraie neutralité carbone.

 

Mettre en avant les vraies solutions climatiques, celles que l’on a devant les yeux et qui pourtant semblent invisibles

Un regard critique sur les rapports du GIEC, depuis une perspective sensible au genre et basée sur les droits

Par Coraina de la Plaza et Souparna Lahiri, Coalition mondiale des forêts 

Comme le montrent les derniers rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) concernant l’adaptation et l’atténuation du changement climatique, la planète se trouve à un point critique. Les niveaux de dioxyde de carbone atmosphérique ont atteint plus de 420 ppm en 2022, dépassant largement les 350 ppm qui étaient généralement considérés comme « sans danger ». Depuis 2000, les niveaux de CO2 augmentent d’environ 20 ppm par décennie, soit dix fois plus vite qu’au cours des 800.000 dernières années, et l’on constate déjà les effets dévastateurs d’une hausse de température de 1,1 °C.

En 2019, environ 34 % du total des émissions nettes de gaz à effet de serre d’origine anthropique provenaient du secteur de l’approvisionnement en énergie, 24 % de l’industrie, 22 % de l’agriculture, de la foresterie et des autres utilisations des terres, 15 % des transports et 6 % des bâtiments. Pour limiter le réchauffement à 1,5°C et éviter les pires impacts climatiques, les émissions mondiales de gaz à effet de serre doivent atteindre leur pic avant 2025 puis être réduites de 43% d’ici 2030.

Les rapports du GIEC nous aident à comprendre les différentes dimensions du changement climatique et à contextualiser les nombreux défis interconnectés auxquels nous faisons face. Et s’il est urgent d’agir en faveur du climat, il est tout aussi primordial de comprendre le contexte de cette action immédiate. Le changement climatique découle des inégalités croissantes et de l’accumulation de richesses que le capitalisme encourage et dont il se nourrit. Alors que les riches continuent à surconsommer et à s’emparer de ressources qui se raréfient, contribuant ainsi à l’augmentation des émissions, les groupes les plus vulnérables du monde, comme les Peuples Autochtones, les femmes dans toutes leurs diversités et les communautés de première ligne subissent les pires conséquences de cette crise.

Nous avons besoin de transformations rapides de tous les systèmes. Pourtant, les politiques climatiques actuelles, les engagements et les promesses des gouvernements et des entreprises ne nous mèneront pas là où nous devons arriver. 

La prolifération de fausses solutions à la crise climatique

Les fausses solutions, telles que les marchés du carbone et les compensations carbones, les engagements « net zéro », les plantations d’arbres en monoculture à grande échelle, la bioénergie avec capture et stockage du carbone (BECCS) et les systèmes agricoles « intelligents », entre autres, continuent de se multiplier. Non seulement ces fausses solutions lucratives ne parviennent-elles pas à résoudre la crise climatique, mais elles perpétuent et créent également de nouvelles formes d’inégalités, notamment de genre.

Par exemple, le système BECCS repose sur de grandes plantations d’arbres en monoculture, composées d’espèces à croissance rapide et souvent envahissantes, qui entraînent la conversion de terres forestières et non forestières en plantations. Ces plantations sont souvent utilisées dans le cadre de projets de boisement et de reboisement pour la bioénergie, ainsi que pour d’autres industries extractives comme la pâte à papier. Elles entraînent fréquemment une multitude d’impacts négatifs et interconnectés, parmi lesquels on peut mentionner : l’accaparement de terres, la perte de biodiversité et d’habitats pour la faune et la flore sauvages, la réduction de la résilience écologique globale, la perte des médecines et des connaissances traditionnelles, l’augmentation de la charge de travail, des possibilités d’emploi limitées et à court terme, l’empiètement sur d’autres écosystèmes, la pollution des ressources en eau douce due à l’utilisation de produits agrochimiques et l’augmentation des risques d’incendie et de parasites.

Le rapport du GIEC sur l’adaptation reconnaît l’existence de ces impacts et leur accorde souvent un « degré de confiance très élevé ». Il indique notamment que les plantations ou autres conversions de l’utilisation des terres à grande échelle peuvent entraîner une mauvaise adaptation et une mauvaise atténuation, voire des injustices climatiques, car elles ont des impacts disproportionnés sur les groupes marginalisés et vulnérables, notamment les Peuples Autochtones et les femmes. Les impacts genrés à l’intérieur et autour de ces plantations ont également été largement documentés, notamment l’augmentation du harcèlement sexuel et de la violence à l’égard des femmes, les dommages causés à des régimes fonciers déjà précaires, l’insécurité alimentaire, la perte de connaissances traditionnelles et locales uniques, et le renforcement de l’utilisation de la bioénergie avec les impacts nocifs associés sur la santé et la fertilité, ainsi que d’autres problèmes de santé liés à l’utilisation de produits agrochimiques.

Toutefois, malgré tous ces risques et impacts, les modélisations actuelles du GIEC pour limiter l’augmentation de la température mondiale entre 1,5°C et 2°C par rapport aux niveaux préindustriels reposent encore largement sur des interventions massives dans le secteur foncier. Des programmes tels que le système BECCS occupent encore une place bien trop importante dans certains scénarios d’atténuation, bien que le GIEC en reconnaisse les risques potentiels. Cela s’explique en partie par le fait que le cadre de modélisation des trajectoires vers 1,5°C est trop axé sur la seule réduction des émissions. Nous avons besoin de modèles qui permettent de conserver et de renforcer les réservoirs naturels, en priorisant la souveraineté et la sécurité alimentaires et en garantissant les droits et l’accès à la terre des Peuples Autochtones, des communautés locales et des femmes.

De réelles solutions climatiques

De plus en plus de données montrent qu’une grande partie des absorptions de carbone qui sont requises pourraient être réalisées en conservant les réservoirs naturels et en renforçant la résilience des écosystèmes par une meilleure protection de la biodiversité. La restauration de l’intégrité des écosystèmes est fondamentale pour une action climatique solide dans les secteurs fonciers et forestiers et ne doit plus être considérée comme un simple avantage secondaire de cette action. Selon le rapport Missing Pathways to 1.5°C, publié par la Climate Land Ambition and Rights Alliance (CLARA), il est possible de restaurer un quart des forêts naturelles du monde et de les protéger de la même manière que les forêts primaires, afin que la moitié de la couverture forestière mondiale soit constituée d’écosystèmes intacts.

L’amélioration et la protection des écosystèmes terrestres et des réservoirs naturels grâce à une meilleure gouvernance et une meilleure gestion des terres, à des pratiques agricoles transformatrices menées par les Peuples Autochtones, les communautés locales et les femmes représentent un moyen bien plus équitable et rentable de faire face à la crise climatique. Mais surtout, il s’agit d’une approche plus juste et équitable pour atteindre les objectifs d’atténuation du changement climatique, en comparaison avec d’autres mesures de capture et de stockage du carbone telles que le système BECCS.

Les terres des Peuples Autochtones représentent 37% de toutes les terres naturelles restantes sur Terre. Au moins 22 % de tout le carbone stocké dans les forêts tropicales et subtropicales se trouve sur des terres gérées collectivement, dont un tiers dans des zones où les Peuples Autochtones et les communautés locales ne jouissent d’aucune reconnaissance juridique. L’obtention de droits d’occupation collective pour les Peuples Autochtones et les communautés locales permet de réduire les taux de déforestation et de dégradation des sols. Les femmes sont également les leaders traditionnelles de la conservation et de la protection de la biodiversité, ainsi que des fonctions écosystémiques dont dépendent ces communautés. Si la superficie des terres qui appartiennent légalement aux communautés est multipliée par deux, que les forêts primaires dégradées sont protégées et restaurées et que les zones récemment déboisées sont naturellement régénérées, notamment par l’utilisation responsable de forêts gérées pour restaurer la biodiversité et les fonction écosystémiques, alors on pourrait éviter l’émission de l’équivalent de 6,1 Gt de CO2 par an et l’on séquestrerait l’équivalent de 8,7 Gt de CO2 de carbone par an d’ici 2050. Les territoires autochtones d’Amazonie stockent à eux seuls 102 Gt de CO2, soit environ un tiers des réservoirs de carbone se trouvant en surface de la région amazonienne (sur environ 30 % de la surface terrestre).

Les pratiques agroécologiques sont le reflet du fonctionnement des écosystèmes naturels et des aspects essentiels de ces écosystèmes pour leur fonctionnement. Nous disposons désormais de nombreuses preuves de la supériorité des systèmes agroécologiques sur l’agriculture industrielle, ainsi que de leur grande productivité et leur durabilité. En outre, ils créent des moyens de subsistance, donnent aux communautés une plus grande autonomie, favorisent la résilience climatique et apportent de multiples avantages sociaux, culturels et environnementaux. Les femmes jouent également un rôle essentiel dans la conservation des écosystèmes, la gestion des ressources naturelles et les pratiques agricoles durables telles que l’agroécologie. Selon le GIEC, « les approches agroécologiques transformatrices en matière de genre et sensibles à la nutrition renforcent les capacités d’adaptation et permettent des systèmes alimentaires plus résilients, en augmentant le leadership des femmes et leur participation à la prise de décision et à un travail domestique équitable entre les genres [sic] ».

Les femmes sont souvent les gardiennes du savoir et les protectrices de la nature. Par conséquent, elles sont particulièrement touchées par la perte des forêts et de la biodiversité, ainsi que par la dégradation des écosystèmes en général. Cependant, les lois, les restrictions culturelles, le patriarcat, le capitalisme et les structures sociales comme la division sexuelle du travail et les lois et normes coutumières discriminatoires limitent souvent les possibilités dont disposent les femmes pour soutenir l’utilisation durable des ressources foncières et posséder des droits d’occupation. De fait, le rapport du GIEC sur les terres a reconnu la pertinence des droits fonciers octroyés aux femmes et de leur participation à la gouvernance foncière. Pour sa part, le rapport du groupe de travail II du RE6 recommande une approche transformatrice et sensible au genre dans l’élaboration des politiques climatiques afin de réduire les risques et les vulnérabilités climatiques. Dans le même temps, le groupe de travail III du rapport RE6 a établi des preuves solides montrant que l’autonomisation des femmes est bénéfique pour l’atténuation et l’adaptation et qu’elle a une incidence positive sur la politique climatique. Ce sont de bons signaux. Mais pourquoi ces recommandations ne parviennent-elles pas à s’imposer ?

Recentrer les politiques sur les véritables causes de la crise

Les approches sensibles au genre, transformatrices et fondées sur les droits ont jusqu’à présent reçu très peu d’attention de la part des décideurs politiques. Le GIEC devrait leur proposer des stratégies qui intègrent le renforcement socioculturel et intersectoriel des droits fonciers de manière plus complète, qui soient transformatrices en matière de genre et socialement justes. Dans son rapport sur l’adaptation (RE6 GT II), le GIEC a enfin commencé à prendre en compte les principes de justice distributive, de justice procédurale et de reconnaissance, en concluant que la justice climatique est une justice qui lie le développement aux droits humains afin de parvenir à une approche du changement climatique fondée sur les droits.

Son prochain rapport de synthèse RE6 devrait être audacieux et ferme, et présenter un cadre pour l’atténuation du changement climatique qui ne repose pas sur de fausses solutions et qui énonce clairement le rôle essentiel des Peuples Autochtones, des communautés locales et des femmes, ainsi que leurs droits fonciers et leur accès aux terres et aux moyens de subsistance. Sans cela, les décideurs politiques sont condamnés à conduire le monde sur la mauvaise voie.

Le GIEC devrait jouer un rôle déterminant dans l’élaboration d’un consensus politique mondial, fondé sur des données scientifiques, afin d’éliminer progressivement et rapidement les industries extractives et de s’en séparer, de mettre un terme à la déforestation et à la perte de biodiversité, de s’attaquer aux facteurs du changement climatique tels que l’agriculture industrielle et le secteur de l’élevage, et de mettre un terme aux compensations. Un cadre mondial est nécessaire pour de véritables solutions climatiques qui soient transformatrices en matière de genre et gérées par les communautés, basées sur les droits et sur des approches socialement justes. L’élaboration des politiques climatiques doit inclure des mesures socioculturelles et intersectorielles intégrales qui renforcent les droits fonciers et abordent les inégalités, la vulnérabilité, les risques et la résilience climatiques.

Heureusement, des solutions existent et de nombreuses communautés et mouvements sociaux se mobilisent de plus en plus pour défendre leurs droits et préserver les écosystèmes et les ressources naturelles. De nombreux groupes locaux mettent déjà en œuvre de véritables solutions climatiques sensibles au genre et transformatrices en matière de genre, qui mettent l’accent sur la justice environnementale et les droits humains. Ils se battent pour garantir les droits collectifs aux forêts, aux terres et à l’eau pour les Peuples Autochtones, les communautés locales et les femmes, qui sont à la tête de la conservation et de la protection de la biodiversité et des écosystèmes.

Tout cela n’est pas aussi compliqué qu’il n’y paraît. Les solutions ne viendront pas du business as usual, avec plus d’inégalités et de profits, car c’est exactement ce qui nous a mené à ce point de non-retour. Une véritable action en faveur du climat passe par la justice de genre, la justice sociale et la justice climatique. Nous pouvons y parvenir si nous nous concentrons sur les véritables solutions qui existent déjà.

 

Les risques et les potentiels de l’Initiative pour la restauration des paysages forestiers africains (AFR100)

Les plantations commerciales d’arbres sont une cause majeure de la dégradation des terres et n’ont pas leur place dans les efforts de restauration des écosystèmes dégradés

Par Philip Owen, GeaSphere, Afrique du Sud

En Afrique, les plantations commerciales d’arbres sont l’une des principales causes de la dégradation des terres et des conséquences dévastatrices environnementales et socio-économiques qui s’en suivent. C’est pour cette raison que des sonnettes d’alarmes retentissent parmi les communautés et les activistes : les plantations d’arbres en monoculture sont mises de l’avant dans le cadre de l’Initiative pour la restauration des paysages forestiers africains (AFR100), une initiative africaine visant à restaurer 100 millions d’hectares de forêts dégradées d’ici 2030. 

