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Couverture forestière 61: #OurNatureIsNotYourSolution, Journée internationale de la biodiversité

Couverture forestière 61: #OurNatureIsNotYourSolution, Journée internationale de la biodiversité

Le 22 mai est la Journée internationale de la diversité biologique et le thème choisi par la Convention des Nations Unies sur la diversité biologique (CDB) cette année est « Nos solutions sont dans la nature ». Il s’agit d’une référence claire à des solutions basées sur la nature (NBS) de plus en plus populaires en tant que stratégie pour atténuer le changement climatique et la perte de biodiversité. Malheureusement, NBS en tant que concept a été tordu par les entreprises et les gouvernements pour rebaptiser faussement des pratiques très dommageables en « verts ».

Dans le cadre de la campagne #OurNatureIsNotYourSolution, nous lançons cette édition spéciale de notre magazine Couvert Forestier (FC), écrite en collaboration avec nos groupes membres. Couvert Forestier met en évidence la façon dont le battage médiatique autour de NBS est utilisé comme couverture pour pousser les compensations forestières, les plantations d’arbres en monoculture et d’autres fausses solutions, et fournit également des exemples des vraies solutions dans lesquelles nos membres en Colombie, au Ghana, au Népal, au Panama, au Paraguay et au Sri Lanka sont engagés.

Veuillez-vous joindre à nous dans une campagne sur les réseaux sociaux pour s’opposer aux fausses solutions et au greenwashing, et pour présenter des approches basées sur les écosystèmes, dirigées par la communauté et sensibles au genre qui sont bien plus bénéfiques pour le climat, la biodiversité et les communautés. Notre pack de réseaux sociaux a tout ce dont vous avez besoin pour vous impliquer!

Voir également l’analyse de notre collègue Ruth Nyambura sur les liens entre le NBS et les principales conclusions du rapport FAO sur l’état des forêts du monde 2020, qui a été publié aujourd’hui, et un blog sur les liens entre le NBS et la géo-ingénierie par notre coordinatrice de la campagne climatique Coraina de la Plaza.

Vous pouvez télécharger la version imprimée du Couvert Forestier(FC) ou lire les articles individuellement ci-dessous. Si vous n’y êtes pas déjà inscrit, vous pouvez vous abonner à notre liste de diffusion pour recevoir les futures éditions du Couvert Forestier (FC) et d’autres publications de la Coalition Mondiale des Forêts (GFC).

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Contents:
Éditorial: Nous avons besoin de vraies solutions pour protéger les peuples et la planète en ces moments de crise mondiale
De vieilles façons de faire et escroqueries se cachent derrière les prétendues «solutions basées sur la nature»
Les femmes du Collectif des réserves paysannes et communautaires de Santander, Colombie: une contribution réelle à la protection du territoire et aux alternatives du Bien vivre
La Californie a recours aux «Solutions basées sur la nature» afin de justifier les technologies à émissions négatives
Des solutions basées sur la Nabgwana, la Nature Mère
Les grands barrages au Sri Lanka sont une fausse solution face au changement climatique et à la rareté de l’eau
La localité de Crescencio González, une véritable solution à la crise actuelle
Drax Plc, instigatrice d’une autre fausse solution face à l’urgence climatique
Les autochtones Chepangs du Népal, agissent pour la conservation et la biodiversité
Les vols aériens compensés par la forêt: les solutions basées sur la nature dépassent les bornes
Les solutions portées par les femmes face à la détérioration des forêts au Ghana


Éditorial: Nous avons besoin de vraies solutions pour protéger les peuples et la planète en ces moments de crise mondiale

Par Dil Raj Khanal, FECOFUN et membre du conseil de coordination de la Coalition mondiale des forêts, Népal

Patrouille forestière communautaire dans l’Ouest du Népal durant la pandémie du COVID-19. FECOFUN

Les crises mondiales auxquelles nous nous confrontons actuellement, dont le changement climatique, la perte de biodiversité et la pandémie du COVID-19, sont largement causées par les fausses solutions mises de l’avant par les gouvernements et les grandes entreprises, et leur acharnement à exploiter la nature et enfreindre les droits de leurs populations.

Mère Nature n’est pas à la source de la crise mondiale et nous n’avons pas le droit de continuer à l’exploiter sous prétexte de vouloir trouver des «solutions» aux crises créées par la cupidité du monde des affaires. Des solutions véritables à la crise environnementale mondiale ne peuvent provenir que des expériences terrain, et autant les gouvernements que les entreprises doivent s’engager à soutenir les initiatives de transformation et de changement centrées sur les écosystèmes, menées par les communautés elles-mêmes et qui prennent compte des perspectives de genre.

Force est de constater toutefois qu’à divers niveaux, on impose de nombreuses fausses solutions, dont les compensations de carbone, le marché des échanges d’émissions et les technologies à émissions négatives, plusieurs d’entre elles présentées sous la bannière des «solutions basées sur la nature». Et l’on continue d’exploiter la nature, de détruire les écosystèmes et de violer les droits humains des peuples autochtones, des communautés locales et des femmes.

Une partie du problème réside dans l’influence qu’ont acquise les entreprises transnationales sur les mécanismes mondiaux portant sur le changement climatique et la diversité biologique: une place de choix leur est réservée, par exemple, au sein de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) et de la Convention sur la Diversité biologique (CDB). Le thème choisi par la CDB pour la Journée internationale de la Diversité biologique de cette année illustre bien le phénomène: «Nos solutions sont dans la nature». Voilà une tentative évidente de cautionner des solutions basées sur la nature (SbN) qui soulèvent pourant la controverse. Cette terminologie a été largement récupérée par les gouvernements et les grandes entreprises pour légitimer des fausses solutions qui nous distraient et reportent à plus tard une action réelle et urgente. Le présent numéro de Couverture forestière cherche à faire contrepoids et révèle comment plusieurs communautés qui sont au premier front résistent à ces fausses solutions et portent haut et fort le message que «Notre nature n’est pas votre solution».

La plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES selon l’acronyme en anglais) et le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) ne cessent de souligner l’importance des approches d’adaptation fondées sur les écosystèmes (AFE) et qu’elles représentent de vraies solutions aux crises du climat et de la biodiversité. Les parties prenantes de la CDB aussi ont conclu que les vraies solutions climatiques liées à la terre et aux océans doivent être basées sur les écosystèmes et ont développé des orientations détaillées et éloquentes pour les AFE, soulignant que ces approches doivent respecter les droits, les rôles, les pratiques coutumières et le savoir traditionnel des Peuples autochtones, des communautés locales et des femmes.

L’adoption de la nouvelle terminologie des SbN permet de faire fi de ces orientations, car sa portée est beaucoup plus large et elle ouvre la porte à de nombreuses «solutions» nocives, telles que les plantations d’arbres à des fins commerciales, présentées comme une stratégie de restauration des forêts.

Il est impératif que le Cadre mondial sur la biodiversité pour l’après 2020, la Convention de l’ONU sur le climat et plusieurs autres instances mondiales de définition des politiques publiques, évitent d’utiliser le langage dangereux des SbN, et que l’on garantisse plutôt des moyens pour soutenir les vraies solutions sur le climat et la biodiversité qui sont bénéfiques pour les peuples et la planète.

Plusieurs des articles de ce numéro de Couverture forestière lèvent le voile sur les dangers et les impacts des fausses solutions poussées par le monde des affaires. Au Sri Lanka (comme dans d’autres pays de la région, comme l’Inde, le Népal, et le Bhoutan), d’immenses barrages sont construits pour faire face à la rareté de l’eau, mais du coup ces grands ouvrages détruisent les forêts et font disparaître un système d’aqueducs ancestral qui fournissait de l’eau potable aux communautés tout en protégeant la biodiversité. En Californie, les législateurs de l’État font la promotion de SbN comme les émissions négatives et des technologies de géo-ingénierie, ignorant qu’elles auront potentiellement des effets désastreux sur l’utilisation du territoire, de l’eau et sur la biodiversité. Au Royaume-Uni, la plus grande centrale de biomasse au monde invoque le concept d’émissions négatives pour verdir ses activités et presser le gouvernement de prolonger ses subventions. D’autres articles décrivent comment le secteur privé se tourne vers les compensations forestières et les plantations d’arbres à des fins commerciales pour faire de l’argent sur le dos de la crise climatique.