Lancé en 2015 lors de la Conférence de Paris sur les changements climatiques, l’AFR100 vise à mobiliser le soutien des gouvernements nationaux, des partenaires du secteur public et privé, des programmes de développement international et des communautés locales afin de restaurer la productivité des terres déboisées et dégradées pour améliorer les moyens de subsistance sur le continent africain. A ce jour, 32 pays ont promis près de 130 millions d’hectares au projet. 

Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO de son acronyme anglais), jusqu’à 65% des terres fertiles en Afrique sont détériorées et la sécheresse affecte 45% de la superficie continentale. Alors que la tendance générale est à la baisse, la perte nette de forêts continue à augmenter en Afrique, et 4 millions d’hectares de forêts disparaissent annuellement, indique l’Organisation.

Eliminer le dioxyde de carbone de l’atmosphère par le biais de la restauration des forêts et d’autres écosystèmes est vital pour lutter contre la crise climatique, et les initiatives telles AFR100 peuvent jouer un rôle central à cet égard. De nombreux projets associés à AFR100 et à l’élan qu’il a créé apportent des contributions très précieuses à la restauration du paysage. Toutefois, cette initiative n’est pas sans controverses et l’accaparement du programme par les entreprises est une préoccupation croissante : de fait, elle mène à une expansion sans précédent de nouvelles plantations commerciales de bois à travers le continent, soit la même industrie à l’origine de la déforestation et de la dégradation des sols auxquelles l’initiative est censée s’attaquer.

Les communautés africaines sont témoins et victimes directs des effets dévastateurs des plantations d’arbres en monoculture. Dans la province sud-africaine du Kwa-Zulu Natal, la militante sociale et environnementale Sibongile Mtungwa se remémore la première fois qu’elle a remarqué l’évolution du paysage lorsqu’elle était enfant. Marchant avec sa grand-mère pour ramasser du bois de chauffage, elle se souvient de rangées soignées de pins parfaitement plantés là où se trouvait la forêt naturelle. Les entreprises ont abattu les arbres indigènes, dit-elle, et les ont remplacés par des plantations de bois en monoculture.

Sibongile est la directrice du Programme de leadership et de formation des femmes dans la province méridionale du Kwazulu-Natal. Elle travaille principalement avec des jeunes femmes entre 12 et 19 ans dans les zones rurales où de nombreux habitants dépendent de petites exploitations agricoles. 

La région est principalement constituée de prairies riches en espèces, avec des parcelles de forêt indigène le long des zones riveraines dans les ravins. Elle déplore toutefois « comme la douleur de mon cœur et la douleur de ma communauté » la dégradation des terres provoquée par l’érosion des sols au cours des quarante dernières années. Les impacts environnementaux et socioéconomiques sur les communautés locales, en particulier les femmes, ont été dévastateurs. De nombreux habitants ont abandonné leurs champs érodés et dégradés, ce qui a conduit à l’insécurité alimentaire, dit-elle : « Dans le passé, lorsqu’un plus grand nombre de personnes cultivaient leurs parcelles de terre, il y avait de la nourriture, même s’il n’y avait pas d’argent ».

Au moment où Sibongile a atteint l’âge de 16 ans, la superficie des plantations avait augmenté de façon exponentielle. Le pâturage du bétail était limité en termes d’espace, confiné dans des prairies de plus en plus réduites et fragmentées. Cela a conduit au surpâturage, qui a mené à l’érosion des sols, a-t-elle déclaré. Il ne faisait aucun doute que l’érosion des sols s’est accélérée avec l’expansion des plantations de bois. En Afrique du Sud, ces dernières couvrent 1,2 million d’hectares, dont 40% se situent uniquement dans le Kwazulu-Natal, ce qui représente 5% de la superficie de la province.

Toute comme les conséquences plus graves induites par le changement climatique telles les catastrophes naturelles, la dégradation des terres et la propagation des plantations commerciales d’arbres affectent également de manière disproportionnée les communautés pauvres et vulnérables vivant dans les zones rurales. Les femmes, les enfants et les anciens sont les plus touchés, car ce sont les femmes qui ont la responsabilité première de s’occuper des besoins familiaux de base tels que l’approvisionnement en eau.

Sur l’ensemble du territoire africain, la combustion de la biomasse ligneuse reste le principal moyen de cuisson : la collecte du bois de chauffage est donc une tâche quotidienne essentielle pour de nombreux foyers. Dans la plupart des cas, ce fardeau incombe aux femmes et aux enfants, pour qui cela devient plus long, ardu et dangereux s’ils doivent voyager plus loin, s’éloignant ainsi de la sécurité de leur foyer et de leur communauté. Comme la forêt indigène a été détruite et que les ressources n’étaient plus accessibles, Sibongile et sa grand-mère étaient contraintes de traverser de plus grandes distances, parfois jusqu’à cinq miles, pour se procurer du bois de chauffage récolté dans un peuplement d’acacias envahissants. La qualité de ce bois était malheureusement bien inférieure au bois indigène que nous pouvions auparavant possible obtenir dans la forêt voisine, dit-elle.

Aucune espèce d’arbre cultivée à des fins commerciales, c’est-à-dire, l’eucalyptus, le pin et l’acacia ne convient à la cuisine, déclare Sibongile. Leur combustion est trop rapide : il faut donc brûler une plus grande quantité de bois, produisant ainsi plus de fumée et causant ainsi un impact plus important sur la pollution de l’air et la santé. Cela affecte de manière disproportionnée les femmes qui sont principalement responsables de la préparation des repas.

Les plantations commerciales d’arbres sont considérées comme une forme de « développement » qui mènent à des opportunités d’emploi : de fait, certaines personnes étaient employées par l’industrie, dit Sibongile, mais pas beaucoup. Une fois plantés, les arbres nécessitent relativement peu d’attention jusqu’à la récolte et offrent donc moins de possibilités d’emploi que dans l’agriculture traditionnelle, où la croissance et la récolte annuelles ont lieu. Le travail présente également de grands risques : les accidents mortels sont courants, tout comme les conséquences à long terme sur la santé dues à l’exposition à des herbicides chimiques contenant du glyphosate, stipule-t-elle.

Les impacts environnementaux, sociaux, sanitaires et économiques négatifs des plantations commerciales d’arbres sur la communauté locale de la province du Kwazulu-Natal sont évidents. Il est urgent et reconnu de protéger les écosystèmes contre une nouvelle dégradation des ressources naturelles et de restaurer leur intégrité écologique sur le continent. De fait, cela permettrait d’atténuer les impacts du changement climatique et les souffrances sociales, économiques et environnementales des communautés marginalisées. Toutefois, considérer les plantations d’arbres comme une solution viable est totalement irresponsable.

Pourtant, des plantations de monoculture à incidence élevée sont mise en place sous pretexte de « boisement » ou de « reboisement », y compris dans le cadre de l’initiative AFR100. Ces plantations sont le plus souvent constituées d’espèces exotiques, telles le pin et l’eucalyptus, dans le but premier d’extraire le maximum de biomasse. Les progrès scientifiques prouvent que les plantations de bois provoquent en fait des émissions de carbone dues aux perturbations des sols. Ce n’est que lorsque le système forestier se stabilise qu’il peut séquestrer le dioxyde de carbone, et c’est alors « l’écosystème vivant » et non les arbres seuls, qui en est responsable. Plus la biodiversité est riche, plus l’écosystème naturel est apte à séquestrer le gaz carbonique. Les prairies sont également d’importants puits de carbone.

Les prairies naturelles ont également une fonction de rétention d’eau, retenant l’eau de pluie et la libérant lentement dans l’aquifère souterrain. Par conséquent, la destruction des prairies par la création de plantations de bois compromet ce processus naturel.

Lors d’une entrevue, Mamadou Diakhite, chef par intérim de la Division de la durabilité environnementale à l’Agence de développement de l’Union africaine (NEPAD), a partagé ses inquiétudes au sujet de la propagation des plantations de monoculture sous couvert de restauration. Selon Mamadou, le NEPAD « est totalement en désaccord avec la plantation de monocultures d’arbres qui ne sont pas appropriées pour le lieu ». Toutefois, malgré son objection idéologique, il a reconnu que les plantations industrielles faisaient partie des programmes AFR100, déplorant qu’avec seulement 10 employés, le secrétariat soit petit « et le continent immense ».

Selon l’exposé sur l’AFR100 de la Global Forest Coalition : Diriger l’expansion des plantations commerciales d’arbres en Afrique ? « [la moitié] des 30 pays participants ont actuellement des objectifs impliquant des plantations commerciales qui relèvent ou sont concomitants avec leurs engagements AFR100. Ensemble, ils impliquent plus de 4,5 millions d’hectares d’expansion de plantations commerciales d’arbres et 770 000 hectares de gestion améliorée des plantations. Cela équivaut à une augmentation de 91 % de la superficie des terres actuellement occupées par des plantations commerciales en Afrique. »

Cette expansion des plantations commerciales de bois aura des effets dévastateurs sur l’intégrité écologique, la diversité indigène et les services écosystémiques, compromettant la sécurité hydrique et alimentaire de nombreuses communautés rurales. Ironiquement, la majorité des « plantes envahissantes » responsables de l’érosion des sols est le résultat direct des plantations de bois à grande échelle mise en place dans le cadre d’initiatives de « boisement ». Les graines de pins, d’eucalyptus et d’acacias se dispersent dans l’environnement naturel adjacent par le vent, l’eau et l’équipement, souvent dans les zones les plus difficiles à contrôler, telles que les ravins escarpés et les ruisseaux et rivières sensibles. Cette propagation incontrôlée d’espèces d’arbres exotiques a un impact négatif sur les ressources en eau rares et précieuses et diminue la biodiversité en supplantant les plantes indigènes.

Ses priorités nationales publiées dans le cadre de l’initiative comprennent l’augmentation de la rétention d’eau et la stabilité du paysage par le biais du contrôle de l’érosion et la lutte contre la désertification. Les méthodes pour y parvenir n’ont toutefois pas encore été révélées. Des peuplements denses de plantes envahissantes assèchent les ruisseaux et les rivières en Afrique du Sud, et l’AFR100 pourrait aider davantage les programmes de travaux publics gouvernementaux, tels que Working for Water (WfW), dans cet effort monumental et indispensable. L’Afrique du Sud affirme également qu’elle utilisera les programmes AFR100 pour lutter contre l’empiètement de la brousse, un phénomène où des espèces pionnières indigènes envahissent et transforment les prairies primaires, diminuant la biodiversité naturelle et nuisant à la fertilité des terres.

L’intention de l’Afrique du Sud d’utiliser le financement AFR100 pour établir davantage de plantations d’arbres commerciales reste ambigüe, car il existe très peu d’informations accessibles au public au sujet de l’initiative. Pourtant, dans le cadre de la feuille de route forestière 2030 de l’Afrique du Sud, qui coïncide avec la phase de mise en œuvre de l’AFR100, il existe un objectif de 100 000 hectares pour les plantations commerciales d’arbres.

Le seul moyen accessible au public de surveiller la mise en œuvre de l’AFR100 est le Bonn Challenge Barometer. Deux ans après le lancement du Bonn Challenge et de la phase de mise en œuvre de l’AFR100 (2020-2030), seuls quelques pays ont signalé des progrès et l’Afrique du Sud n’en fait pas partie. Ce manque de transparence et de responsabilité rend extrêmement difficile le suivi de sa mise en œuvre.

En tant qu’initiative multipartite mettant l’accent sur les partenariats public-privé et la mobilisation des investissements du secteur privé, l’AFR100 est intrinsèquement susceptible d’être accaparée par les entreprises, qui chercheront à pousser les plantations commerciales d’arbres et d’autres fausses solutions, mais rentables à la crise climatique. Cela rend le besoin de transparence et de responsabilité critique, non seulement pour les gouvernements chargés de la mise en œuvre, mais également pour les entreprises et les gouvernements du Nord qui les financent et les soutiennent.

Des sociétés et des cabinets de conseil en matière de climat basés en Europe figurent parmi les partenaires techniques de l’AFR100. Par exemple, Unique, une « société de conseil et de gestion forestière » dont le siège est en Allemagne fait la promotion et est liée à la mise en place de plantations commerciales dans plusieurs pays africains, dont Madagascar, Kenya et Mozambique. Le ministère fédéral allemand de la Coopération économique et du Développement (BMZ de son acronyme allemand) est également un partenaire fondateur de l’AFR100, fournissant un soutien à la structure de l’initiative et à certains pays AFR100, via la GIZ pour la coopération technique et la KfW pour la coopération financière.

Les gouvernements et les partenaires techniques et financiers de l’AFR100 doivent s’assurer que le financement et le soutien dans le cadre de l’initiative vont à des efforts véritablement efficaces. Ceux-ci doivent lutter pour la dégradation des terres et la déforestation soit inversée tout en bénéficiant aux communautés rurales et en répondant aux griefs historiques et aux inégalités structurelles des communautés marginalisées, y compris les femmes.

Les effets négatifs des plantations commerciales d’arbres sur l’environnement naturel épuisent et affectent les ressources en eau, en biodiversité ainsi que les services écosystémiques. Cela a un impact direct sur les communautés vivant dans ces zones rurales. Comme le dit si franchement le groupe de travail africain sur la biomasse : « Les plantations d’arbres en monoculture ne sont pas des forêts ! »

Faire face à la dégradation des terres en Afrique est au cœur de la lutte mondiale contre les changement climatiques et la perte de biodiversité. La clé de la durabilité est la diversité. Des paysages diversifiés sur le plan écologique devraient être cultivés à tous les niveaux pour améliorer les services écologiques, tels que la rétention naturelle de l’eau et la prévention de l’érosion des sols. Le bois de monoculture n’est pas une solution, mais une cause de la dégradation des terres et ne doit pas être autorisé en vertu de l’AFR100.