En revanche, c’est avec fierté que nous présentons plusieurs exemples concrets et puissants d’initiatives mises de l’avant au niveau communautaire par des groupes membres, démontrant qu’il est possible d’atténuer les impacts du changement climatique et de protéger les écosystèmes quand les communautés adoptent des approches écosystémiques et sensibles à l’égalité des genres, et qu’elles dirigent leurs projets de façon autonome. Dans les Réserves paysannes et communautaires du département de Santander, en Colombie, les femmes ont pris sur elles la responsabilité de bâtir la résilience climatique et d’assurer la conservation des forêts. Au Panama, les Gunadule utilisent le savoir traditionnel autochtone pour combattre le changement climatique. Au Paraguay, la localité de Crescencio González surmonte les crises sociale et environnementale causées par le complexe agroindustriel grâce à la force d’organisation des femmes. Et au Ghana, des groupes de défense des droits des femmes réussissent avec succès à restaurer les forêts et à garantir des moyens de subsistance durables en s’appuyant sur le principe d’égalité des genres.

Au Népal, les Peuples autochtones et les communautés locales, comme les Chepang, Bote, Majhi, Dhimal et Raute ont, de génération en génération, créé tout un système où les communautés et la biodiversité interagissent et se soutiennent mutuellement, s’appuyant sur la foresterie et la conservation communautaires. Plus de 2,2 millions d’hectares de forêts du Népal sont sous contrôle communautaire et sont assujetties à des politiques forestières basées largement sur une approche écosystémique, représentant une solution véritable de conservation de la biodiversité et d’atténuation du changement climatique.

Ces approches ont évolué au fil des siècles et s’appuient sur les pratiques coutumières, le savoir traditionnel et les innovations des Peuples autochtones, des communautés locales et des femmes. Il est indéniable qu’il faut s’en inspirer si l’on veut identifier des pistes d’actions qui nous permettent de traverser les crises mondiales actuelles.


De vieilles façons de faire et escroqueries se cachent derrière les prétendues «solutions basées sur la nature»

Par Coraina de la Plaza, GFC, Espagne

Défrichement des forêts pour l’élevage bovin en Amazonie. Coordenação-Geral de Observação da Terra/Flickr

Bien que l’Accord de Paris et sa cible de 1,5 °C exigeaient d’agir avec urgence, gouvernements et entreprises ont poursuivi leurs affaires comme si de rien n’était, tandis que plusieurs des engagements pour atténuer le changement climatique continuent de s’appuyer fortement sur de fausses solutions.

Bien que l’Accord de Paris et sa cible de 1,5 °C exigeaient d’agir avec urgence, gouvernements et entreprises ont poursuivi leurs affaires comme si de rien n’était, tandis que plusieurs des engagements pour atténuer le changement climatique continuent de s’appuyer fortement sur de fausses solutions. On compte parmi celles-ci les crédits du carbone, les échanges d’émissions, et les plantations d’arbres en monoculture qui font partie des initiatives d’afforestation et de reboisement. Soutenues de plus en plus par la finance climatique, ces activités commerciales présentées comme des mesures de réduction des émissions ne sont ni plus ni moins que de l’éco-blanchissement (ou greenwashing). Mais on tâche aujourd’hui de les présenter autrement pour redorer leur image.

Par «solutions basées sur la nature» (SbN), on fait référence à un concept qui a vu le jour au début des années 2000 afin d’englober sous une même expression les approches soucieuses des écosystèmes qui visent à atténuer le changement climatique et la perte de biodiversité. Le terme a gagné en popularité depuis deux ou trois ans. Malheureusement, son utilisation a été déformée pour servir des intérêts particuliers en cataloguant faussement de «vertes» certaines pratiques très discutables et en renommant de vieilles façons de faire et escroqueries sous un nom plus attrayant.

L’initiative de l’Association internationale des échanges d’émissions (connue sous l’acronyme anglais IETA) intitulée «Les marchés au service des solutions climatiques naturelles» [1] est un bon exemple de la façon scandaleuse par laquelle les grandes entreprises utilisent les SbN (ou «solutions climatiques naturelles», les deux termes étant devenus interchangeables) pour éco-blanchir leurs activités destructrices. Lancé en décembre dernier à Madrid lors des négociations des Nations-Unies sur le climat, le modèle mis de l’avant par l’IETA permettra de compenser les émissions de certains de ses membres appartenant à l’industrie des combustibles fossiles, dont Shell, Chevron et BP.

D’autres façons de faire, plus anciennes, n’ont pas manqué de catégoriser désormais leurs activités en tant que SbN. Bien qu’il soit prouvé que les activités de reboisement ont été particulièrement inefficaces pour faire face à la crise climatique et à la déforestation, et qu’elles sont un échec en matière de respect et protection des droits, des besoins et des aspirations des communautés affectées, leur alignement avec les SbN constitue une tentative pour légitimer leur existence et le maintien des modalités de financement de leurs activités.

REDD+ [2] est un exemple probant: après 15 années d’existence et des investissements financiers directs de plus de quatre milliards de dollars US, le programme continue d’être l’un des modèles d’actions intergouvernementales les plus contestés. Tel que le démontre le rapport 10 ans de REDD+ élaboré par CIFOR [3], l’approche a été peu performante tant au niveau de l’atteinte des objectifs recherchés que des prétendus «co-bénéfices». Malgré les lacunes, le PNUD s’est empressé de décrire le REDD+ comme une solution basée sur la nature «prête-à-emporter» [4] tandis que «l’Appel à l’action de Santiago sur les forêts» [5], lancé en 2019, invite les parties prenantes à augmenter le niveau de leurs ambitions pour atténuer le changement climatique en recourant à des SbN liés aux forêts, incluant REDD+. De surcroît, le Compendium des Solutions basées sur la nature publié lors du Sommet d’action de l’ONU en 2019 avance que le programme REDD+ est une SbN exemplaire.

Une autre problématique inquiétante, souvent incluse au sein des SbN, est celle des plantations d’arbres. On a assisté au cours des dernières années à un engouement effréné de la part des gouvernements et du secteur privé pour les plantations forestières, s’engageant à planter de plus en plus d’arbres et à «restaurer» des millions d’hectares d’écosystèmes. L’une des premières initiatives s’est intitulée le Défi de Bonn, lancé en 2011 comme un effort mondial pour restaurer 150 millions d’hectares de territoires déboisés et dégradés d’ici 2020, et 350 millions d’hectares d’ici 2030 (ce qui inclut l’Initiative de restauration des territoires forestiers d’Afrique et le Tsunami d’un milliards d’arbres au Pakistan). L’un des derniers engagements a été pris lors du Forum économique mondial de Davos en 2019 où le plan «Mille milliards d’arbres» [6] a été lancé, élaboré pour appuyer la Décennie de l’ONU pour la Restauration des écosystèmes 2021-2030. Même Donald Trump a signifié son soutien à l’initiative, un signal plutôt préoccupant!

Planter des arbres natifs pour restaurer les écosystèmes des forêts joue un rôle clé pour atténuer les impacts du changement climatique et protéger la biodiversité, mais il faut toutefois que les efforts soient dirigés par les communautés locales, les peuples autochtones et les femmes, et développés en fonction de leurs besoins. Force est de constater cependant que plusieurs des initiatives de plantation d’arbres reposent principalement sur la monoculture et des stratégies d’ordre commercial. En effet, une évaluation réalisée l’an dernier des promesses gouvernementales issues du Défi de Bonn [7] révèle que les plantations d’arbres étaient l’option de «restauration» la plus populaire et que 45% des engagements impliquaient de planter d’immenses monocultures d’arbres. De telles initiatives sont susceptibles de provoquer l’accaparement des terres, la violation des droits, l’érosion des sols, l’épuisement des sources d’eau douce, la perte de biodiversité et plusieurs autres effets néfastes. De surcroît, comparées aux forêts naturelles, les plantations emmagasinent seulement une fraction du carbone tandis que les émissions produites par le défrichement et le déplacement des autres usages du territoire (par exemple l’agriculture) sapent souvent complètement le potentiel des initiatives de mitigation.

Les plantations commerciales qui prétendent atténuer le changement climatique sont de plus en plus financées par des fonds publics. Le Fonds Arbaro, dont l’objectif est de créer 75,000 hectares de plantations d’arbres pour des fins commerciales dans sept pays du Sud global, en est un exemple récent. Malgré l’opposition de la société civile [8] plus tôt cette année, qui dénonçait que les plantations commerciales ont des bienfaits minimes pour le climat et qu’elles provoquent d’importants conflits avec les communautés, le Fonds vert pour le climat (FVC) a décidé d’accorder à Arbaro 25 millions de dollars US en cofinancement.

En février 2019, le FVC a accordé 95 millions de dollars US au Brésil, à titre de «Compensation en fonction des résultats» du programme REDD+ (pour avoir réduit la déforestation), peu de temps avant que l’Amazonie ne soit dévastée par des feux de forêts sans précédent, accablée par de hauts niveaux de déforestation. [9] Ce désastre semble avoir été insuffisant pour que le FVC n’entreprenne de réfléchir aux enjeux de la pérennité des projets liés à la forêt et à l’anéantissement des bienfaits des stratégies de mitigation que peuvent causer les incendies ou les changements de politiques. Le problème de l’impermanence est inhérente aux projets de plantations proposés par le Fonds Arbaro.

Il est impératif de continuer à lever le voile et à dénoncer les fausses solutions qui sont mises de l’avant, quel que soit le nom qu’elles empruntent, et de contrer la mainmise du monde des affaires sur les lieux où se prennent les décisions politiques. On ne peut accepter que les intérêts du «big business»_imposent leur ordre du jour quand il est question de l’avenir de notre planète.

[1] https://www.ncs.ieta.org/
[2] REDD+ est un programme de l’ONU de réduction des émissions provenant du déboisement et de la dégradation des forêts, et de favoriser la conservation, la gestion durable des forêts, et l’amélioration des stocks de carbone.
[3] https://www.cifor.org/publications/pdf_files/Books/BAngelsen1801.pdf
[4] https://www.un.org/development/desa/en/news/sustainable/cop25-deforestation.html
[5] https://unfccc.int/sites/default/files/resource/Santiago%20Call%20for%20Action%20on%20Forests.pdf
[6] http://1t.org/
[7] https://www.nature.com/articles/d41586-019-01026-8
[8] https://globalforestcoalition.org/gcf-arbaro-fund/
[9] https://globalforestcoalition.org/amazon-fires/


Les femmes du Collectif des réserves paysannes et communautaires de Santander, Colombie: une contribution réelle à la protection du territoire et aux alternatives du Bien vivre

Par Claudia Gimena Roa et Nelsy Gualdron, Fundaexpresión, Colombie

La pépinière d’arbres d’Asovivir fait la promotion de la biodiversité agricole. Fundaexpresión

Il ne fait aucun doute que la contribution des femmes du Collectif des réserves paysannes et communautaires de Santander (Colombie) est vitale à la conservation communautaire et qu’elles font partie de la solution pour faire face à la crise climatique régionale et planétaire. Grâce à leur force et créativité, les femmes ont démontré qu’il existe des alternatives et que la conservation des forêts est possible si l’on fait preuve de persévérance et d’unité, et que ce faisant, elles réussissent à affirmer leur souveraineté alimentaire et leur diversité au sein du processus de production.

Créé en 2008, le Collectif des réserves réunit des associations et des familles de zones rurales de Santander qui ont fait de la gestion communautaire du territoire leur mission principale. Ces communautés paysannes, dont les connaissances traditionnelles et les liens culturels sont forts, coexistent sur un territoire allant de la jungle andine aux hauts plateaux de Santurban, en passant par la haute montagne, sur la cordillère du Nord-Est des Andes, en Colombie.

Face aux fausses solutions que proposent certains gouvernements et grandes entreprises, présentées souvent de façon déguisée comme étant des “solutions basées sur la nature”, les organisations militantes interagissent plutôt à partir de leurs expériences avec la nature, c’est-à-dire que leurs actions permettent de protéger les forêts, l’eau et les diverses espèces de flore et de faune, de façon réelle et transcendante. Dans une perspective de genre, cette réflexion s’appuie sur les initiatives de groupes de femmes dans le cadre du programme Women2030. [1]

Il convient de souligner qu’en Colombie, plusieurs décennies de conflit armé ont gravement touché les communautés et en particulier les femmes, qui ont été forcées d’être les seules responsables de la famille et de la satisfaction des besoins alimentaires et qui, grâce à leur ténacité, ont pu rester sur leurs terres et veiller à la conservation du territoire. Cela veut dire que pour nous, la paix doit être atteinte conjointement avec les groupes armés mais aussi en établissant des relations plus harmonieuses avec la nature et moins destructrices.

Le fait que ce soit nous, les femmes, qui avons été les plus enclines à créer des réserves démontre bien ce leadership. Des aires protégées se sont multipliées sur le territoire, avec principal fondement de surpasser le modèle de la monoculture en diversifiant les espaces cultivés et en abandonnant l’utilisation de produits agricoles toxiques. Ce sont les groupes de femmes qui agissent avec le plus de conviction pour sauver les semences d’origine, mettre sur pied des pépinières et produire des semis qui accroissent la biodiversité agricole. Cette approche écosystémique permet de nous attaquer au problème du changement climatique et renforce notre résilience.

Selon le plan d’activités du Collectif des réserves, les communautés proposent une plus grande équité hommes-femmes. On l’admet, cela prendra du temps, mais déjà le programme Femme2030 priorise plusieurs enjeux que revendiquent les femmes paysannes, dont l’accès à la terre, le renforcement des espaces socioculturels et la création d’économies autonomes.

L’existence de trois initiatives d’organisations de femmes mérite d’être mentionnée brièvement: l’Association municipale des Femmes paysannes de Lebrija (AMMUCALE), le Comité de Femmes ASOVIVIR de Santa Cruz de la Colina (Matanza) et le groupe de femmes Cachiri (Suratá). Selon une expérience qui est propre à chacune, ces collectivités démontrent bien le rôle clé que jouent les femmes dans la défense de la biodiversité agricole.

Les femmes appliquent et intègrent à leurs récits de vie les principes de la conservation communautaire dans l’agroforesterie, les vergers fourragers, l’apiculture, la fabrication de poêles à bois efficaces, la gestion des excédents des récoltes, la transformation des fruits, et l’organisation de foires et de bazars qui permettent de positionner l’économie et la culture paysannes.

Il est important de souligner la participation de femmes plus jeunes au processus, alors qu’auparavant, il leur était impossible d’avoir leurs propres potagers, d’aller vendre leurs produits sur les marchés paysans, d’avoir accès à des programmes d’éducation populaire ou de prendre part à des mingas (journées de travail coopératif). Pour ces jeunes femmes, de nouvelles alternatives sont apparues, leur permettant de développer un lien avec la terre, d’apprécier leurs territoires, de revitaliser leur culture et d’accéder à un bien vivre.

Fortes de leur travail collectif, les femmes prennent conscience et démontrent qu’elles ont amélioré leur économie et leur souveraineté alimentaire, et que grâce à ces formes d’autogestion, elles sont mieux outillées, avec leurs familles, pour surmonter l’actuelle crise de pandémie, et faire face à la famine et la détresse que celle-ci provoque au sein des populations marginalisées d’Amérique latine.

[1] Women2030 est une initiative mondiale qui met l’accent sur un développement durable sensible aux enjeux hommes-femmes, y compris par un travail en synergie avec les groupes de militantes et les organisations de femmes, et à laquelle participe la Coalition Mondiale des Forêts.


La Californie a recours aux «Solutions basées sur la nature» afin de justifier les technologies à émissions négatives

Par Gary Hughes, Biofuelwatch, États-Unis

Coupe à blanc confirmée dans le Nord de la Californie. Kimberly Baker

Dans un effort discret mais agressif pour promouvoir une géo-ingénierie climatique qui n’a pas fait ses preuves et comporte des risques, les législateurs de l’État de la Californie ont présenté récemment un projet de loi [1] qui met une grande emphase sur le potentiel présumé des arbres, des forêts et des sols pour capter le carbone. Ils ont aussi fait explicitement la promotion d’une vision et d’un cadre politique sur le climat qui glorifie et met de l’avant des technologies de géo-ingénierie, dangereuses d’un point de vue tant moral qu’environnemental, qui favoriseraient «l’élimination du dioxyde de carbone» (ou CDR selon l’acronyme anglais pour carbon dioxide removal) et les «émissions négatives».