 

« Trees for Global Benefit » en Ouganda : une étude de cas sur les échecs de la compensation des émissions de carbone

Les entreprises qui acquièrent des crédits carbone en guise de compensation sont coupables de greenwashing et des impacts néfastes qu’elles infligent aux communautés locales

Par D.K. et Marvin Kamukama, Ouganda

Depuis 2003, des milliers de fermiers ougandais ont planté en tout plus de deux millions d’arbres pour Trees for Global Benefit (TGB), un programme de compensation des émissions de carbone. Ses promoteurs prétendent qu’il constitue un modèle d’atténuation du changement climatique et de développement social et économique. Cependant, des recherches montrent que ce projet, supervisé par l’Environmental Conservation Trust of Uganda (ECOTRUST) et administré par Plan Vivo, fait partie du nombre croissant de programmes de greenwashing qui se multiplient à l’échelle mondiale. Non seulement ces projets ne parviennent-ils pas à réduire la quantité de carbone libérée dans l’atmosphère, mais ils entraînent également des répercussions environnementales, sociales et économiques graves pour les communautés locales concernées.

En juillet 2022, une organisation membre de la Coalition mondiale des forêts (GFC) a rendu visite aux communautés associées au projet dans les districts d’Hoima et de Kukuube, situés dans l’ouest de l’Ouganda. Les participants ont exprimé leurs inquiétudes concernant la sécurité alimentaire, les difficultés économiques et d’autres impacts négatifs, en particulier sur les femmes et d’autres groupes marginalisés. L’examen approfondi des informations recueillies a également permis d’identifier des entreprises, principalement basées en Suède mais aussi dans d’autres pays scandinaves et européens, qui achètent des crédits carbone par le biais du programme TGB, contribuant ainsi directement aux impacts négatifs sur les communautés locales.

« Trees for Global Benefit », une innovation positive ou une forme de colonialisme en matière de climat et de carbone ?

TGB se décrit comme une « initiative innovante pour la restauration des paysages forestiers, qui associe des résultats en matière de conservation de la biodiversité, d’adaptation au changement climatique et d’atténuation de ses effets, dans le contexte de la reforestation des paysages et en lien avec l’amélioration des moyens de subsistance et des paysages durables ».

Depuis 2003, ECOTRUST affirme avoir signé des contrats avec plus de 15 000 familles d’agriculteurs dans 14 districts d’Ouganda, pour la plantation d’environ 2,3 millions d’arbres. Si l’on en croit le dernier rapport portant sur le projet, ces arbres ont séquestré plus de deux millions de tonnes de CO2, service vendu par ECOTRUST sous forme de crédits sur le marché volontaire du carbone à des entreprises et des particuliers nationaux et internationaux au cours des 18 dernières années. 

Cependant, nous pouvons conclure de source sûre, à la lecture du sixième rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), qu’il n’existe plus de marge pour les compensations carbone. Plus nous recourons aux compensations, plus nous repoussons l’atteinte de l’objectif de réduction immédiate des émissions d’ici à 2030. Cela nous rapproche aussi du point où l’augmentation de la température dépassera 1,5 degré. Les compensations constituent donc un obstacle à de véritables solutions climatiques.

Lancé dans le district de Bushenyi, dans le sud-ouest de l’Ouganda, le projet TGB s’est étendu et couvre actuellement quatre sites principaux : le parc national de Murchison Falls, dans le nord du Rift Albertin, qui comprend les districts d’Hoima et de Kukuube, le parc national Queen Elizabeth, dans les zones d’escarpement de la vallée du Rift Albertin, et les districts voisins du parc national du Mont Elgon et des montagnes du Rwenzori, à la frontière du Congo, un site classé au patrimoine de l’UNESCO. Selon les règles posées par Plan Vivo, il n’est pas nécessaire de procéder à de nouvelles évaluations ou à un nouvel enregistrement pour que le projet s’étende à des districts supplémentaires.

En substance, ECOTRUST signe des contrats avec des petits fermiers pour planter et faire pousser certaines espèces d’arbres sur leurs terres pendant 15 à 25 ans, en échange d’une rémunération pour le « carbone » séquestré par les arbres. ECOTRUST agit comme un courtier pour les « coopératives » agricoles, à travers le regroupement et la revente de crédits carbone sur le marché international.

La Fondation Plan Vivo affirme que le projet « fonctionne comme une solution basée sur le marché qui permet de réduire l’exploitation non-durable des ressources forestières et le déclin de la qualité des écosystèmes, tout en diversifiant et en accroissant les revenus des agriculteurs ruraux et de leurs familles ». Elle prétend fournir des avantages économiques aux agriculteurs par le biais de paiements directs pour la plantation d’arbres et contribuer ainsi à « la stabilité des revenus, la sécurité alimentaire et la sécurité des combustibles » au niveau des communautés. Elle mentionne également que les plantations d’arbres sont transformées en initiatives de sylviculture ou d’agroforesterie durable. 

Mais ces affirmations résistent-elles à une analyse approfondie ? Quelles sont les expériences des agriculteurs et des propriétaires terriens locaux qui ont signé des contrats avec ECOTRUST ? Comprennent-ils les processus en jeu et le concept selon lequel ielles assument la responsabilité de séquestrer le CO2 rejeté dans l’atmosphère par des entreprises, principalement dans le Nord global ? Le projet a-t-il contribué à réduire la déforestation dans les régions où il est mis en œuvre ? A-t-il aidé les communautés locales à accéder à la richesse, à l’emploi et à la sécurité alimentaire ? Ou a-t-il conduit à davantage d’inégalités, tout en semant des divisions et des conflits au sein des communautés ? Quel a été l’impact spécifique sur les femmes et les autres groupes marginalisés ?

Au-delà du fait que les compensations carbone ne constituent pas une réponse au changement climatique, ces autres questions essentielles concernant la justice, l’équité et les impacts économiques, sanitaires et sociaux de ces projets au niveau local exigent un examen approfondi. Les discussions avec les membres des communautés d’Hoima et de Kukuube ont révélé d’importants problèmes liés au projet, ce qui laisse penser qu’il n’a pas atteint ses objectifs. A l’inverse, il semble causer plus de mal que de bien et doit donc être repensé.

Les voix sur place : “L’argent ne se mange pas !”

En juillet 2022, une organisation membre de GFC s’est rendue dans les districts d’Hoima et de Kukuube, dans l’ouest de l’Ouganda, ou elle a pu échanger avec plus de 100 membres de la communauté, parmi lesquels des participants au projet TGB et des personnes non impliquées. Au total, 60 femmes se sont exprimées. La recherche a été menée dans les communautés de Kigaaga A, la paroisse de Kigaaga, le sous-comté de Kabale dans le district d’Hoima, et dans les communautés du village de Kyakayemba, la paroisse de Kidoma, et le sous-comté de Kiziranfumbi, dans le district de Kukuube. Les entretiens ont été menés de façon individuelle, notamment lors de visites des plantations de TGB et lors de consultations collectives auprès des membres des communautés.

Dans toutes les communautés, il ressortait très clairement que le projet n’apportait pas les avantages promis et les participants étaient de plus en plus amers et désespérés. Toutes les personnes interrogées ont déclaré se sentir piégées par les longs contrats qu’elles avaient signés, en plus de ne pas recevoir l’argent et la sécurité qu’elles attendaient. N’étant plus en mesure de cultiver des vivres sur leurs terres agricoles, qui sont désormais affectées à la culture d’arbres pour « capturer » le carbone et compenser le CO2 rejeté dans l’atmosphère par les multinationales, elles ont déclaré à GFC qu’elles étaient désormais confrontées à des difficultés économiques et à l’insécurité alimentaire. 

Comme les femmes de la région ont souvent moins accès à la propriété foncière et aux autres possibilités d’emplois que les hommes, ce sont elles qui ont le plus pâti de ces répercussions néfastes. Sur le plan de la justice économique, les femmes ont moins d’opportunités de devenir indépendantes financièrement, car elles sont culturellement responsables des tâches domestiques et des soins non rémunérés. Les femmes collectent également du bois et de l’eau et cultivent des aliments, ce qui en fait des actrices essentielles à la sécurité alimentaire de leurs communautés. Cette division sexuelle inégale du travail a des retombées négatives sur les opportunités accessibles aux femmes de la région, notamment parce qu’elles disposent de moins de temps pour développer d’autres activités rémunérées et souffrent de niveaux élevés d’épuisement et de fatigue physique. 

L’accès au pouvoir et au contrôle des ressources est également limité pour les femmes. Lorsque différentes entreprises sont arrivées dans la région pour construire l’aéroport international d’Hoima et lancer des projets d’extraction gazière et pétrolière à grande d’échelle, ces entreprises ont forcé les habitants des communautés à quitter leurs terres. Au-delà des lourdes conséquences sur leurs moyens de subsistance et leurs pratiques coutumières, cet accaparement de leurs terres s’est traduit par une compensation inadéquate pour beaucoup de femmes. En effet, les indemnités ont souvent été versées aux hommes, qui sont les détenteurs de comptes bancaires et les propriétaires des terres. Il semble que les entreprises n’avaient pas de plan d’action en matière de genre pour indemniser les femmes après cette intervention, malgré le fait qu’elles soient responsables de la préservation de la vie et de la sécurité alimentaire. Pas une seule femme des communautés visitées n’est en charge d’un quelconque projet de crédit carbone. La plupart des activités de coordination, la signature des contrats et la prise de décision sont contrôlées par des hommes, ce qui limite les possibilités de choix et de décision quant à l’utilisation des ressources pour les femmes.

Le projet TGB est géré comme une coopérative : ECOTRUST achète les crédits carbone aux petits exploitants agricoles, puis les revend sur le marché. Selon un contrat auquel GFC a eu accès, les paiements d’ECOTRUST aux propriétaires terriens ou « producteurs » s’étalent sur une période de 10 ans, en fonction des conditions de l’accord. Les versements sont réalisés au cours de la première, troisième, cinquième, septième et dixième année, mais uniquement si les agriculteurs atteignent les résultats fixés dans ces contrats. Pendant les trois premières années, l’accent est mis sur la survie des arbres ; ensuite, il est mis sur les caractéristiques de l’arbre, tels que la hauteur de poitrine, la largeur de la couronne et la hauteur totale, paramètres qui sont censés permettre de mesurer la quantité de carbone que les arbres peuvent stocker. 

Selon le dernier rapport annuel d’ECOTRUST sur le projet TGB, seuls 51% des agriculteurs d’Hoima ont atteint les objectifs (146 sur 287 agriculteurs suivis), ce qui signifie que les autres n’ont pas reçu les paiements attendus. À Kukuube, le taux de réussite était légèrement supérieur, et s’élevait à 63 % (170 sur 267 agriculteurs suivis). Selon ECOTRUST, « les mauvaises performances des agriculteurs à Hoima et Kukuube sont dues à la sécheresse, qui a empêché les agriculteurs de planter et d’atteindre leurs objectifs ». Quelle que soit la cause, le projet semble bien indifférent face aux difficultés et aux souffrances endurées par les petits agriculteurs qui n’ont pas reçu les avantages promis par la société ECOTRUST lorsqu’elle les a convaincus de s’engager dans le projet. 

Les tableaux 1 et 2, présentés ci-dessous, montrent les taux de performance des agriculteurs dans chacun des districts, en fonction du stade du projet auquel se trouvent leurs plantations, tels qu’ils ont été publiés dans le rapport annuel de TGB.

     Tableau 15 : Performances des agriculteurs suivis à Hoima

Année de suivi Validés Non validés Total
0 6 15 21
1 45 52 97
3 42 14 56
5 29 44 73
10 24 16 40
Total 146 141 287

 

     Tableau 16 : Performances des agriculteurs suivis dans les districts de Kukuube

Année de suivi Validés Non validés Total
0 2 2 4
1 168 95 263
Total 170 97 267

 

Difficultés économiques et insécurité alimentaire

Parmi les participants rencontrés par GFC, nombreux sont ceux qui ont déclaré souffrir de difficultés économiques et d’insécurité alimentaire. Selon leurs explications, l’argent reçu dans le cadre des contrats avec TGB est insuffisant pour subvenir aux besoins de leurs familles, et ils ont transformé leurs terres vivrières en plantation d’arbres. Comme l’a déclaré un représentant d’une ONG locale à GFC : « L’argent ne se mange pas ».

L’investigation menée par GFC a révélé des problèmes de fond, notamment le fait qu’ECOTRUST n’a pas informé les participants des détails techniques du projet, y compris les calendriers et le détail des paiements, ni même de ce pour quoi ECOTRUST les payait précisément. L’une des plaintes les plus récurrentes était que les paiements initiaux à la signature du contrat avec ECOTRUST n’étaient pas suffisants pour couvrir le coût de la plantation des arbres. 

Presque tous les participants ont déclaré ne pas avoir reçu les paiements attendus. ECOTRUST ne peut effectuer les paiements basés sur la performance qu’après une visite de contrôle officielle visant à vérifier que les agriculteurs ont atteint leurs objectifs contractuels, ce que beaucoup n’ont pas réussi à faire. Des problèmes ont également été soulevés concernant les retards dans les visites de contrôle d’ECOTRUST pour évaluer si les objectifs avaient été atteints et pour approuver les paiements liés à la performance, potentiellement en raison de l’expansion rapide du projet dans de nouvelles zones. Les participants ont également déclaré qu’ECOTRUST réalise souvent les paiements par le biais de son application mobile et généralement au membre masculin du foyer. GFC a entendu parler de situations où les maris n’avaient pas informé leurs femmes et leurs enfants de ces paiements, ce qui a conduit à une augmentation des tensions et, dans certains cas, à des violences domestiques.

Ces expériences mettent en évidence un défaut central du projet TGB, au-delà du fait que la compensation climatique ne fonctionne pas. Il s’agit de la méconnaissance de la nature dynamique des économies rurales et du fait que les préférences en matière d’utilisation des terres vont changer pendant la durée du contrat. Le principal problème des communautés impliquées dans le projet TGB est la sécurité alimentaire, ou son absence, selon les témoignages recueillis par GFC. Presque tous les participants rencontrés par GFC dans les districts d’Hoima et de Kukuube ont dit qu’ils étaient confrontés à des problèmes de sécurité alimentaire.