L’objet du projet de loi sur les forêts tâche bien sûr d’adopter, en surface, un aspect plutôt inoffensif. Toutefois, en lisant les petits caractères de la loi, on se rend compte à quel point la Californie a l’audace de faire une incursion sur le terrain tout nouveau de l’élaboration de politiques climatiques techno-centrées qui font l’apologie et stimulent des dispositifs de géo-ingénierie non démontrées et potentiellement illégaux. [2]

La pandémie mondiale ayant eu comme effet-choc d’interrompre complètement le processus législatif en Californie, l’avenir du projet de loi reste incertain. Et l’on doit s’attendre à plus d’incertitude encore_puisque la contraction économique à venir va secouer l’économie de la Californie et ébranler les approches politiques sur le climat qui endossent la logique des marchés.

Portant surtout attention aux impacts économiques de la pandémie, les médias ont peu discuté des réactions volatiles du marché du carbone de la Californie face aux récents bouleversements économiques. L’effondrement du prix des matières premières dans l’industrie des combustibles fossiles perturbe l’économie de la Californie qui, selon certaines données, se classerait cinquième au monde dans ce secteur, alors qu’en parallèle on assiste aussi à la chute des prix sur le marché californien du carbone.

Avec son système de taxation du carbone, la Californie s’est vanté d’être l’exemple mondial par excellence d’un leadership d’État sur les enjeux climatiques, mais il n’est pas exagéré de penser que ce système est voué à stagner alors que l’économie pourrait potentiellement entrer en phase de dépression.

L’un des résultats du ralentissement économique pourrait être de freiner l’entêtement des législateurs de l’État à promouvoir des politiques servant les intérêts de la grande entreprise, dont les marchés du carbone, les «Solutions basées sur la nature» et les technologies de géo-ingénierie de captation directe de l’air ou de bioénergie avec captage et stockage du carbone (BECCS), qui sont largement mis en avant par le projet de loi d’envergure sur les «émissions négatives» déposé ce printemps.

Malheureusement, au sein du corps législatif et de certaines agences, les partisans de ces techno-distractions comme la BECCS se refusent à accepter que les «technologies à émissions négatives» sont susceptibles d’entraîner de graves conséquences sur l’utilisation de la terre, de l’eau et sur la biodiversité, ainsi que de provoquer des effets imprévisibles sur l’écosystème. Les efforts pour enchâsser ces technologies au sein des politiques touchant l’utilisation du territoire, le système énergétique et le climat, comportent aussi d’importantes implications pour la protection des droits humains et l’amélioration de la justice environnementale. Mais les législateurs se nient à inclure tout point de vue critique lors des débats politiques.

Les représentants de la Californie évitent d’aborder un autre élément-clé lorsqu’ils soupèsent différentes options de politiques, soit celui des gigantesques barrières techniques auxquelles se butent ces technologies encore non démontrées.

Il reste à voir si la situation actuelle incitera le leadership californien sur le climat à remettre en question ses préjugés favorables. Mais il est certain que le parlement de l’État de la Californie joue avec des objets dangereux et jongle avec des mécanismes techniques hypothétiques déguisés en Solutions basées sur la nature, et qu’ils évitent de prendre les risques politiques qui sont nécessaires pour mettre en œuvre de vraies solutions environnementales.

[1] https://leginfo.legislature.ca.gov/faces/ billTextClient.xhtml?bill_id=201920200SB1323

[2] http://www.geoengineeringmonitor.org/ 2016/12/un-convention-still-says-no-to-manipulating-the-climate/


Des solutions basées sur la Nabgwana, la Nature Mère

Par Geodisio Castillo, Centro de Desarrollo Ambiental y Humano, Panama

Des femmes extraient le jus de canne à sucre. Geodisio Castillio

Avec l’apparition du COVID-19, il y a lieu de nous demander si le confinement humain a permis à la Nabgwana (Nature Mère) de mieux respirer, et si le contexte se prête à aborder les enjeux du changement climatique avec une conscience renouvelée.

Ici, sur le petit territoire de la nation Gunadule, une comarque qui possède sa propre culture au Panama sur la côte Est des Caraïbes, les communautés gunadules continuent de conserver près de 80% de la forêt tropicale dans son état naturel, le reste étant consacré à l’agriculture familiale nainu. [1]

Nos forêts sont remplies d’arbres frères et de plantes sœurs qui donnent la vie à notre peuple et à la Nabgwana. On peut la considérer comme un grand jardin botanique qui réunit de nombreux produits bioactifs composant notre patrimoine culturel et naturel. On y retrouve une grande richesse naturelle dont on ne peut calculer la valeur économique en termes quantitatifs puisque les effets positifs de ces écosystèmes pour atténuer les impacts du changement climatique sont multiples. C’est en puisant dans cette pharmacie naturelle du peuple gunadule que les inadulegan (médecins botanistes) soignent les malades.

C’est dans un rapport bio-culturel étroit, où les connaissances et les pratiques de la duleina (médecine botanique gunadule) sont dynamiques et se transforment que nous entrons en relation avec les biens de la nature et utilisons les savoirs ancestraux. Respecter la nature, demander la permission à nos frères les arbres et nos sœurs les plantes avant de les utiliser, est la façon par laquelle nous gérons la biodiversité et favorisons la résilience climatique, en donnant aux inadulegan et aux producteurs familiaux le pouvoir de conserver les diverses espèces et surmonter les risques créés par les politiques structurelles et économiques, et le changement climatique. C’est ainsi que l’on contribue directement à améliorer la qualité de vie de la population.

Nous prêtons de plus en plus attention au potentiel de la biodiversité, entre autres à l’inagan, les arbres et plantes médicinales que nous utilisons pour prévenir et soigner les maladies. C’est pourquoi il est important pour le peuple gunadule de garantir leur préservation au sein de la forêt. Il en va de même lorsqu’on utilise les feuilles et branches du inagagbid [2] (qu’on nomme aussi udud bungid ou udud buli) pour faire face au coronavirus, communément appelé en espagnol «grand homme» ou guabito amer. Une autre plante médicinale gunadule que nous utilisons aussi pour la prévention est le maniswar (Smilax spp.), appelé salsepareille en français et dont la sève purifie le sang.

La situation actuelle nous invite à réfléchir aux transformations et aux innovations qui sont nécessaires. Les dynamiques de notre système de gouvernance, basé sur ce que la nature nous apprend et sur les savoirs ancestraux, ainsi que ce «collectivisme» [3] qu’on nous a inculqué culturellement, pourraient offrir plusieurs balises qui permettent de conduire notre société vers un lendemain durable.

Les Peuples autochtones de la Nation gunadule ont beaucoup à offrir pour contrer les effets du changement climatique. Bien qu’ils en soient aussi victimes, ils détiennent des connaissances qui méritent d’être écoutées pour éviter l’aggravation du phénomène et ses conséquences directes sur les occupants de notre territoire et des autres régions du monde. Entre autres savoirs, on pense à l’alimentation saine grâce une agriculture familiale, à la santé duleina, aux actions pour freiner la désertification, à la conservation des ressources hydriques, et aux politiques pour conserver plus amplement la biodiversité en misant sur la connaissance communautaire.

Dans ce contexte, le peuple gunadule, par l’entremise de son Institut du Patrimoine culturel du Peuple Guna (IPCPG) gouverné par le Congrès général de la culture Guna (CGCG), a mis sur pied un Centre d’attention et d’apprentissages Ina Ibegungalu [4] qui a pour but de revaloriser et consolider la duleina. Il est en effet essentiel d’assurer la protection et la conservation de la région pour sauvegarder la présence et la diversité des espèces de plantes et d’arbres médicinaux natifs sur le territoire. De plus, il sera important de préserver la productivité et la biomasse de la zone en cultivant des espèces natives d’arbres et de plantes, y compris celles aux propriétés médicinales, et continuer ainsi à aborder les enjeux du changement climatique avec une approche basée sur les écosystèmes.

[1] Nainu est une parcelle agroforestière composée d’une diversité d’espèces cultivées ou pluricultures, administrée par un système familial et communautaire.

[2] L’Inagagbid est un arbuste connu scientifiquement sous le nom de Quassia amara et qu’on utilise contre le paludisme ou la malaria, un savoir hérité de nos frères et soeurs d’Amérique du Sud.

[3] Mais ce sens de la collectivité que nous avons intériosé s’effrite peu à peu avec la présence accrue de cultures étrangères.

[4] Ce centre, que l’on considère une pharmacie naturelle, est situé dans les montagnes de l’aire sauvage protégée de Nargana, canton de Nargana, chef-lieu de Bingando, au niveau du kilomètre 27 de la route allant de El Llano à Carti, comarque Gunayala.


Les grands barrages au Sri Lanka sont une fausse solution face au changement climatique et à la rareté de l’eau

Par Hemantha Withanage, Centre pour la justice environnementale et point focal régional pour l’Asie pour GFC, Sri Lanka

La construction d’un barrage au Sri Lanka. Gihan Jayaweera

En principe, construire un réservoir peut s’avérer un geste respectueux de l’environnement et peut aussi représenter une solution «basée sur la nature» qui permette une adaptation au changement climatique. Mais c’est faux dans le cas des immenses projets modernes d’irrigation au Sri Lanka.

Le Projet d’irrigation Yan Oya a été complété à l’Est du Sri Lanka en 2019. Il a coûté 39,000 millions de roupies (210 millions de dollars US) et contient 149,000 acres-pieds d’eau (184 millions de mètres cubes). 85% des fonds pour le projet provenaient d’un prêt de la Chine, permettant à la firme China CAMC Engineering Corporation de construire un barrage de 2,3 kilomètres de long sur une section de la rivière Yan Oya, longue de 130 kilomètres. Le barrage approvisionnera en eau près de 8,000 hectares de rizières.

Malheureusement, le projet a causé la destruction de plus de 26 petits réservoirs ancestraux et au-delà de 6,000 hectares de forêts, tant pour permettre la construction du réservoir que la création de nouvelles zones de culture. L’Étude d’impact environnemental du projet était si inadéquate que même les développeurs ont été incapables, à l’étape de faisabilité, d’identifier la superficie totale de territoire nécessaire. La reconstruction du système de réservoirs ancestraux aurait été une solution de développement plus durable, plus adaptée pour faire face au changement climatique, sans compter que les impacts négatifs du projet auraient été moindres.

Situé dans la province centrale du Nord du Sri Lanka, le Projet d’irrigation Malwathu Oya présente les mêmes caractéristiques, planifiant la construction d’un barrage de 3,5 kilomètres de long sur une section de la rivière Malwathu Oya, longue de 164 kilomètres. Les coûts du projet s’élèveront à 12,000 millions de roupies (autour de 66 millions de dollars US) et détruira plus de 5,000 hectares de forêts et au moins 24 petits réservoirs ancestraux. Le réservoir emmagasinera 170,000 acres-pieds d’eau (210 millions de mètres-cubes).

Selon les environnementalistes, la reconstruction du système ancestral de réservoirs au Sri Lanka représentait une bien meilleure solution d’adaptation au changement climatique que les grands barrages. Le Sri Lanka est d’ailleurs célèbre pour son ancienne civilisation hydraulique, vieille de plus de 3000 ans. Plus de 40,000 réservoirs, petits et grands, s’étendent sur les régions sèches du Nord et de l’Est du pays. Nos ancêtres savaient que le substrat rocheux calcaire des zones sèches n’était pas approprié pour conserver les eaux de pluie souterraines, c’est pourquoi ils ont bâti un système unique et ingénieux de bassins et réservoirs pour ravitailler les villages en eau tout au long de l’année.

Dans un rapport au Gouverneur du Ceylan britannique en 1855 (aujourd’hui le Sri Lanka), John Baily écrivait: «Il est probable que nulle part ailleurs dans le monde on puisse trouver sur un même territoire les vestiges d’autant d’ouvrages d’irrigation comme au Ceylan, et qui soient simultanément aussi anciens et d’une telle envergure. Sans doute qu’aucun autre pays n’est en mesure d’exhiber d’aussi innombrables réalisations, qui datent d’aussi longtemps et qui soient en même temps très répandues, sur un espace aussi restreint que cette île.»

Le Système de réservoirs en cascade du Sri Lanka, appelé «Ellanga» par les locaux, a été désigné en 2018 par la FAO comme l’un des 14 nouveaux sites classés «Systèmes ingénieux du Patrimoine agricole mondial». Malgré cette reconnaissance, le Sri Lanka continue de détruire ce système ancestral au nom de la modernisation de l’irrigation.

Les projets d’irrigation de Yan Oya et de Malwathu Oya, ainsi que leurs réservoirs de stockage d’eau, ne s’appuient pas sur le même principe que l’ancien système d’irrigation. Selon le réseau ancestral, les premiers cours d’eau étaient endigués vers des petits bassins construits de façon à éviter que la vase ne pénètre dans les réservoirs plus grands (encore considérés petits, en comparaison avec les grands barrages). Les petits bassins visaient à alimenter uniquement la nappe phréatique. Ainsi l’eau coulait des petits réservoirs vers des sections peuplées de plantes aquatiques comme le lotus et la kohila (Lasia spinosa), agissant comme un filtre qui permet l’absorption des toxines, pour ensuite être emmagasinée dans des réservoirs plus grands et être destinée, éventuellement, à l’irrigation et à la consommation domestique. On retrouve au moins trois types de réservoirs au sein du système ancestral en cascade. Le système représente une solution séculaire basée sur des principes naturels. Sa restauration serait une excellente solution face aux enjeux du changement climatique et de la rareté de l’eau, tout en favorisant une régénération de la biodiversité.

Il est donc particulièrement triste de voir que l’ingénierie moderne, financée par les banques multilatérales, la Chine et d’autres investisseurs bilatéraux, détruit ce système ancestral définitivement plus durable. Voilà un bel exemple de prétendues solutions basées sur la nature qui ne permettent pas de répondre adéquatement aux crises climatiques et de biodiversité auxquelles le monde fait face.


La localité de Crescencio González, une véritable solution à la crise actuelle

Par Inés Franceschelli, Centre d’études Heñói, Paraguay

Session d’échange des compétences sur la souveraineté alimentaire, à Crescencio González. Inés Franceschelli

Face à la crise environnementale et sociale causée par le système agroindustriel mondial, les communautés traditionnelles offrent une alternative éprouvée.

Une de ces expériences est celle de la localité paysanne de Crescencio González au Paraguay, créée il y a 20 ans et qui forme une communauté composée de 270 familles et 1300 habitants, qui vivent en ayant développé des moyens de production traditionnels dont les résultats sont indéniables. C’est un cas exemplaire où les paysans et paysannes se sont organisés pour bâtir un lieu où la vie, la production et la conservation de la nature s’entrelacent harmonieusement pour créer une qualité de vie et un avenir pour la communauté.

La localité découle d’une victoire de la lutte organisée qu’a menée la Fédération nationale paysanne dont les membres, en 1999, ont occupé de grands domaines pour exiger que des terres soient données aux familles paysannes. Malgré la répression brutale, qui a coûté la vie de quatre paysans, dont celle de Crescencio González, conduisant aussi à plus de cent personnes blessées ou arrêtées, la mobilisation paysanne a forcé la signature d’un accord avec l’État pour qu’il achète 10,000 hectares de terre et permette que s’y établissent deux communautés, chacune sur 5,000 hectares, que l’on a baptisées en l’honneur de deux des martyrs paysans, Crescencio González et Huber Duré. Ces terres sont actuellement en danger depuis qu’un grand propriétaire terrien les a revendiquées devant la justice, créant un climat d’incertitude pour la communauté.

Les terres sont la propriété de l’État et ont été remises aux mains de l’organisation paysanne et par son entremise aux 270 familles, distribuées de façon circulaire en 10 lotissements de 10 hectares chacun. Elles sont situées dans l’ancienne forêt centrale du Paraguay, caractérisée par une riche diversité forestière où abondent des espèces comme le Palo rosa (Aspidosperma polyneuron), le Tajy (Tabebuia alba, Tabebuia impetiginosa), le Ybyraro (Pterogyne nitens), le Kurupay (Anadenanthera colubrina), le Palmito (Cocos nucifera, Euterpe edulis), entre autres. On y retrouve encore toutes ces espèces aujourd’hui, ainsi que plusieurs espèces animales.