Avant de rejoindre le projet TGB, les agriculteurs avaient le contrôle de leurs cultures. Ils pouvaient décider des arbres et des cultures vivrières qu’ils voulaient cultiver, ainsi que du moment et de la manière de les alterner. En vertu des contrats conclus avec ECOTRUST, ils sont engagés pour au moins 15 ans. L’argent qu’ils reçoivent du projet est insuffisant pour acheter de la nourriture, et pendant la croissance des arbres, ils ne peuvent pas faire pousser d’autres cultures. Cela affecte non seulement les agriculteurs directement impliqués dans le projet, mais aussi plus largement l’accès à la nourriture pour toute la communauté. 

En outre, comme le projet exige de détenir une certaine quantité de terres, il exclut les membres les plus pauvres de la communauté, qui peuvent alors être incités à acheter des terres supplémentaires (potentiellement par le biais d’emprunts) ou à convertir leurs cultures vivrières pour pouvoir participer.

Les avantages relatifs aux différentes façons d’utiliser les terres dépendent entièrement des circonstances spécifiques de chaque agriculteur, qui peuvent changer au fil du temps. Cependant, les agriculteurs ne sont pas conscients des conséquences contractuelles d’un changement d’utilisation des terres, et se retrouvent contraints, de même que leurs enfants, par de longs contrats, ce qui limite considérablement leur marge de manœuvre à l’avenir. Les recherches de terrain ont montré que certains agriculteurs du village de Kigaaga, dans le district d’Hoima, ont converti toutes les terres dont ils disposaient, y compris autour de leur maison, à la plantation d’arbres dans l’espoir de gagner plus d’argent. Il s’agit d’un modèle qui n’est pas durable et qui conduit à une insécurité alimentaire accrue parmi les personnes impliquées dans le projet. En d’autres termes, les gens ne peuvent pas accéder à la souveraineté alimentaire en convertissant leurs principales terres vivrières en plantations d’arbres.

Transparence et communication

Les discussions avec les participants du projet TGB montrent clairement que beaucoup d’entre eux manquent d’informations approfondies sur le projet et ont le sentiment de ne pas pouvoir communiquer avec ECOTRUST quand ils ont besoin d’informations ou pour formuler des griefs ou des plaintes. En effet, les contrat signés par ECOTRUST avec les agriculteurs ou « producteurs » manquent cruellement d’informations et de détails, ce qui constitue une faille grave. Par exemple, l’accord signé par les agriculteurs ne précise pas certaines informations essentielles, notamment ce qui se passerait si les producteurs ou les acheteurs ne respectaient pas leurs engagements, ou ce qui arriverait si des arbres étaient détruits, suite à des actes de malveillance ou des catastrophes naturelles. En outre, les agriculteurs étaient mécontents que le contrat soit seulement disponible en anglais. Il était également évident que certains agriculteurs ne semblaient pas disposer d’une copie de l’accord et qu’ils ne savaient pas toujours combien ils seraient payés ni quand. Le manque d’accès à des conseils et à des informations provenant de sources extérieures au projet a renforcé le risque que des personnes potentiellement vulnérables prennent des décisions qui ne les avantagent pas actuellement ou réduisent leur capacité à adapter l’utilisation de leurs terres à l’évolution des circonstances futures.

Le dernier audit du projet confirme ces conclusions quant au manque de compréhension des agriculteurs sur ce qu’ils ont signé. Il stipule que : « les entretiens menés sur place avec les agriculteurs producteurs ont indiqué que la majorité d’entre eux disposaient d’une copie de leur contrat, mais que beaucoup n’en connaissaient pas les détails ».

La compensation des émissions carbone ne fonctionne pas : il est temps de mettre fin au greenwashing

Le TGB étant avant tout un projet de compensation des émissions carbone, il est intrinsèquement défaillant. Motivé et dicté par le marché mondial du carbone, il vient en appui aux initiatives de relations publiques des entreprises, qui sont contraires aux solutions réelles d’atténuation du changement climatique et aux intérêts des petits agriculteurs qui ont été persuadés de participer. 

Les décisions clés concernant la conception et la mise en œuvre du projet sont prises à des niveaux qui restent inaccessibles aux agriculteurs chargés de mettre ce projet en œuvre sur le terrain, et ces décisions vont bien souvent à l’encontre de leurs intérêts. Les pressions exercées par le capital mondial signifient qu’ECOTRUST est un programme qui obéit et rend des comptes aux marchés internationaux du carbone, en l’occurrence la norme de Plan Vivo. Il s’agit notamment d’exigences relatives aux espèces spécifiques d’arbres à cultiver, même si elles ne sont pas nécessairement les plus viables ou les plus rentables à long terme sur le plan économique. Ces questions ont été analysées de façon approfondie et soulevées par de nombreuses études, notamment une étude de 2017 de Carton et Andersson, et un article de 2017 de Fisher et al.

Pour faire simple : la compensation des émissions carbone ne fonctionne pas. Le principe de la compensation signifie que les émissions continuent d’être générées, au lieu d’être réduites et évitées, et qu’elles sont compensées ailleurs, ce qui permet aux entreprises de poursuivre leurs pratiques non durables. Les projets basés sur des approches de marché, y compris les compensations carbone, sont généralement imaginés et conçus dans le Nord global et mis en œuvre dans le Sud global. Ils constituent donc une forme de néocolonialisme en matière de climat et de carbone et une forme de commercialisation de la nature.

Aujourd’hui, les projets terrestres de compensation des émissions carbone reposent généralement sur des programmes de plantation d’arbres, comme dans le cas du projet TGB en Ouganda, ce qui ajoute le problème de la permanence. En effet, le dioxyde de carbone stocké dans les arbres sera tôt ou tard relâché dans l’atmosphère, notamment du fait des incendies et des ravageurs, qui sont désormais plus nombreux et plus agressifs en raison du changement climatique.

Selon la norme de Plan Vivo, 60 % du montant des ventes de crédits carbone doit être reversé aux agriculteurs. Le dernier audit du projet TGB soulève des inquiétudes quant aux informations fournies et au respect de cet objectif minimum par ECOTRUST. Selon l’audit, « des informations incomplètes ont été fournies aux organismes de contrôle pour confirmer l’application de cette norme. Les fichiers fournis ne permettaient pas de savoir si, par exemple, les paiements aux SACCO [sociétés coopératives d’épargne et de crédit] incluaient les numéros d’émission, car les fichiers étaient liés à des fichiers externes sans données justificatives, et les fichiers ne couvraient pas toute la période de vérification ».

Le détail des coûts opérationnels, publiés dans le dernier rapport annuel d’ECOTRUST, montre que près de 480.000 dollars tirés des recettes de la vente du carbone ont été consacrés aux coûts de fonctionnement du projet, plutôt qu’aux paiements des agriculteurs ougandais qui ont planté en 2020 les arbres ayant servi pour l’émission de ces crédits carbone. Plus de 280.000 dollars de recettes des crédits carbone cultivés par des agriculteurs ougandais ont ainsi été dédiés au « temps de travail du personnel ». En comparaison, seulement 682.889 dollars ont été alloués pour rémunérer des milliers d’agriculteurs en 2020.

Au cours cette même année, qui correspond à la dernière période couverte par un rapport annuel, le projet indique avoir vendu 285.694 tCO2 à divers acheteurs. La plupart de ces achats ont été effectués par l’intermédiaire de Zero Mission et de My Climate, comme le montre le tableau 3 ci-dessous. La majorité des entreprises qui acquièrent des crédits carbone par l’intermédiaire de Zero Mission sont basées en Suède ou ailleurs en Scandinavie et en Europe, notamment en France et en Allemagne. Parmi les entreprises qui ont acheté des crédits carbone TGB au cours des deux dernières années, on retrouve des chaînes de restauration rapide et de vente au détail, des entreprises de produits laitiers et de transformation alimentaire, ainsi que des entreprises de divertissement, de mode, d’immobilier, d’aviation et d’automobile. Il est intéressant de noter que, par ailleurs, certains des acheteurs sont des conseillers en développement durable et en solutions climatiques. La liste complète des acheteurs est disponible sur le site web de Mer Markit via ce lien.

Tableau 6 : Ventes sur la période de reporting de janvier à décembre 2020

Année de plantation Nom de l’acheteur/Source des fonds Nombre de PVCs (Certificats Plan Vivo) achetés Prix par certificat Montant reçu 
2016 ZeroMission P.O. 521 433 Reporting interne seulement Reporting interne seulement
2016 Classic Africa Safaris (UCB) 71
504
2017 Kaffeekoop GmbH 209
2017 ZeroMission P.O. 520 : 2697
2906
2018 ZeroMission P.O. 520 : 2070
2070
2019 Myclimate 20.000
2019 KUA 54
2019 International School of Uganda 276
2019 ZeroMission P.O. 520 : 2081
22.411
2020 ZeroMission P.O. 482 Arla Foods & others 51.143
2020 ZeroMission P.O. 463 : 869
2020 ZeroMission P.O. 476 : 98.914
2020 ZeroMission P.O. 504 1850
2020 C Level 1811
2020 COTAP 3287
2020 Myclimate 50.000
2020 Myclimate 50.000
257.874
285.765

 

Ces entreprises sont coupables de greenwashing et transfèrent leurs responsabilités climatiques à des communautés africaines appauvries en Ouganda. Elles feraient mieux de revoir leurs propres pratiques pour garantir une réduction des émissions de carbone, tout en soutenant de véritables programmes de développement social, environnemental et économique dans les communautés les plus pauvres, en particulier celles qui subissent le plus durement le changement climatique. 

Trees for Global Benefit (en français, « des arbres au bénéfice du monde ») est un programme qui ne tient pas ses promesses. Il devrait plutôt s’intituler « Trees for Climate Greenwashing », c’est-à-dire « des arbres pour le greenwashing climatique ». Toutes les preuves sont à portée de main. La mainmise des entreprises et du capitalisme sur l’atténuation du changement climatique constitue un risque pour la planète et doit être stoppée. Il faut mettre fin au greenwashing des programmes de compensation carbone et défendre des solutions réelles, équitables du point de vue du genre, dirigées et gouvernées par les communautés. Cela contribuera non seulement à l’atténuation du changement climatique et à l’adaptation à celui-ci, mais aussi à la justice sociale, la justice de genre et la justice climatique, ainsi qu’à l’équité au sein des communautés les plus pauvres du monde.

 

L’industrialisation de la production de bioénergie issue des forêts au Népal et son impact sur les femmes et les autres populations dépendantes de la forêt

Par Bhola Bhattarai, NAFAN, Népal

Introduction

La combustion à grande échelle de la biomasse d’origine forestière, principalement de granulés de bois, pour produire de l’énergie, a considérablement augmenté au cours des 15 dernières années. Cette tendance a été largement alimentée par l’argument erroné selon lequel la combustion de la biomasse forestière est neutre en carbone. Il s’agit d’une approche biaisée, qui sert les intérêts de la comptabilité carbone de l’Union européenne, du Royaume-Uni, des États-Unis, de la Corée du Sud, du Japon et d’autres pays industrialisés, afin d’« atteindre » les objectifs de réduction des émissions fixés par l’accord de Paris. 

La bioénergie est une forme d’énergie dite renouvelable, générée par la conversion de la biomasse en chaleur, électricité, biogaz et combustibles liquides. La biomasse est une matière organique provenant de la sylviculture, de l’agriculture ou de déchets d’origine diverses.

Selon le rapport statistique 2021 de Bioenergy Europe, depuis 2000, la consommation globale de bioénergie a triplé, passant de 41 millions de tonnes d’équivalent pétrole (Mtep) en 2000 à 117 Mtep en 2020, dont plus de 70 % provenant de la biomasse forestière, en grande partie sous forme de granulés de bois. En 2018, la demande mondiale en granulés de bois industriels a dépassé 52 millions de tonnes ; l’Union Européenne et le Royaume-Uni étant de loin les plus grands utilisateurs de granulés au monde, avec une consommation annuelle de 27 millions de tonnes. Le marché des granulés de bois en Asie continue également de croître, notamment sous l’impulsion de la Corée du Sud et du Japon, et est en passe de devenir le moteur, aux côtés de l’Europe, du marché mondial des granulés. Selon la World Bioenergy Association, entre 2012 et 2019, le secteur a connu un taux de croissance annuel de 11,6 %, le taux de croissance le plus élevé étant celui de l’Asie (49 %), suivi de l’Océanie (30 %). Sans une intervention urgente des pouvoirs publics, on s’attend à un accroissement de cette demande dans les années à venir car pour répondre à la demande énergétique croissante, les pays choisissent de promouvoir l’utilisation de la bioénergie. 

Non seulement la combustion de la biomasse forestière n’est pas neutre en carbone, mais elle nuit activement au climat en rejetant dans l’atmosphère de grandes quantités de gaz à effet de serre et d’autres émissions, provenant de la chaîne d’approvisionnement et de l’industrie du bois. Elle porte aussi directement préjudice aux forêts, menaçant la biodiversité et la résilience climatique. Enfin, elle porte atteinte aux personnes et menace les droits, les intérêts, les vies, les moyens de subsistance et les valeurs culturelles des Peuples Autochtones, des communautés locales et des femmes. Le Népal a récemment cherché à tirer parti de la croissance du marché mondial de la biomasse forestière et des politiques gouvernementales, principalement dans le cadre de sa stratégie énergétique basée sur la biomasse de 2017, qui promeut l’expansion de la production industrielle de biomasse. Le présent rapport examine le développement de l’industrie de la biomasse forestière au Népal et ses impacts économiques, sociaux et environnementaux, spécifiquement sur les femmes et les communautés dépendantes de la forêt dans le district de Sarlahi, dans le sud du Népal.