Les lots englobent 2,700 hectares, dont 906 accueillent des productions agricoles et 571 des pâturages pour les animaux. 817 personnes travaillent au sein de la localité, dont 45% de femmes et 55% d’hommes. 73% des habitants travaillent directement à l’agriculture sur les fermes, tandis que 20% occupent des fonctions hors-fermes. On y produit principalement des aliments pour l’autoconsommation et pour la vente, dont des variétés comme le manioc, le maïs, l’arachide, le haricot, le sésame, et des produits maraichers. On y retrouve des élevages d’animaux, dont des vaches, des cochons, des poules et des canards, qui fournissent des produits dérivés comme le lait, les œufs et le fromage. Les fermes comptent une riche variété d’arbres fruitiers et de plantes médicinales, qui alimentent la population au quotidien.

La population se caractérise par une forte conscience environnementale. Elle prend soin des réserves forestières et préconise un respect de la biodiversité en plantant des arbres fruitiers et forestiers, veillant ainsi sur la santé de l’écosystème que les gens habitent. Les résident.e.s ont réussi à créer un collège où est offert un diplôme secondaire technique en Sciences environnementales qui accueille 56 étudiants. La vision communautaire a permis que la forêt continue de couvrir 42% du territoire de la localité. Les terres en production s’étendent sur 30% de la localité, contrairement aux fermes de la région qui consacrent 100% des terres à des monocultures.

Une étude de Heñói de 2019 a analysé la rentabilité économique, sociale et environnementale de la localité, en tenant compte des rentes monétaires et non monétaires. Les bénéfices totaux atteignent les 1,83 millions de dollars US, soit environ 7,000 dollars US par ferme, et sont générés de façon durable et diversifiée: 41% proviennent de l’activité agricole, 26% de la conservation et de l’utilisation rationnelle des forêts, 11% des produits dérivés, 10% de l’élevage d’animaux, et 12% des variétés fruitières et médicinales.

L’étude a effectué une comparaison avec les résultats obtenus para une installation agricole mécanisée de dimensions similaires, et révèle que le modèle paysan conduit à de meilleurs résultats au niveau de la création d’emplois, des marges de bénéfice, de la conservation environnementale et de la répartition de la richesse collective. La force et la durabilité de la vie paysanne constitue une solution véritable face aux problèmes du système agroindustriel, y compris face au changement climatique. La localité de Crescencio González est sans contredit un solide exemple des possibilités que présente le modèle paysan pour aborder les enjeux du changement climatique sur la base d’une approche sur les écosystèmes.


Drax Plc, instigatrice d’une autre fausse solution face à l’urgence climatique

Par Almuth Ernsting, Biofuelwatch, Écosse

La production de capsules de bois dans le Sud-Est des États-Unis.
Dogwood Alliance

Outre de planter des arbres, plusieurs continuent d’affirmer que les couper et les brûler pour produire de l’énergie constitue une «Solution basée sur la nature», surtout lorsqu’on intègre au processus la supposée «technologie à émissions négatives» appelée BECCS (Bioénergie avec captage et stockage du carbone). Il nous paraît évident que l’engouement entourant cette fausse solution permettrait aux centrales malpropres et polluantes de poursuivre leurs activités comme avant, tout en encaissant d’importantes sommes financières publiques.

À ce jour, le débat sur la BECCS a été essentiellement de nature théorique. Mise à part la séquestration de petites quantités de CO2 à partir de la fermentation d’éthanol aux États-Unis, force est de constater qu’il n’y a eu aucune tentative sérieuse jusqu’à maintenant pour capter du CO2 à partir de la combustion du bois. Récemment toutefois, Drax Plc au Royaume-Uni a annoncé son intention de devenir la première entreprise au monde «à émissions négatives de carbone» grâce à la BECCS et, bien sûr, grâce à beaucoup d’aide gouvernementale.

La centrale énergétique Drax en Angleterre continue de brûler plus de bois qu’aucune autre dans le monde. Toute la matière qu’elle brûle est importée sous forme de granules de bois, dont 65% proviennent du Sud-Est des États-Unis et le reste du Canada et des Pays Baltes. Dans ces trois régions, les granules de bois vendus à Drax sont généralement fabriqués en coupant à blanc des forêts naturelles, riches en carbone. En brûlant plus de 7 millions de tonnes de granules de bois par année, la centrale de Drax est devenue la championne des émetteurs de CO2 au Royaume-Uni, bien qu’officiellement on la considère «neutre en carbone» (si ce n’est d’une petite fraction de charbon qu’elle continue de brûler) car seulement les émissions des combustibles fossiles sont comptabilisées. C’est ce qui amène Drax à prétendre qu’en captant et stockant une part de CO2 lorsqu’elle brûle des granules de bois, ses émissions deviendront «négatives», se gardant bien de dire que l’énergie nécessaire pour capter et comprimer ce CO2 va exiger de brûler beaucoup plus d’arbres, causant ainsi encore plus de dommages aux forêts et à la nature.

Depuis 2019, une entreprise startup du nom de C-Capture tente de capter une infime quantité de CO2 à l’usine de biomasse de Drax, qu’elle relâche ensuite entièrement dans l’atmosphère. On sait qu’une autre startup cherchera bientôt à mettre à l’épreuve sa technologie de captation de carbone. Il y a donc bien quelques essais en cours pour tester différentes méthodes de captage du carbone et établir si l’une en particulier mérite d’être étudiée plus en profondeur, mais aucun de ces projets n’est sur le point de développer ce qu’on appelle une BECCS, loin de là. Alors, à quoi rime tout cet enthousiasme?

Il y a une dizaine d’années environ, les compagnies d’énergie ont fait valoir que l’on devrait leur permettre de bâtir de nouvelles centrales au charbon ou de maintenir celles déjà existantes sous prétexte qu’elles seraient «prêtes au captage». Or en pratique, cela revenait littéralement à dire qu’on leur accorderait la permission, à même leurs installations, de développer l’infrastructure qui serait requise dans le futur, suivant l’idée que dès lors que l’on aurait mis en place les schémas de subvention ou d’investissement et le cadre règlementaire, elles seraient en mesure de commencer à capter du carbone. Au moins une grande centrale au charbon a été autorisée et construite aux Pays-Bas selon ce principe, tandis qu’en Écosse, on a permis le maintien d’une grande centrale en brandissant cette «promesse». Mais aucune des deux n’a jamais capté un seul gramme de carbone (et celle en Écosse a finalement été fermée pour des raisons économiques).

Les affaires de Drax dépendent des 2,1 millions de livres sterling (2,39 millions d’euros) qu’elle reçoit en subventions chaque jour. Ce soutien financier doit arriver à échéance en 2027, mais l’engouement autour de la BECCS est susceptible d’amener l’entreprise à intensifier ses activités de lobbying et de l’aider à décrocher de nouvelles subventions, pour de nombreuses années encore. La tentation de permettre à Drax de continuer à détruire les forêts et affecter le climat en polluant l’air ne peut être considéré une solution, qu’elle soit basée sur la nature ou autrement, qu’elle puisse capter du carbone ou pas (ce qui est plus que probable).

Les références peuvent être consultées à https://www.biofuelwatch.org.uk/wp-content/uploads/drax-briefing-update-2020_compressed.pdf


Les autochtones Chepangs du Népal démontrent que la conservation de la biodiversité va de pair avec des moyens de subsistance durables

Por Bhola Bhattarai and Roshan Chikanbanjar, NAFAN, Nepal

Un outil traditionnel utilisé pour extraire l’huile des fruits du chiuri. NAFAN

Les Chepangs forment une communauté autochtone du Népal vivant dans les districts montagneux et accidentés de Gorkha, Dhading, Chitwan, et Makwanpur, au centre du pays, et qui, depuis des siècles, dépendent de la nature pour vivre et assurer leurs moyens de subsistance.

Au cours des 50 dernières années, ils se sont peu à peu intégrés aux autres groupes ethniques du Népal, mais plusieurs vivent toujours comme leurs ancêtres l’ont fait pendant des générations, habitant des cavernes et assurant leur survie grâce à la nourriture qu’offre la forêt. [1] Appuyer les Chepangs pour qu’ils protègent et conservent leurs forêts représente une approche écosystémique qui atténue les impacts du changement climatique et la perte de biodiversité, et apporte de multiples bienfaits aux communautés et au territoire dont ils dépendent.

Nomades à l’origine, les Chepangs ont adopté aujourd’hui un mode de vie semi-nomade et on les reconnaît par l’alternance de leurs pratiques agricoles (une agriculture sur abattis-brûlis) qui leur fournit leurs principaux moyens de subsistance. Toutefois, l’agriculture ne leur suffit pas pour nourrir leurs familles, ils dépendent donc aussi de la chasse, de la pêche, et de la cueillette de githa et de vyakur (des pousses et des racines) ainsi que d’ignames sauvages. Organisés en société égalitaire, les Chepangs ne participent pas au système de castes du Népal et regroupent 70,000 personnes, selon le recensement de 2011.

Le mode de vie Chepang est étroitement connecté à l’eau, la terre, les forêts et la faune. Leurs moyens de subsistance proviennent de la forêt, pratiquant au quotidien la cueillette de produits autres que le bois ainsi que la chasse d’animaux sauvages (ils ne sont pas protégés par les protocoles de conservation communautaire). Par leurs façons de faire, les Chepangs aident à réguler leur écosystème ainsi qu’à protéger la biodiversité.

Un bon exemple est le chiuri (Diploknema butyracea ou arbre à beurre indien), un arbre qui peut pousser en terre fragile et appauvrie mais qui produit des fruits, du fourrage et de l’ombre tout en prévenant les désastres naturels comme les glissements de terrain. Source de nourriture pour les humains, les arbres chiuri offrent aussi un habitat protégé pour plusieurs animaux, dont les chauves-souris, les oiseaux, les papillons et les abeilles, qui raffolent de ses fruits. Tout un monde d’interactions est ainsi créé entre les Chepangs, les arbres chiuri, les chauves-souris et d’autres espèces fauniques.

Les Chepangs ont planté des arbres chiuri pendant des siècles et les considèrent un bien précieux, au point même que les dots de mariage en tiennent compte. La pratique traditionnelle ancestrale de veiller à la conservation des arbres chiuri et d’autres formes de biodiversité favorise inévitablement la résilience des habitats forestiers où ils vivent.

L’une des grandes menaces qui pèsent sur la région découle du fait qu’on refuse d’accorder aux Chepangs les titres légaux des terres forestières et agricoles qu’ils occupent depuis des siècles. On observe de plus que les arbres chiuri produisent moins de fruits, possiblement à cause du changement climatique. L’influence croissante de cultures exogènes a une incidence sur l’identité culturelle des Chepangs, qui sont traditionnellement animistes, et a pour résultat de les éloigner de la nature. Les pratiques coutumières de conservation des Chepangs ne sont pas reconnues actuellement par le gouvernement, sans compter qu’ils sont réfractaires aux lois et règles officielles, qui affectent leur contrôle, leur accès et leur utilisation des ressources naturelles.

Les Chepangs conservent la biodiversité en protégeant leurs forêts. Les communautés Chepang ont adopté les principes de la gestion forestière communautaire et elles s’impliquent, sur une base volontaire, au sein des programmes de gestion des forêts en coordination avec les administrations locales forestières. La foresterie communautaire protège et rétablit l’habitat, vital pour la survie des oiseaux et d’autres espèces animales, et permet aussi d’augmenter les niveaux de séquestration du carbone et de préserver le couvert forestier. Elle permet aussi de contrôler l’usage des forêts, par exemple en émettant des interdictions de chasser lorsque les populations locales le demandent. Plusieurs études [2] ont démontré une amélioration significative de la santé des forêts quand elles sont administrées par la foresterie communautaire, celle-ci étant devenue un modèle de gestion éprouvée qui permet de contenir la déforestation et la dégradation des milieux forestiers ainsi que d’assurer des moyens de subsistance en garantissant l’accès aux produits de la forêt.

Le Forum national de plaidoirie du Népal (NAFAN selon son acronyme en anglais) appuie plus de 100 groupes Chepangs de la municipalité rurale de Raksirang en offrant aux communautés locales des semis qui leur permettent de générer des revenus, en organisant des formations sur la gestion forestière, ainsi qu’en mettant sur pied des plantations mixtes d’espèces indigènes et des programmes d’agroforesterie.

L’agroforesterie permet de créer un habitat pour des espèces capables de tolérer certains déséquilibres et aide à réduire les niveaux de dénaturation des habitats naturels en offrant des alternatives durables et plus productives que les systèmes d’agriculture intensive. Elle favorise la connectivité en créant des couloirs entre les habitats, conserve la diversité biologique et offre d’autres services aux écosystèmes comme le contrôle de l’érosion et la préservation des sources d’eau. Bien que les Chepangs n’aient développé leurs activités agricoles que depuis quelques décennies, celles-ci complètent bien leur savoir traditionnel et opèrent en synergie pour soutenir leurs moyens de subsistance et conserver la biodiversité de ces régions du pays.

Malgré leurs efforts, plusieurs familles Chepang n’ont pas suffisamment de nourriture pour toute l’année. Les menaces à leur mode de vie, comme l’absence d’une reconnaissance légale de leurs droits sur le territoire, infligent une pression additionnelle sur leur capacité à protéger les forêts et la biodiversité. Afin d’appuyer les communautés Chepang et soutenir le rôle vital qu’elles jouent pour la conservation des forêts, il est nécessaire d’accorder plus de financement et de formation aux groupes qui vivent de la forêt, pour ainsi renforcer leur capacité d’agir, renforcer leurs organisations et mieux les outiller pour faire face aux problèmes qui les affectent.

[1] Manandhar, N.P. 1997. Role of ethnobotany in the context of Nepal. Paper presented at workshop on Application of Ethnobotany to Community Development. January 6-13 1997, Sauraha, Chitwan, Nepal

[2] Parmi les études existantes, mentionnons les suivantes: Bhattarai, B. (2018). Shifting power from state to community control in forestry; an ethnographic study. Participation a Nepalese journal of participatory development. Kathmandu: Nepal Participatory Action Network; Flores, S., Evans, K., Larson, A. M., Pikotle, A., & Marchena, R. (2016). Participation of rural indigenous women in community governance. Bogor, Indonesia: Center for International Forestry Research (CIFOR); Pokharel, B.K., Carter, J., Parajuli, R.R., Byrne, S., & Gurung, B.D. (n.d). Community forestry in Nepal as a means of empowering people living in poverty: An assessment of its social, economic and environmental sustainability. Disponible à l’adresse https://www.eda.admin.ch/dam/countries/countries-content/nepal/en/resource_en_206126.pdf


Les vols aériens compensés par la forêt: les solutions basées sur la nature dépassent les bornes

Par Souparna Lahiri, GFC, India

L’industrie de l’aviation, vecteur mondial par excellence du Covid-19, continue de tenter sa chance sur le marché des crédits du carbone. Sa démarche cherche à rétablir la confiance à l’égard de la stratégie des compensations-carbone pour réduire les émissions, à redonner vie à la dynamique des prix du carbone et à résoudre le point controversé des négociations concernant le marché du carbone, tel qu’on le retrouve à l’article 6 de l’Accord de Paris. Les crédits du carbone provenant des forêts sont devenus rapidement l’une des solutions basées sur la nature les plus populaires pour faire face au changement climatique, promue activement par les secteurs qui polluent le plus et qui se refusent à réduire leurs émissions à la source.

La réponse de l’industrie de l’aviation face à la crise climatique est gouvernée par l’Organisation de l’Aviation civile internationale (OACI), sous l’égide de l’ONU, et son plan CORSIA (Régime de compensation et de réduction de carbone pour l’aviation internationale) dont la phase pilote de deux ans débutera en 2021. L’OACI a mis sur pied un Organe consultatif technique (TAB) [1] ayant pour tâche d’évaluer les programmes d’unités d’émissions de carbone que CORSIA pourra utiliser, en suivant les huit critères d’unités d’émissions admissibles (EUC en anglais) [2] approuvés par l’OACI. Le rapport de recommandations du TAB indique qu’aucun des 14 principaux programmes de compensations [3], dont le Registre américain du carbone, le Mécanisme de Développement propre (CDM en anglais) et le Fonds de Partenariat pour le Carbone forestier de la Banque mondiale, ne réussit à satisfaire les exigences minimales. On compte parmi les conditions à remplir celle d’assurer que les projets de crédits produisent des bénéfices réels et tangibles, qu’ils emmagasinent le carbone «de façon permanente» (une condition presqu’impossible à garantir) et qu’ils n’amènent pas les pratiques considérées nuisibles à simplement se déplacer ailleurs.