Les politiques gouvernementales en matière de bioénergie et la croissance de la production industrielle de biomasse au Népal

L’utilisation traditionnelle de la biomasse, notamment du bois de chauffage, des excréments de bétail et des résidus de l’agriculture, reste la principale source d’énergie des communautés rurales népalaises, couvrant 77 % des besoins énergétiques du pays

Du point de vue de l’industrie de la bioénergie, le Népal est « riche » en biomasse forestière, étant donné que le couvert forestier s’étend sur 45 % du pays. Selon les chiffres du gouvernement, le total de la biomasse provenant des forêts du Népal, et qui se trouve au-dessus du sol et séchée à l’air, est égal à 1 159,65 millions de tonnes, soit une moyenne de 194,51 tonnes par hectare. Selon les calculs du gouvernement, environ 2,76 millions de tonnes (Mt) de biomasse sous forme de granulés sont potentiellement disponibles grâce à la biomasse forestière.

Au cours de la dernière décennie, le Népal a accordé une attention de plus en plus grande à l’industrialisation de sa production de bioénergie. Dans le cadre de sa stratégie énergétique basée sur la biomasse de 2017, le Népal a identifié la bioénergie d’origine forestière, ainsi que l’énergie hydraulique, éolienne et solaire, comme des éléments clés pour le développement énergétique durable du pays et sa transition vers des « solutions énergétiques propres ». Dans le cadre de cette stratégie, le gouvernement encourage le développement de la production industrielle de biomasse forestière. La stratégie vise à fournir une assistance technique et financière pour la recherche et le développement de technologies et d’industries modernes, efficaces et abordables, dans la production d’énergie à partir de la biomasse. Ce plan va à l’encontre des découvertes scientifiques et de la conscience croissante selon lesquelles l’industrialisation de la bioéconomie est néfaste pour le climat, la nature et la biodiversité, porte atteinte aux droits humains et est incompatible avec une transition juste vers une économie non basée sur les combustibles fossiles.

Selon la deuxième Contribution déterminée au niveau national (CDN) soumise par le Népal à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) le 8 décembre 2020, le pays a pour objectif d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, considérant la transition vers des énergies « propres » comme un élément central pour y parvenir. Pour cela, il prévoit d’augmenter la production d’énergie propre d’environ 1 400 MW à 15 000 MW d’ici 2030, sous la forme de mini et micro centrales alimentées par l’énergie hydraulique, solaire, éolienne et bioénergétique. Parallèlement, il s’est engagé à maintenir le couvert forestier qui s’étend sur 45 % de la superficie totale du pays (y compris d’autres terres boisées qui représentent moins de 4 %) d’ici 2030, ainsi qu’à gérer durablement 50 % des forêts du Téraï et du Téraï intérieur et 25 % des forêts situées sur les collines et les montagnes.

La stratégie du gouvernement prétend à tort qu’il est possible de passer à une production industrielle d’énergie à partir des résidus agricoles, de la biomasse et des résidus forestiers, ainsi que des déchets organiques, tout en soutenant la conservation de l’environnement grâce à la production durable d’énergie à partir de la biomasse.

La promotion de sources d’énergie alternatives, y compris la bioénergie, est également présente dans le quinzième plan périodique du gouvernement du Népal pour 2019-24. Le gouvernement du Népal prévoit également de mobiliser des ressources du Fonds vert pour le climat et d’autres fonds nationaux et internationaux pour l’environnement et le changement climatique, afin de promouvoir les énergies alternatives, notamment la production de granulés de bois.

Dans le cadre de ces initiatives, les entreprises privées ont prospéré, bénéficiant du financement international pour le climat ainsi que de financements et de prêts avantageux de la part des banques commerciales locales, dont la NMB Bank. Dans une interview récente, Sushil Gyawali, président de la Biomass Entrepreneur Association Nepal (BEAN), a déclaré que les entreprises qui produisent des briquettes à partir de biomasse et de charbon de bois ainsi que des granulés « acquièrent la totalité de leurs matières premières des déchets forestiers, et que la quantité de biomasse fraîche qui sera convertie pour préparer du charbon de bois sera d’environ 15 000 tonnes métriques par an ». Toutefois, il a précisé que l’approvisionnement en biomasse fraîche provenant des forêts népalaises pour la production de granulés de bois représente le double, soit environ 30 000 tonnes métriques par an. Selon lui, au rythme actuel, cela ne représente que 1 à 2 % de la biomasse totale disponible. Cependant, aux vues de la stratégie du Népal pour accroître son développement au cours des 20 prochaines années, il a ajouté que ce taux est susceptible d’augmenter rapidement, notamment pour alimenter les entreprises des régions les plus reculées du pays.

Comme l’ont souligné Biofuelwatch et d’autres ONG, dont la Global Forest Coalition (GFC), il faudra d’immenses superficies de terres et d’énormes quantités de bois pour répondre à une infime partie de la demande en énergie, ce qui est une menace directe pour les forêts, les communautés locales et les objectifs d’atténuation du changement climatique. Les arguments selon lesquels les émissions de la biomasse devraient être considérées comme neutres au moment de la combustion, étant donné que du carbone a été absorbé pendant la croissance des arbres, ne sont pas crédibles. La combustion de la biomasse libère immédiatement du CO2 dans l’atmosphère et une plante peut mettre des années à réabsorber cette même quantité de CO2 dans la biomasse. La combustion de la biomasse émet également plus de gaz à effet de serre par unité d’énergie que la plupart des combustibles fossiles.

Un nouveau rapport émanant des États-Unis, premier exportateur mondial de granulés de bois, montre comment l’industrie mondiale des granulés dévaste les forêts du pays. Un récent rapport de la BBC a également révélé comment une entreprise de granulés de bois industriels au Royaume-Uni était directement responsable de l’abattage de forêts primaires au Canada. Cela devrait tirer la sonnette d’alarme pour des pays comme le Népal, afin qu’ils ne reproduisent pas ces erreurs et se concentrent plutôt sur des énergies véritablement renouvelables.

Production industrielle de granulés de bois issus de la biomasse dans le district de Sarlahi, au sud du Népal

Fondée en 2016, Bakas Renewable Energy Ltd est la première entreprise du Népal à produire de la bioénergie à partir de biomasse forestière à échelle industrielle. En 2021, elle a commencé à s’approvisionner et à produire des granulés de bois à partir de la biomasse forestière, dans le cadre du projet étatique de développement forestier de Sagarnath, dans le district de Sarlahi, dans le sud du Népal, avec une capacité de production estimée à 20 000 tonnes de granulés de bois par an.

Dans le cadre d’un accord sur 20 ans signé avec le Conseil national de développement forestier, l’entreprise Bakas, en partenariat avec Arbonaut Ltd, Finlande, récolte des matières premières dans le sous-bois des 13 000 hectares du projet étatique de développement forestier de Sagarnath (communication personnelle avec un représentant de Bakas, 7 août 2022). Selon les termes de l’accord, Bakas peut collecter 30 000 tonnes de biomasse forestière par an – soit l’équivalent de 50 % de la biomasse existante sur le sol forestier – issue de 27 espèces, dont des herbes, des buissons et des espèces envahissantes. Cependant, la quantité de biomasse prélevée n’est pas encore contrôlée et les responsables forestiers locaux et les membres de la communauté ont déclaré à GFC que la société prélevait plus de biomasse dans la forêt que ce qui était autorisé par l’accord. Bakas est également autorisé à utiliser les terres forestières de cinq sites de la région pour collecter et stocker la biomasse. 

Le projet bénéficie de capitaux propres du mécanisme de financement compétitif pour le climat de la Nordic Climate Facility Grant, financé par le Fonds Nordique de Développement, ainsi que d’un financement de Business Oxygen, un fonds de capital-risque pour les PME qui travaille en partenariat avec la Société financière internationale. La NMB Bank of Nepal fournit également un financement par emprunt et un crédit de fonds de roulement pour la production de granulés de biomasse, ce qui témoigne du fort intérêt des banques commerciales locales pour la production industrielle de biomasse.

Selon le représentant de l’entreprise, environ 27 000 tonnes de matières premières sont collectées chaque année, y compris de la biomasse forestière, de la biomasse agricole, de la sciure et des sous-produits agricoles (par exemple, déchets de bagasse/contreplaqué, biomasse séchée/déchets agricoles, sciure/morceaux de bois). L’entreprise affirme avoir extrait, au cours de l’année écoulée, environ 15 000 à 20 000 tonnes de biomasse forestière du projet de développement forestier de Sagarnath à Sarahi et Mahottari. Même si le projet n’en est qu’à ses débuts et que la mise en place de son unité de fabrication est récente, ses granulés seront bientôt sur le marché.

L’entreprise affirme avoir utilisé la technologie de télémétrie par la lumière (LiDAR) pour effectuer une cartographie à haute résolution de la biomasse du sous-bois. Elle affirme également utiliser les plateformes SIG et les applications mobiles d’Arbonaut pour la récolte durable des ressources de biomasse ainsi que pour l’évaluation et la gestion des risques d’incendie de forêt. L’entreprise affirme également réduire les émissions de CO2 grâce à l’élimination de la biomasse hautement inflammable et à l’utilisation de systèmes avancés de gestion des feux de forêt. Cette affirmation est trompeuse, car les recherches montrent que la coupe d’arbres peut en fait augmenter la gravité des incendies, ainsi qu’accroître les émissions de carbone et réduire le stockage de carbone dans les forêts.

L’entreprise affirme également soutenir l’économie locale en créant des emplois. Elle affirme qu’en faisant participer les femmes et d’autres groupes marginalisés à la collecte et au traitement des matières premières provenant du sol de la forêt, ainsi que des champs des agriculteurs, la communauté locale obtiendra une participation de 10 % dans le capital de l’entreprise. Elle emploie environ 200 personnes localement. 

Cependant, ces affirmations ne résistent pas à l’examen des faits. Lors d’une récente visite sur le terrain, l’organisation National forum for advocacy Nepal (NAFAN), membre de GFC, a entendu des plaintes de membres de la communauté locale concernant plusieurs problèmes liés au projet, notamment des violations potentielles de l’accord entre le gouvernement népalais et Bakas, qui placent la communauté en conflit direct avec Bakas et son projet d’énergie issue de la biomasse.

En août 2022, NAFAN a effectué une visite de terrain dans le district de Sarlahi, dans le sud-est du Népal, où nous nous sommes entretenus avec des membres de la communauté locale, notamment des dirigeants forestiers communautaires, des collecteurs de biomasse, des porteurs, des fonctionnaires des services forestiers et autres. La recherche a révélé une liste de préoccupations et de problèmes qui nécessitent une attention urgente et montrent comment l’expansion continue de la production d’énergie biomasse au Népal entraînera sans aucun doute des impacts environnementaux, sociaux, économiques et sanitaires négatifs sur la communauté locale, en particulier les femmes.

La biomasse forestière préserve les paysages, les sols et les ressources en eau. La collecte de résidus forestiers tels que les branches, les feuilles et les écorces peut finir par réduire la matière organique et les minéraux de la couche arable de la forêt si elle est effectuée fréquemment, exposant ainsi le sol forestier à diverses conditions difficiles. Parallèlement, l’abattage des arbres pour la production de granulés n’est pas bénéfique sur le plan écologique. Elle peut entraîner la perte de microbes dans le sol, ce qui conduit finalement à la perte de la biodiversité du sol forestier, car tous les organismes vivants de la forêt ont tendance à dépendre directement ou indirectement de la biomasse forestière pour se nourrir ou s’abriter. La perte d’habitat peut être un impact majeur de la collecte de biomasse forestière à long terme.

Au cours d’observations de terrain récentes effectuées par NAFAN, les principales préoccupations relatives à l’expansion de la production bioénergétique à échelle industrielle étaient les suivantes : accès réduit et rareté des ressources forestières ; manque d’accès aux pâturages pour le bétail communautaire ; augmentation de la pollution atmosphérique et des impacts négatifs sur la santé ; rétributions non équitables de la part de l’entreprise pour l’extraction de la biomasse ; collecte non durable de la biomasse forestière, qui inclut même des branches d’arbres ; et érosion de la prise de décision et de l’autorité de la foresterie communautaire, ce qui a conduit à une augmentation des conflits entre les communautés locales et les entreprises impliquées dans la production bioénergétique.

Une préoccupation majeure soulevée par la communauté locale du district de Salahi concerne les restrictions d’accès et de collecte des produits forestiers. Selon nos interlocuteurs, la communauté locale ne peut pas collecter les déchets forestiers sur les sites du projet en raison d’accords entre Bakas et le Conseil national de développement forestier. Les femmes des communautés locales sont particulièrement touchées par cette situation, car elles sont principalement responsables de la collecte d’herbe, de fourrage et de bois de chauffage.

Un autre problème soulevé par la communauté locale et les fonctionnaires locaux était que l’entreprise prélevait probablement plus de biomasse dans la forêt que ne le permettait son accord avec le gouvernement népalais. En l’absence d’un mécanisme de suivi approprié, il n’existe pas de données officielles sur la quantité et la forme de la biomasse collectée par l’entreprise, ni sur quand et d’où elle a été prélevée.

Un autre problème concerne les allégations selon lesquelles l’entreprise extrait la biomasse de la forêt sous des formes qui ne sont pas autorisées dans son accord avec le gouvernement. Des membres de la communauté locale et des fonctionnaires forestiers du gouvernement ont affirmé à NAFAN que Bakas prélevait du bois vivant, des branches d’arbres et d’autres formes non autorisées de biomasse forestière. Les membres de la communauté se sont également plaints que l’entreprise ne payait pas les tarifs convenus pour la collecte de la biomasse, qu’elle ne respectait pas ses obligations et ses engagements et qu’elle causait des difficultés économiques supplémentaires à la communauté locale.

Les communautés autochtones et tribales marginalisées dépendent toujours des produits forestiers pour leur subsistance quotidienne : nourriture, abri, emploi et commerce. La surexploitation des ressources forestières pour répondre à la production de biomasse à échelle industrielle va inévitablement perturber la biodiversité des forêts, dégrader les sols et finalement affecter la bioculture, les valeurs médicinales et la production de nourriture sauvage qu’offrent la forêt et qui constituent la base de la subsistance traditionnelle des communautés autochtones.

Les femmes de la communauté locale qui ont parlé à NAFAN ont déclaré que la raréfaction de l’herbe, du fourrage et des autres produits forestiers entraînera une augmentation des conflits au sein de leurs communautés. Les femmes étant les principales responsables de la collecte du bois de chauffage, du fourrage et des feuilles mortes, elles souffriront de manière disproportionnée, devant parcourir de plus longues distances pour se procurer ces ressources.

Des familles et des petits agriculteurs qui élèvent des chèvres, des vaches et des buffles ont exprimé des préoccupations similaires. Ils ont déclaré à NAFAN qu’en raison des plantations d’eucalyptus et de la production effrénée de biomasse, les agriculteurs sont confrontés à une pénurie d’herbe, de fourrage, de débris de feuilles et d’autres produits forestiers dont ils ont besoin pour leur bétail. « La plantation en monoculture fait que nous ne trouvons pas facilement de l’herbe et du fourrage dans notre forêt », a déclaré à NAFAN une agricultrice de 56 ans.

Le retrait à grande échelle de la biomasse du sol de la forêt affecte également la capacité de rétention d’eau du sol forestier, ce qui entrave le renouvellement des nappes phréatiques et conduit finalement à l’assèchement des sources naturelles et des petites rivières à l’intérieur de la forêt. Pour les animaux tels que les cerfs, les singes et les porcs sauvages, qui dépendent du sous-bois pour se nourrir, la récolte des arbustes et des herbes cause une diminution de la nourriture disponible. Cela entraîne de plus en plus de pertes des récoltes agricoles, car les animaux cherchent d’autres sources de nourriture.

Un an à peine après le début des activités, ces problèmes ont généré un conflit entre la communauté et l’entreprise au sujet du projet, et des appels ont été lancés pour que l’accord entre Bakas et le gouvernement soit révoqué. Comme beaucoup de ces problèmes affectent les femmes de manière disproportionnée, notamment l’accès restreint aux produits dérivés de la forêt, elles sont en première ligne de ce conflit. Toute extension du projet aggraverait ces impacts négatifs et les conflits dans la région. 

Il n’y a eu aucune réponse satisfaisante de la part de Bakas ou du gouvernement face à ces impacts économiques, sociaux, sanitaires et environnementaux.

Conclusion et recommandations

La stratégie du Népal en matière énergétique ne tient pas compte de toutes les conséquences de la promotion de la production industrielle de bioénergie à partir de la biomasse forestière. Les preuves recueillies sur le terrain montrent que, même si elle n’en est qu’à ses débuts, l’industrialisation du secteur a déjà un impact négatif sur les communautés locales et les forêts. 

Les forêts fournissent des services et des produits essentiels à la vie de millions d’humains et d’animaux sur toute la planète. De nombreuses communautés autochtones et tribales marginalisées dépendent encore des produits forestiers pour leur survie quotidienne, notamment pour se nourrir, s’abriter, travailler et faire du commerce. Comme le montre cette étude sur les impacts dans le district de Sarlahi, la production industrielle de bioénergie à partir de la biomasse forestière menace les droits des Peuples Autochtones et des autres peuples et communautés qui dépendent de la forêt. Toute production de bioénergie d’origine forestière à échelle industrielle portera inévitablement atteinte à l’environnement et aux communautés locales, en particulier aux femmes dans toute leur diversité, et ne contribuera pas aux efforts mondiaux visant à atténuer le changement climatique.

Le gouvernement du Népal devrait mettre en œuvre les recommandations suivantes afin de protéger les forêts népalaises de l’exploitation par l’industrie de la bioénergie et de garantir les droits des personnes et des communautés dépendantes des forêts :

  1. Stopper et éviter la production et l’utilisation industrialisées et à grande échelle de la biomasse forestière pour produire de l’énergie. Le Népal doit réviser sa stratégie et sa politique en matière de bioénergie pour se concentrer sur les véritables énergies renouvelables. La politique devrait plutôt être centrée sur le développement de véritables sources renouvelables à faibles émissions, telles que l’énergie solaire et éolienne, qui n’endommagent pas la biodiversité ou la densité et la capacité des forêts à capturer le carbone, conformément aux engagements internationaux du Népal en matière de droits humains et de changement climatique.
  2. Garantir et protéger les droits des populations qui dépendent des forêts, y compris les femmes et les autres communautés marginalisées : les politiques et lois gouvernementales, notamment celles relatives à la gestion et à l’utilisation des ressources forestières, doivent garantir que la protection des droits des Peuples Autochtones et des autres communautés marginalisées, y compris les jeunes et les femmes dans toute leur diversité, prévaudra sur les intérêts des entreprises privées qui cherchent à exploiter les ressources forestières.
  3. Établir un mécanisme de gouvernance de la bioénergie inclusif et transparent qui assure une réglementation et une surveillance efficaces de l’énergie biomasse pour un usage local et domestique et qui établisse des garanties sociales et environnementales, notamment des réglementations sur les émissions de gaz à effet de serre, la pollution et la qualité de l’air, et qui garantisse l’accès des communautés marginalisées à des sources d’énergie propres, fiables et abordables.

La terre n’est pas à vendre, l’air n’est pas à vendre : l’initiative REDD+ en Colombie

Par Andrea Echeverri Sierra -Censat Agua Viva, Les Amis de la Terre – Colombie

« La colonisation s’est faite tardivement chez les femmes : on nous prenait si peu en considération, que notre système de pensée n’avait aucune valeur. C’est pour cette raison que nous conservons l’ancestralité, le sacré et la volonté de prendre soin de la nature sans lui attribuer un prix. »

–Lourdes Contreras, Marche mondiale des femmes, Macronorte Pérou. Forum sur les droits de la nature.

Les politiques adoptées par le gouvernement de la Colombie en matière d’environnement ont suivi avec enthousiasme les directives internationales : de fait, après avoir ratifié le protocole de Kyoto, la Colombie a commencé à promouvoir des mécanismes de flexibilité climatique, notamment des mécanismes de développement propre (MDP). Depuis les années 2000, le pays a reconnu de larges possibilités de compensation du carbone forestier. A la suite de la signature de l’Accord de Paris en 1997, la Colombie a concentré ses réponses sur la compensation des émissions de gaz à effet de serre (GES) par le biais d’instruments économiques de tarification du carbone plutôt qu’en misant sur leur réduction effective. En 2018, l’Association internationale pour l’échange des droits d’émission (IETA de son acronyme anglais) a même remis à la Colombie le Prix du Champion de la tarification du carbone lors de la COP24 afin de souligner ​​« son leadership dans la promotion de la tarification et la compensation du carbone comme instruments pour lutter contre les changements climatiques. »

 

L’un des principaux instruments pour les programmes de compensation des émissions de carbone de la Colombie est la REDD+. Il s’agit d’une initiative mondiale majeure lancée en 2013 afin de, soi-disant, réduire les émissions qui engendrent les changements climatiques en offrant des incitations financières aux pays dans le but de prévenir la déforestation. L’initiative REDD+ (Réduction des émissions provenant du déboisement et de la dégradation des forêts) est mise de l’avant comme une option inclusive et créative pour lutter contre la crise environnementale et la déforestation en récompensant les communautés par la conservation et l’amélioration des stocks de carbone forestier. Toutefois, l’initiative REDD+ est de plus en plus dénoncée comme une menace aux efforts d’atténuation qui déplace le fardeau sur les populations et les lieux les moins responsables des changements climatiques et par conséquent, les moins aptes à y faire face, agissant ainsi comme une distraction de la nécessité de réduire les émissions à leur source.

La Colombie possède différentes caractéristiques qui ont permis l’instauration de conditions favorables pour la mise en œuvre de la REDD+ : de fait, 59% de ses émissions proviennent du changement d’utilisation des terres, et 31% sont causées par la déforestation. En outre, en 2018, le pays détenait 52,6% de la superficie du continent en forêts naturelles, et 33,6% du territoire national, soit approximativement 25,5 millions d’hectares, appartiennent à des communautés ethniques ou rurales. La Colombie accueille actuellement des programmes REDD+ juridictionnels et basés sur des projets durables, à faible émission de carbone et soutenus par l’État colombien, tels que Visión Amazonía et Biocarbono Orinoquía Paisajes, ainsi qu’un nombre indéterminé de projets du secteur privé: effectivement, selon la base de données internationales sur les projets et programmes de la REDD+, 55 projets sont répertoriés pour 2021, y compris les projets de gestion durable des forêts (GDF), de boisement, de reboisement et de revégétalisation (ARR) et de REDD. 

 

En 2018, le ministère de l’Environnement et du Développement durable a publié la résolution 1447 qui établit le système de surveillance, de notification et de vérification des mesures d’atténuation à l’échelle nationale et plus spécifiquement le Registre national de réduction des émissions des gaz à effet de serre (RENARE de son acronyme espagnol). Le RENARE n’est toutefois pas sans failles : de fait, il a été inaccessible pendant plusieurs mois de 2022, y compris au moment de sa rédaction. Ce registre prétend « gérer l’information à l’échelle nationale des initiatives d’atténuation des GES qui prévoient opter pour des paiements versés pour les résultats ou des compensations ». En d’autres termes, le pays prévoit la mise en place d’une logique de compensations plutôt que de réductions effectives. Tous les projets et les programmes des MDP, de développement faible en carbone et de l’initiative REDD+ doivent être déclarés dans le RENARE. La Colombie impose également une taxe carbone depuis 2017, mais celle-ci peut être éludée en acquérant des crédits carbone que les entreprises peuvent utiliser pour proclamer leur neutralité carbone et ainsi non seulement aggraver la crise climatique, mais également les impacts territorialisés des industries extractives qui bénéficient de ce blanchiment d’image.

 

Une autre grande préoccupation concernant les initiatives REDD+ en Colombie, est le manque d’information et l’incompréhension parmi les communautés touchées qui participent à ces projets, en particulier les peuples autochtones. ​​« Les communautés où les projets sont mis en œuvre ne sont pas familières avec ces termes. Les communautés pensent qu’elles vendent de l’oxygène qui sera mis en conserve ou emballé dans des sacs et ensuite envoyé dans des pays qui ont pollué leur air, contre rien en échange. En réalité, elles sacrifient leurs droits d’usage territoriaux, ce n’est pas vraiment pour rien », affirme Luz Mery Panche Chocué, une femme autochtone Nasa de la municipalité de San Vicente del Caguán située dans la région amazonienne. 

 

De plus, selon l’interprétation de la leader, les communautés renoncent à leurs droits pour très peu, ou au mieux, pour un pourcentage qui ne représente pas les profits. Un rapport publié en 2016 par Forest Trends sur le suivi du financement de l’initiative REDD+ entre 2009 et 2014 a signalé que sur les 55 millions de dollars déboursés pour le financement international au cours de cette période, seulement 6,4 millions étaient destinés à des organisations communautaires comme premières bénéficiaires, contre 14,5 millions perçus par des entreprises et des consultants internationaux, ainsi qu’un montant de 16 millions pour des fondations et des ONG nationales et internationales.

 

Des visites des territoires où sont mis en œuvre les projets REDD+ en Colombie, y compris dans le cadre du marché réglementé, ont révélé que, dans certains cas, les ressources n’arrivent pas aux mains des communautés. De fait, les dirigeants masculins les utilisent à des fins lucratives personnelles tels que l’achat de motos ainsi que pour le financement de campagnes politiques ce qui contribue à accroître l’inquiétude des femmes des communautés. Malgré que les contrats des projets REDD+ soient difficiles d’accès, Luz Mery Panche et María Rosario Chicunque, une femme autochtone de Kamnsá et fondatrice de l’Association de femmes autochtones (ASOMI de son acronyme espagnol), ont signalé que ces accords sont généralement signés par les hommes, laissant ainsi de côté les besoins, les rôles de participation et les subjectivités des femmes, ainsi que les modes de vie de la communauté. Les hommes des communautés autochtones sont de plus en plus impliqués dans ces actes de corruption éveillant ainsi les soupçons des femmes dans les territoires autochtones et créant des divisions au sein de la communauté.

De surcroît, au niveau macro, le panorama ne semble pas favorable pour les femmes: effectivement, malgré l’intention de représenter la perspective de genre au sein des programmes REDD+ de l’ONU avec, par exemple, la publication du rapport « Etude de faisabilité sur l’inclusion de la perspective de genre dans la REDD+ » de 2011, la participation effective des femmes dans ces mécanismes est soumise à une « stratégie de développement » hégémonique. Celle-ci est liée à la commercialisation du climat et de l’environnement, au lieu de créer des bénéfices réels pour les communautés de femmes qui vivent dans les forêts et les protègent. Selon l’analyse de Hannah Yore, ce rapport « justifie l’importance de la perspective de genre en se basant sur l’hypothèse que les femmes sont des investissements « productifs et rentables », au lieu d’avancer l’idée qu’elles ont le droit d’exprimer leurs opinions sur le type de développement qu’elles souhaitent ou si elles recherchent véritablement quelconque type de « développement ».

Le respect des coutumes et des modes de vie traditionnels que développent les femmes autochtones et rurales des biomes contredit ce régime climatique. Outrepasser la construction occidentale des identités féminines est un autre débat complexe qui consiste à problématiser des multiples formes de colonisation et de résistance en Amérique latine. 

 

« Le programme REDD de l’ONU ignore comment le femmes latinoaméricaines ont résisté, et continuent de résister, aux initiatives de développement néolibéral. Afin de mieux comprendre les besoins et les désirs des femmes, il est nécessaire de contextualiser les moyens par lesquels les individus construisent leurs propres identités, non seulement en fonction de leur genre, mais également en relation avec leurs coutumes culturelles, leurs visions du monde et leurs modes de vie ancrées dans les lieux », déclare Yore. L’Amérique latine est un territoire complexe avec une histoire marquée par l’extractivisme. Cela exige des solutions climatiques basées sur des mécanismes d’atténuation construits à partir des communautés qui incluent les femmes comme sujets politiques en résistance à toute forme de domination, plutôt que des fausses solutions simplistes et axées sur le commerce.