Dans le seul but de permettre au plan CORSIA d’être opérationnel, malgré l’échec à satisfaire les critères, le TAB (qui inclut des représentants du Brésil, de la Chine, de l’Inde et le co-président des négociations de l’article 6 de l’Accord de Paris) a reconnu comme éligibles, pour la phase pilote de CORSIA, le Registre américain du carbone, le Programme volontaire de réduction des émissions de Gaz à effets de serre (GHG) de la Chine, le CDM, la Réserve d’action sur le Climat, le Gold Standard et le Verified Carbon Standard.

Ces programmes de compensations ont été sélectionnés sous prétexte qu’ils avaient «réalisé des progrès substantiels» en corrigeant certaines lacunes, ou qu’ils avaient «signalé leur volonté de mettre en place des mesures permettant de garantir leur conformité avec les EUC.» [4] Cela revient à admettre qu’aucun n’arrive actuellement à satisfaire les critères d’admissibilité de CORSIA. Selon nous, cela remet en cause l’intégrité du plan d’action, dans son ensemble.

Avant la pandémie, la totalité de l’industrie de l’aviation était responsable de 12% des émissions de dioxyde de carbone [5], toutes sources de transport confondues, et représentait le secteur où l’augmentation des émissions était la plus rapide. Au lieu d’aligner l’industrie sur l’objectif de l’Accord de Paris de limiter la hausse des températures à
1,5 °C, l’OACI a plutôt choisi d’emprunter le chemin périlleux de compenser la croissance des émissions. L’impact du COVID-19 sur l’activité aérienne est une opportunité à saisir pour attaquer le problème des émissions d’une façon convaincante, en réduisant sérieusement les vols et en investissant dans des moyens de transport alternatifs, moins coûteux et plus propres.

Toutefois, ce sont ces mêmes transporteurs du COVID-19 à qui l’on offre aujourd’hui des milliards de dollars en plans de sauvetage, dans l’espoir qu’après la pandémie, ils puissent reprendre leurs affaires comme si de rien n’était. Aux États-Unis, le plan de sauvetage s’élève à 67 milliards de dollars US [6] tandis que l’Union européenne offrent aux compagnies aériennes 26 milliards d’euros. [7] En réaction, plus de 250 organisations en provenance de 25 pays ont sommé les gouvernements de ne pas adopter des mesures inappropriées pour sauver l’industrie, [8] en particulier si on n’inclut pas des conditions strictes qui obligent les compagnies aériennes à s’engager à réduire rapidement et concrètement leurs émissions. Mettre en place un système de crédits de carbone pour l’aviation, comme s’il s’agissait d’une solution basée sur la nature, aurait un effet contreproductif.

[1] https://www.icao.int/environmental-protection/Pages/A39_CORSIA_FAQ2.aspx
[2] https://www.icao.int/environmental-protection/CORSIA/Documents/ICAO_Document_09.pdf
[3] https://www.icao.int/environmental-protection/CORSIA/Pages/TAB2019.aspx
[4] http://sdg.iisd.org/news/icao-identifies-six-eligible-carbon-offsetting-programmes-for-aviation-industry/
[5] https://www.atag.org/facts-figures.html
[6] https://redd-monitor.org/2020/04/16/coronavirus-notes-3-the-us-bailout-of-its-airline-companies-is-insane/
[7] https://carbonmarketwatch.org/2020/04/30/airline-bailouts-set-to-double-to-e26bn-as-countries-fail-to-impose-binding-green-conditions/
[8] https://globalforestcoalition.org/red-lines-for-aviation-bailouts/


Les solutions portées par les femmes face à la détérioration des forêts au Ghana

Par The Development Institute, Ghana

Kpoeta Women’s Association organic farm. The Development Institute

L’Institut pour le développement (TDI en anglais), membre de la Coalition mondiale des forêts, travaille avec les groupes de défense des droits des femmes dans la zone du Weto des forêts de Haute Guinée de l’Afrique de l’Ouest, dans l’Est du Ghana, par l’entremise du programme Femme2030.

Ce travail accorde une valeur importante au rôle que jouent les femmes dans la conservation de la forêt et cherche à le renforcer en soutenant le leadership des femmes et leurs pouvoirs, en leur offrant des sessions de formation et de partage des compétences, et en protégeant leurs moyens de subsistance qui s’appuient sur des pratiques agricoles durables.

L’an dernier, nous avons appuyé l’Association des femmes Kpoeta afin de développer une pépinière d’arbres natifs et assurer un approvisionnement continu de jeunes plants pour que les femmes puissent restaurer les forêts détériorées ainsi qu’en planter sur leurs fermes de production de chocolat. Les femmes se partagent la responsabilité de gérer la pépinière, qui fonctionne aux côtés d’une ferme organique qui produit des aliments et génère des revenus pour leurs familles. Les femmes sont fières de n’utiliser aucun fertilisant synthétique ni pesticide, et elles ont mis sur pied au sein de la communauté une plateforme de partage des compétences et de connaissances croisées afin d’apprendre les meilleures pratiques d’agriculture organique et de conservation communautaire, tout en travaillant à l’égalité des genres. La ferme a récemment été agrandie avec le soutien du TDI dans le but de créer des opportunités de subsistance pour un plus grand nombre de femmes, et elle offre aujourd’hui un support à trente familles, qui reçoivent des revenus additionnels et des aliments-santé.

En plus de protéger la biodiversité et générer des revenus, l’association féminine a bâti un programme de renforcement des capacités de leadership des femmes, en particulier en ce qui a trait à la gouvernance des ressources naturelles. L’une des stratégies adoptées a été d’utiliser la radio communautaire pour tenir des tables de discussion sur la consolidation du pouvoir des femmes et sur les enjeux environnementaux, ce qui leur a permis de devenir une voix respectée au sein de la communauté. Les femmes de l’association ont progressivement solidifié leur confiance pour s’exprimer lors des réunions, et pour se présenter devant les décideurs et défendre leurs besoins et leurs droits.

Par ailleurs, l’Association des femmes Kpoeta a mis de l’avant des échanges de savoirs et d’habiletés avec d’autres groupes de droits des femmes de la région, entre autres avec l’Association de développement des femmes Elike et Femmes Tosukpo pour le changement. Les espaces conjoints de renforcement des capacités entre groupes de femmes, sur des sujets comme la restauration de la forêt, l’agriculture organique et les moyens de subsistance durables, sont fondamentaux dans leurs luttes pour l’égalité des genres.

Afin de sensibiliser les résidents locaux sur la prévention des incendies forestiers, le TDI et l’Association des femmes Kpoeta ont organisé une durbar (rencontre) communautaire à laquelle ont assisté plus de 500 personnes. Les feux de forêts représentent une grave menace aux moyens de subsistance, à la santé communautaire et à la conservation de la forêt, et il s’agit d’une problématique qui affecte bon nombre de gens à chaque année. Grâce à la durbar, les membres de la communauté toute entière ont pu mettre en commun leurs connaissances sur les impacts négatifs des feux de forêts, sur les façons de les prévenir et les moyens de les combattre quand ils sont hors de contrôle.

Les femmes de Kpoeta réussissent avec succès à restaurer les forêts et à les protéger des incendies, ainsi qu’à alimenter leurs familles et gagner des revenus du travail de la terre. Chaque stratégie se renforce mutuellement. C’est en s’organisant collectivement qu’elles y parviennent, malgré les défis de faibles niveaux de représentation politique et d’alphabétisme auxquels elles font face. C’est avec un soutien adéquat que ces efforts pourraient être multipliés et ainsi avoir un impact positif immense tant pour les forêts du Ghana que pour les communautés qui y habitent ou vivent près d’elles.


Équipe éditoriale: Coraina de la Plaza, Isis Alvarez, Jeanette Sequeira, Oliver Munnion, Simone Lovera et Souparna Lahiri

Éditeurs: Oliver Munnion et Megan Morrissey

Traductrice: Danae Serinet Barrera

Designer graphique: Oliver MunnionThis publication has been produced with the assistance of the European Union, the

Cette édition de Couverture forestière a été rendue possible grâce au soutien de EU-DEVCO, la Société suédoise pour la conservation de la nature (SSCN), Misereor et Patagonia. Les opinions exprimées par nos contributeurs ne sont pas nécessairement celles des donateurs.

22 mai, 2020
Posted in Forest Cover, ressources et publications, Supporting Community Conservation, Justice de genre et forêts, Forêts et Changement Climatique