 

Par ailleurs, l’incompréhension des communautés quant aux projets d’achat et de vente de carbone, et plus particulièrement des projets REDD+, représente un scénario propice à l’avancement d’entreprises dont les références écologiques, sociales et même juridiques sont souvent discutables et encadrées dans un marché volontaire du carbone, ayant proliféré en Colombie sans aucune barrière.

Effectivement, deux déclarations d’instances gouvernementales se sont avérées éclairantes : d’abord, Corpoamazonia, la première institution écologique au niveau régional dans le sud de l’Amazonie colombienne, a recommandé aux communautés, dans un communiqué public émis en 2019, de s’abstenir de remettre des documents, de l’argent ou de l’information aux coopératives ou aux ONG pour les projets de vente ou d’achat de bons de carbone, en raison des risques de fraude ou d’escroquerie ainsi que de la méconnaissance des avantages. La plupart de ces initiatives sont des projets REDD+. La seconde déclaration peut être trouvée dans un rapport de 2020 sur la déforestation en Amazonie, dans lequel, le Bureau du Contrôleur général de la République a publié les réponses du Ministère de l’Environnement face aux plaintes des citoyens concernant le projet REDD+ « Réserve autochtone unifiée de la forêt de Mataven ». L’objectif de ce programme REDD+, développé dans un territoire autochtone de l’est du pays, est l’atténuation des émissions de GES dont les soi-disant réductions de 19,6 millions de tonnes de d’équivalent CO2, certifiées par Verra, ont été remises en cause puisque les calculs se basaient sur une référence plus élevée en matière de déforestation que le reste de l’Amazonie. Ce projet est le plus grand du pays couvrant une superficie de plus de 1,5 millions d’hectares.

 

La réponse textuelle du ministère de l’Environnement est la suivante : « Considérant qu’il s’agit d’un marché, « il n’existe pas de règles d’exploitation établies dans des instruments normatifs ou autres de nature contraignante émis par les gouvernements nationaux » de sorte que le gouvernement national n’a aucune pouvoir d’ingérence directe dans ce type de projets ».  Cette déclaration traduit le fait que le gouvernement colombien n’a aucun contrôle sur la comptabilité climatique de ces projets, ni ne peut garantir les droits de la population dans les zones où ils sont mis en œuvre.

 

Le projet de la forêt de Mataven est révélateur des risques climatiques liés à ce type de mécanisme. Il existe de nombreux autres projets tout aussi problématiques, notamment ceux où les initiatives de compensation carbone REDD+ permettent et favorisent la poursuite des activités induisant le changement climatique. L’un des exemples les plus flagrants est celui des mines de charbon à ciel ouvert de Glencore dans les Caraïbes colombiennes, les plus grandes du genre au monde. Le bilan de Glencore en matière de violence et de violations des droits humains est bien connu, et les mines ont dévasté les communautés autochtones et afro-colombiennes du département de La Guajira, qui souffrent, entre autres, d’une pénurie mortelle d’eau.

Glencore revendique la « neutralité carbone » à travers l’achat de crédits carbone de REDD+, lui permettant d’étendre ses frontières géographiques et de continuer à contribuer à l’augmentation des émissions, ainsi qu’aux effets socio-écologiques néfastes au niveau local. Ce cas particulier implique Glencore mais illustre une tendance et une possibilité pour les entreprises polluantes à travers la Colombie. 

Bien que les réductions d’émissions ne soient pas réelles, la pollution l’est, tout comme le contournement des véritables mesures pour lutter contre la déforestation. En Colombie la déforestation n’a pas été radicalement transformée par les projets REDD+, qu’ils émanent du secteur public ou du secteur privé. Bien que plus de la moitié du pays soit couverte de forêts, entre 1900 et 2018, plus de cinq millions d’hectares de forêts ont disparu. En tant que mécanisme basé sur le marché qui cherche à maximiser les profits ou les résultats, la REDD+ aggrave les injustices socio-écologiques, notamment en ce qui concerne la souveraineté culturelle, l’accès à la terre et le partage des bénéfices. D’une part, elle permet aux grands pollueurs de reverdir leur image et de continuer à se développer, tandis que, d’autre part, elle impose des conditions aux peuples qui habitent les territoires à « conserver », et modifie leur culture, qui a été au cœur du soin et de la conservation des forêts et des jungles.

Bien que les gouvernements colombiens successifs aient vanté la REDD+, et plus largement, les mécanismes de flexibilité, comme un grand succès, les critiques et les craintes qu’elle a soulevées se retrouvent dans la réalité sur le terrain. Bien que la Colombie ait créé une architecture d’avant-garde pour inclure ses forêts dans les schémas carbone, la REDD+ n’a pas réussi à les protéger, ni à empêcher l’avancée de l’extractivisme fossile, qui menace l’avenir de toutes les formes de vie. Malheureusement, l’actuel gouvernement de Gustavo Petro ne laisse pas présager, dans ses discours, une rupture avec la logique de commercialisation de la nature qui caractérise la REDD+ et ses différents mécanismes.

Néanmoins, les objections à ce type de projets, qui se limitaient à quelques voix dans le pays, il y a des années, semblent avoir trouvé un nouvel élan grâce aux faits, et non aux chiffres trompeurs présentés par les promoteurs de la REDD+. Il est révélateur que les voix des femmes aient été au premier plan dans différents territoires des Caraïbes, des Andes et de l’Amazonie. Préoccupées par la perte d’identité, de culture et de spiritualité qui a garanti leurs moyens de subsistance et leurs modes de vie, les femmes s’opposent avec défi aux projets qui dictent comment prendre soin et comprendre leurs forêts et leurs territoires.

Pour cette raison, des visites de certains territoires socio-biodiversifiés en Colombie ont permis de vérifier comment, depuis des décennies ou des centaines d’années, les femmes et les jeunes dénoncent les risques de concéder leur territoire à des acteurs dont les intérêts ne sont pas clairs pour eux. Ils attirent l’attention sur la nécessité de renforcer la spiritualité pour guérir les blessures environnementales actuelles et surmonter l’exclusion dans les processus décisionnels dont ils sont souvent victimes. Ces voix déterminées sont un appel à la sagesse de demander des changements profonds à un système qui colonise les femmes, la nature et les peuples. Nous nous joignons à ces femmes dans leur cri : « L’eau n’est pas à vendre, la terre n’est pas à vendre, l’air n’est pas à vendre ! ».

 

La résistance mondiale aux fausses solutions

Comment les intérêts des plus puissants ignorent les racines de la crise climatique, et les actions menées par les personnes pour y remédier.

Par Megan Morrissey, Global Forest Coalition

Les fausses solutions à la crise climatique ne s’attaquent pas aux problèmes actuels et font croire aux gens qu’elles sont efficaces, souvent grâce aux discours manipulateurs des entreprises et des gouvernements. Malheureusement, elles provoquent des problèmes supplémentaires qui aggravent le changement climatique et la perte de biodiversité, déplacent les communautés et détruisent les moyens de subsistance.

Ce constat est familier aux groupes membres de la Global Forest Coalition dans le monde entier. Ils ont été les témoins directs des impacts du greenwashing : des projets « attrayants » élaborés par le Nord qui dévastent l’environnement et les communautés locales. 

Pour bénéficier de leur expertise, nous avons organisé une série de webinaires visant à démystifier les fausses solutions à la crise climatique telles qu’elles sont vécues sur le terrain, et à explorer des alternatives en Amérique latine, en Asie et en Afrique. Trois rencontres multilingues ont eu lieu en août et septembre 2022, avec des experts et des militants originaires de ces trois régions, qui ont partagé leurs points de vue avec nous. Cet article recueille les idées exprimées lors de ces sessions.

Définir les fausses solutions

Les fausses solutions à la crise climatique sont nombreuses et difficiles à définir succinctement ; toutefois, elles sont facilement reconnaissables et, comme le dit la sagesse populaire, vous les reconnaitrez quand vous les verrez. Un indice est qu’elles sont portées par des acteurs puissants, tels que les dirigeants des compagnies pétrolières. Les participants aux webinaires ont exprimé des idées communes et complémentaires sur ce que sont les fausses solutions, et ont partagé des histoires similaires sur les dommages causés aux communautés et aux sociétés sur les trois continents.

Stephen Leonard, du Climate Justice Programme en Australie, a proposé de définir les fausses solutions comme suit : « [Les fausses solutions sont] des solutions qui prétendent aborder les problèmes clés, alors qu’en réalité, elles ne font que perpétuer le statu quo, non durable, et pire encore, ce sont des « solutions » qui peuvent affecter et violer encore plus les droits de la Nature ». Il a énuméré cinq éléments fondamentaux qui caractérisent les fausses solutions :

  • Elles représentent souvent les intérêts des grandes entreprises et des pays les plus émetteurs.
  • Elles perpétuent le changement climatique, la destruction de la biodiversité et l’érosion des droits des personnes.
  • Elles provoquent des déplacements et des violations des droits des Peuples Autochtones et des communautés locales.
  • Elles sont maquillées par des systèmes de certification, des normes et des critères qui promeuvent des activités qualifiées de « durables » et qui portent atteinte à l’environnement.
  • Elles ne s’attaquent pas aux causes profondes du changement climatique et peuvent l’aggraver.

En Indonésie, comme l’explique Titi Soentoro de l’organisation Aksi ! pour le genre, la justice sociale et écologique, les fausses solutions ne tiennent pas compte de la situation sociale, économique et environnementale de la communauté, et en particulier des femmes. Elles violent les droits des personnes à l’information, à la prise de décision, à un environnement sain, à l’accès à l’eau et à d’autres besoins quotidiens essentiels. C’est pourquoi il ne pourra y avoir de justice climatique sans justice de genre, a-t-elle déclaré : « Les vraies solutions doivent tenir compte de la situation des femmes ».

Pour expliquer les fausses solutions, Catalina Gonda de la Fundación Ambiente y Recursos Naturales (FARN) en Argentine, a utilisé la métaphore de la solution par opposition à la suspension en chimie. Une solution est un mélange homogène de deux ou plusieurs substances, alors que dans une suspension, les substances ne se mélangent pas (imaginez les différentes couches d’un cocktail). Les fausses solutions à la crise climatique sont comme ces « suspensions », a-t-elle dit, car elles traitent les problèmes séparément et ignorent l’interrelation et l’interdépendance entre les composants de notre système planétaire complexe. En revanche, les vraies solutions abordent de manière holistique des enjeux tels que les écosystèmes et les moyens de subsistance. Gonda nous incite à nous méfier :

  • Des actions qui ne cherchent qu’à modifier certains éléments du système et évitent les changements structurels.
  • Des actions qui sont présentées comme une panacée.
  • Des actions qui compromettent ou nuisent à d’autres éléments du système.
  • Des actions qui s’appuient sur des technologies prospectives ou des bénéfices futurs lointains.
  • Des actions qui perpétuent les inégalités structurelles.

Les multiples crises sociales et environnementales que nous connaissons ne peuvent être traitées séparément, et leur complexité exige une approche systémique et un changement structurel, a déclaré Gonda. Les fausses solutions évitent de tels changements profonds dans la façon dont nous interagissons avec la planète et favorisent plutôt les relations de pouvoir existantes. Ces exemples précis de fausses solutions, exposés lors des sessions, le montrent clairement.

Des exemples du Sud global

Les solutions fondées sur la nature sont souvent « un loup déguisé en agneau », a déclaré Stephen Leonard, parce qu’elles conduisent à des plantations d’arbres en monoculture et à d’autres stratégies bien connues auxquelles on a donné une nouvelle image de marque. La science montre que les plantations ont un potentiel d’atténuation faible, voire nul, par rapport à d’autres approches telles que la protection et la restauration des écosystèmes naturels.

La bioénergie est l’une de ces « solutions » à effet boomerang : elle exploite les arbres comme elle le faisait avant avec le charbon, et une grande partie du biocarburant provient de plantations d’arbres en monoculture, ce qui accentue la pression sur les terres et évince les petits agriculteurs. Au lieu d’aller vers les énergies renouvelables, les financements sont déviés vers le marché international de la bioénergie, qui accapare l’attention et fait oublier l’élimination progressive des combustibles fossiles. Par exemple, la tendance est à la poursuite de l’utilisation des centrales à charbon, reconvertie pour brûler de la biomasse – un « arrangement douteux » qui maintient en place les mêmes infrastructures polluantes.

REDD est un autre exemple de stratégie développée par les intérêts puissants pour éviter de s’attaquer aux racines réelles de la crise climatique, selon les mots d’Andrea Echeverri, de Censat Agua Viva, en Colombie. La Colombie a été un terrain fertile pour les projets REDD et REDD+, au détriment des communautés et des forêts (voir son article dans ce numéro). Elle a averti que REDD met un prix sur les forêts et comporte de sérieux risques climatiques ainsi que des impacts en termes de genre.

Les marchés du carbone, basés sur le commerce des crédits carbone, obligent les pays du Sud global à résoudre les problèmes causés par le Nord et à faire le travail réel nécessaire pour atteindre les objectifs climatiques, a déclaré Maureen Santos, de la Federation of Organs for Social and Educational Assistance (FASE) au Brésil. Ils ne tiennent pas compte non plus de l’intégrité environnementale, qui concerne tous les écosystèmes et toutes les populations de ces territoires.

Les mécanismes de marché tels que ceux adoptés lors de la COP21 à Paris n’abordent pas les questions de droits et réduisent le débat sur le climat à la problématique des émissions ; mais il est impossible de traduire la complexité de la crise climatique en termes de comptabilité carbone, a déclaré Santos. De même, Echeverri a souligné que « nous avons tous dû apprendre à « parler le carbonais » (une expression empruntée à la chercheuse brésilienne Camila Moreno) pour discuter de la crise climatique en termes d’unités de carbone, alors qu’il s’agit en fait d’une crise sociale, politique et environnementale.

Vanessa Cabanelas, de Justiça Ambiental au Mozambique, a expliqué que la compensation carbone par la reforestation et d’autres projets REDD facilite l’accaparement des terres. Dans les pays où des taux élevés de pauvreté cohabitent avec des ressources naturelles abondantes, les gouvernements courtisent les investissements directs étrangers du Nord sous la forme de projets à grande échelle, gourmands en terres et en ressources, comme les plantations en monoculture, les barrages et l’exploitation des combustibles fossiles. Les puissantes institutions financières internationales, qui fournissent la moitié du budget d’un pays comme le Mozambique, soutiennent ces types de projets extractivistes. Le pays a remanié ses politique foncière et forestière nationales pour y inclure de fausses solutions, dont la compensation, et les rendre plus favorables à des entreprises comme Portucel, ainsi que l’a expliqué Cabanelas.

Bien qu’il soit souvent présenté comme tel, le net zéro ne signifie pas zéro émission, comme l’ont souligné plusieurs participants aux ateliers. Il s’agit d’une vision habituelle des tenants de la compensation carbone, qui a été introduite dans l’Accord de Paris. Stephen Leonard a expliqué que le net zéro donne une fausse impression de pouvoir compenser l’augmentation des émissions en éliminant le CO2 grâce à des puits, qui ne sont en fait pas permanents, car « comme nous le savons, les forêts brûlent, les écosystèmes se dégradent, surtout dans un monde plus chaud. Ces absorptions deviennent donc ce que l’on appelle des inversions et ces émissions retournent dans l’atmosphère ».

Les technologies de géo-ingénierie visent à retirer les gaz à effet de serre de l’atmosphère par des méthodes axées sur l’élimination du dioxyde de carbone ou CDR, ainsi que l’a expliqué Neth Daño, du ETC Group aux Philippines. Trois grandes méthodes de CDR intéressent fortement les entreprises : le captage direct de l’air (pour aspirer le carbone ou le méthane de l’atmosphère), le captage et le stockage du carbone, et la bioénergie avec captage et stockage du carbone (BECCS) pour brûler la biomasse, séquestrer le carbone et le stocker dans des formations géologiques, ce qui a des impacts dévastateurs sur la terre, l’eau et la biodiversité.

L’élimination n’est pas une mesure d’atténuation, a prévenu Daño, car elle ne vise pas à prévenir ou réduire les émissions de gaz à effet de serre mais plutôt à leur permettre de se maintenir. Cependant, les termes ont été utilisés à tort de manière interchangeable, même par les négociateurs lors des réunions des Nations unies sur le climat. 

Que se cache-t-il sous la surface ?

Les fausses solutions sont la façade que les gouvernements et les entreprises néolibérales utilisent pour continuer à faire du profit et à polluer, aggravant la crise climatique, affectant les populations les plus vulnérables, y compris les filles et les femmes – en particulier les groupes de paysans, d’Autochtones, d’Afro-descendants, d’immigrants et d’autres groupes historiquement exclus et discriminés. 

Cet argument a été présenté par Johanna Molina du Colectivo VientoSur au Chili, qui a présenté une analyse écoféministe des impacts des fausses solutions. Elle a expliqué comment cette situation entraîne la pauvreté, l’inégalité et la migration forcée, ce qui ajoute aux obstacles rencontrés par les corps féminisés.

Dans le système capitaliste colonialiste et patriarcal, qui transforme toute vie en marchandise mise au service du capital, nous ne voyons généralement que la « pointe de l’iceberg », c’est-à-dire l’espace masculinisé du marché, a déclaré Molina. Sous la surface, se trouve l’essentiel de l’activité qui soutient le système et la vie dans son ensemble : les relations, les processus, la sphère reproductive, le travail domestique et les soins, la participation communautaire – tout ce qui ne transite pas par le marché mais est nécessaire pour le faire vivre. 

Ce travail non monétaire est dévalorisé et rendu invisible. Pourtant, il constitue la plupart des activités qui assurent la survie quotidienne et sont traditionnellement prises en charge par les femmes et les corps féminisés, comme le fait de s’occuper de la nature, des semences, des jardins et des forêts, a expliqué Molina. Cela est lié à la division sexuelle du travail dans un système patriarcal, qui attribue une plus grande valeur au travail des hommes. Dans ce scénario, la relation avec la nature est une relation d’exploitation et de domination, similaire à la condition des femmes qui sont opprimées par la domination de leurs corps, de leur travail et de leurs territoires.  

Que cela a-t-il à voir avec les fausses solutions climatiques ? Tout, pour ainsi dire. Nous savons qu’elles sont en fait de « viles combines » qui évitent de s’attaquer à la crise climatique et l’aggravent même, en rendant la survie quotidienne plus difficile et en rejetant le fardeau sur les personnes exploitées. Prendre soin de la famille devient difficile à cause de l’accaparement des terres et de la raréfaction de l’eau, due à son utilisation indiscriminée dans des mégaprojets comme les plantations forestières, qui remplacent les forêts autochtones et les terres arables. Il devient plus difficile de produire de la nourriture, on observe des empoisonnements chimiques, des feux de forêt et une augmentation de la violence sexiste. Au Chili, des entreprises forestières comme Arauco (qui a été certifiée « neutre en carbone » en 2020) ont pris 90% du territoire de la communauté Curanilahue, provoquant dépossession et pauvreté.

Concernant le genre et les projets énergétiques, Titi Soentoro a partagé des histoires de femmes d’Indonésie, notamment d’un village du centre de Java, qui a vu son eau potable polluée et ses revenus et moyens de subsistance détruits par un projet géothermique. Une femme de la région a déclaré : « Nous ne sommes plus en mesure de joindre les deux bouts. La charge pour maintenir mon foyer est devenue plus lourde… Nous priver d’eau potable est un acte de violence envers nous, les femmes et les filles ».

Ce phénomène se produit partout en Amérique latine, en Afrique et en Asie. Comme l’a expliqué Molina, la pénurie d’eau entraîne l’insécurité alimentaire, les femmes doivent aller plus loin pour trouver de l’eau, les écoles rurales sont fermées, et on assiste à une migration forcée ainsi qu’à la perte des cultures et des moyens de subsistance. Cette situation engendre la maladie, la peur et le stress, avec des taux plus élevés de maladies chroniques, de malformations congénitales et d’empoisonnement – ce que le patriarcat fait à nos corps ressemble à ce que l’économie extractiviste fait à la terre. Les femmes et la nature subissent le même traitement de la part des activités extractivistes, a-t-elle expliqué, et par conséquent, le corps féminin et la nature partagent une lutte commune pour se libérer de la domination et de la violence du patriarcat.

Les vraies solutions 

À l’image de Molina, plusieurs intervenants nous ont rappelé que le monde est confronté à un conflit persistant entre l’accumulation capitaliste et la durabilité qui affecte la manière dont nous nous organisons en tant que société, car nous sommes profondément éco-dépendants et interdépendants. Il n’est donc pas surprenant que les femmes, dans leur rôle de gardiennes de la vie, aient souvent été à l’avant-garde de la proposition de solutions réelles, comme la souveraineté alimentaire et l’agroécologie, les économies locales féministes et solidaires, la récupération de la sagesse ancestrale et la recherche d’autres moyens d’organisation sociale basée sur l’autodétermination des communautés.

Les vraies solutions existent, et nous les reconnaissons quand nous les voyons. Mais quelles sont leurs caractéristiques communes ? Peter Riggs, de la Climate Land Ambition and Rights Alliance (CLARA), a expliqué que les vraies solutions climatiques ont les impacts positifs suivants :

  • Elles renforcent les droits fonciers des communautés.
  • Elles augmentent le contrôle des communautés locales.
  • Elles augmentent la biodiversité.
  • Elles permettent la régénération des forêts naturelles.
  • Elles protègent les moyens de subsistance.

Les solutions fondées sur les droits, a-t-il dit, sont les solutions véritables et nécessaires. L’idée d’approches fondées sur les écosystèmes figure désormais dans la Convention sur la diversité biologique et devrait faire partie du débat sur le climat. Ainsi que l’a déclaré Riggs, face à des solutions fondées sur la nature et mal conçues, « nous répondons par la protection, la restauration et la gestion durable de la nature » – le processus en trois étapes que CLARA préconise et utilise comme baromètre pour déterminer les véritables solutions. Selon Riggs, « là où ils parlent de marchés du carbone, nous parlons d’approches non marchandes, de solutions communautaires, d’économie solidaire et de réalisation des ODD ».

Pour Soentoro, d’Indonésie, il est clair que nous avons besoin d’économies transformatrices qui renoncent aux pratiques extractives au profit d’une économie régénérative et à faible émission de carbone. Il ne s’agit pas seulement de changer nos pratiques énergétiques, mais d’opérer une transformation fondamentale axée sur les droits des personnes marginalisées et permettant aux communautés de déterminer leurs besoins énergétiques. Le travail domestique doit être reconnu et redistribué dans les communautés, et la sagesse et les expériences des femmes doivent être à la base des décisions concernant le climat, le développement ou les projets d’investissement.

Les vraies solutions concernent les personnes réelles, sur le terrain ; les gardiens traditionnels des écosystèmes et de la biodiversité, a déclaré Pasang Dolma Sherpa du Center for Indigenous Peuples’ Research and Development (CIPRED) au Népal. Elle a souligné que de nombreux négociateurs et agences internationales ne sont toujours pas sensibilisés au rôle des femmes, des Peuples Autochtones et des communautés locales et à leur contribution à la protection de la biodiversité, et qu’ils ignorent les réalités du terrain. C’est pourquoi les femmes, les Peuples Autochtones et les communautés locales doivent participer davantage aux plans climatiques nationaux, aux CDN et à la communication sur le climat. Les droits, les connaissances, les compétences et les moyens de subsistance traditionnels des Peuples Autochtones doivent être protégés et renforcés, car ils sont les principaux protecteurs des écosystèmes fragiles de la planète. Rien qu’en Asie, 150 millions de personnes vivent dans des aires protégées.

La question des espaces multilatéraux a également été soulevée par Martin Vilela de Corporate Accountability, qui a parlé de la mainmise des entreprises sur les négociations climatiques de l’ONU et de la façon dont cela a alimenté de fausses solutions. Les entreprises sont conscientes du changement climatique et placent leurs experts dans les négociations pour orienter les discussions et protéger leurs intérêts. Les conférences de l’ONU sont des espaces de plus en plus exclusifs, difficiles d’accès et difficiles à comprendre, et la société civile y joue un rôle de moins en moins important. Les campagnes Make Big Polluters Pay (Faire payer les gros pollueurs) et Kick Big Polluters Out (Chasser les gros pollueurs) sont des exemples de campagnes qui s’opposent à cette situation.

​​ La CCNUCC a déclaré avoir pour objectif d’aider les gouvernements et les acteurs sociaux à répondre conjointement aux ingérences humaines « dangereuses » dans le système climatique, ce qui signifie que les causes profondes de la crise climatique et les voix des personnes les plus touchées doivent être incluses dans les négociations et les décisions. Une véritable réponse mondiale au changement climatique doit inclure une participation plus efficace et équitable des Peuples Autochtones, des femmes rurales et d’autres titulaires de droits marginalisés, et moins d’entreprises. Une approche féministe, décoloniale et intersectionnelle efficace dans les mécanismes multilatéraux de mise en œuvre nous permettra de remédier aux déséquilibres de pouvoir et aux structures de privilège dans l’élaboration des politiques environnementales.

Une autre conférence de la CCNUCC sur le climat approche à grands pas : la COP27 en Egypte. Kwami Kpondzo de GFC a noté qu’il s’agira de la cinquième conférence de la CCNUCC organisée sur le continent au cours de ce siècle, et pourtant aucune ne s’est véritablement intéressée aux réalités et aux besoins des Africains. Une COP27 « africaine », a déclaré Kpondzo, devrait limiter la participation des promoteurs de fausses solutions et des pollueurs et offrir plus d’espace à la société civile, aux jeunes militants et aux communautés autochtones et locales touchées par la crise climatique. Nous avons besoin de voix critiques plus nombreuses et mieux informées dans les médias grand public, pour révéler ces fausses solutions mises sur la table des négociations. Nous avons également besoin de plus d’événements et d’actions communes autour des vraies solutions, a-t-il ajouté.

La voie à suivre

Pour faire barrage au discours séduisant des fausses solutions, les intervenants des trois régions ont déclaré que nous devons souligner l’importance de la restauration des forêts naturelles et des écosystèmes, travailler davantage à la reconnaissance des droits des Peuples Autochtones et des femmes, mettre l’accent sur les besoins d’adaptation des communautés (en remplaçant le discours de l’atténuation par celui de l’adaptation basée sur les besoins), et mettre en avant les initiatives de changement systémique comme le Traité de non-prolifération des combustibles fossiles.

Depuis les trois continents, les organisations membres de GFC ont unanimement condamné les fausses solutions. Les vraies solutions ne sont pas des remèdes miracles, mais elles sont la voie à suivre. Elles consistent à garantir les droits collectifs sur les forêts, les terres et l’eau, à conserver et à protéger la biodiversité et les fonctions des écosystèmes, et à assurer la justice sociale, climatique et de genre. Ce sont des objectifs ambitieux mais qui valent la peine.

 


Remerciements

 

Rédacteurs : Ismail Wolff, Chithira Vijayakumar, Coraina de la Plaza, Juana Vera Delgado, Megan Morrissey, Souparna Lahiri, Valentina Figuera Martínez

 

Traducteurs :

Espagnol : Amira Armenta, Megan Morrissey, Valentina Figuera Martínez

Français : Danae Serinet Barrera, Gaelle Le Gauyer, Rachel Babin

Arabe : Oussema Guesmi

 

Graphisme : Iximché Media

 

Cette publication a été produite avec le soutien de Women Engage for a Common Future (WECF) à travers la Green Livelihoods Alliance, financée par le ministère néerlandais des Affaires étrangères; Swedish Society for Nature Conservation; Heinrich Boell Foundation; Bread for the World; Environmental Paper Network; et Urgent Action Fund. Le contenu de cette publication relève de la seule responsabilité de la Coalition mondiale des Forêts (GFC) et ne peut en aucun cas être considéré comme reflétant les opinions des donateurs.

3 nov., 2022
Posted in Forest Cover, ressources et publications, Forêts et Changement Climatique