Le plan de l’industrie de l’aviation pour compenser ses émissions n’est pas à la hauteur du défi climatique
L’aviation est un des deux seuls secteurs au monde qui n’a actuellement aucun objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre. L’aviation prévoit même d’augmenter ses émissions de 300% à 700% d’ici 2050. En septembre 2016, l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) a l’intention d’adopter des mesures pour atteindre une “croissance neutre en carbone” d’ici 2020, principalement via la compensation carbone. Les organisations signataires demandent aux pays engagés dans l’OACI de s’assurer que l’OACI adoptera un plan sérieux pour réduire ses émissions. Les plans visant à compenser la majorité des émissions du secteur ne permettent pas l’adoption de vraies mesures pour réduire les émissions du transport aérien.
Les gaz à effet de serre issus du transport aérien ont presque doublé entre 1990 et 2006, faisant de l’aviation mondiale le septième plus gros pollueur au monde. C’est particulièrement disproportionné quand on sait que ces émissions sont causées par 3 à 7 % de la population mondiale. C’est dans ce contexte que la proposition élaborée par l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) a fait l’objet de critiques pour son manque d’ambition.
La proposition de l’OACI pour réduire l’impact climatique du transport aérien repose largement sur la compensation carbone. Un communiqué publié par l’ “industrie aéronautique mondiale” en 2013 déclare que “l’industrie estime qu’un plan simple de compensation carbone serait le plus rapide à mettre en oeuvre, le plus simple à gérer et le plus rentable”. La compensation carbone est largement considérée comme une fausse solution parce qu’elle ne permet pas de réduire les émissions mais seulement de les déplacer d’un secteur à un autre avec à la clé, au mieux, un résultat nul.
Jusqu’à présent l’OACI a élaboré plusieurs principes que la compensation carbone devra satisfaire, comme éviter le double comptage, être calculée sur une base réaliste, être permanente et ne causer aucun préjudice. Cependant l’expérience du Mécanisme de développement propre (MDP) a profondément discrédité l’idée que la compensation offrait des bénéfices pour le climat. Les projets de compensation ont eux-mêmes en grande partie prouvé qu’ils étaient incapables de respecter les principes posés par l’OACI.
De nombreux retraités vulnérables se sont fait extorquer toutes leurs économies par des investissements frauduleux dans les crédits carbone. L’expérience du MDP ainsi que les controverses et les scandales autour des projets de compensation carbone sur les marchés volontaires du carbone ont amené le plus grand marché de compensation mondial, le système d’échange des émissions de l’UE, à interdire officiellement l’utilisation de crédits de compensation pour atteindre les objectifs post 2020 d’émissions de l’UE.
La réputation de la compensation carbone est mise à mal du fait qu’un nombre significatif de projets, notamment ceux visant à “réduire les émissions dues à la déforestation et à la dégradation des forêts” (REDD+), font face à une opposition locale et sont contestés parce qu’ils considèrent que l’agriculture paysanne et l’utilisation de la forêt par les peuples autochtones sont responsables de la déforestation, tout en gardant le silence sur les causes réelles de la destruction à grande échelle de la forêt.
Les forêts et les sols ne compensent pas les émissions d’énergies fossiles
Les projets de compensation de carbone terrestre, comme les projets REDD+ ou ceux issus de l’agriculture, sont particulièrement controversés et présentent des risques plus importants pour le climat.
Les projets REDD+ imposent des restrictions sur l’utilisation actuelle des terres – c’est ainsi qu’ils génèrent des économies de carbone vendues comme des crédits carbone. Parce que la grande majorité des projets REDD+ considèrent (à tort) que l’agriculture paysanne est responsable de la déforestation, en particulier celle qui s’appuie sur la rotation des cultures, de telles restrictions ont un impact destructeur sur les moyens de subsistance des paysans et sur les modes de vie des peuples de la forêt. Paradoxalement, les projets REDD+ qui s’attaquent aux vrais causes de la déforestation à grande échelle – extraction du pétrole, du charbon, infrastructures, grands barrages, industrie du bois et commerce international des produits agricoles – font largement défaut.
Compter les réductions d’émissions et distribuer le paiement des compensations à une multitude de petits paysans représentent un défi. Le risque est donc que les compensations agricoles favorisent l’agriculture industrielleou les monocultures, créant ainsi une raison supplémentaire de déposséder des petits propriétaires de leurs terres, particulièrement dans les pays du Sud.
Les crédits carbone issus de la préservation de la forêt, des plantations d’arbres ou de la séquestration du carbone dans le sol présentent le risque supplémentaire de devenir nuls quand des incendies, des tempêtes ou les processus naturels de décomposition entraînent des rejets incontrôlables du carbone stocké dans les arbres, le sol ou d’autres habitats naturels. C’est une des raisons pour lesquelles le MDP exclut de la compensation toutes les catégories en lien avec la forêt ou l’utilisation de terres agricoles, excepté pour les projets de boisement, de reforestation et de biomasse. Et même dans ces cas-là, les crédits compensation issus des plantations d’arbres sont vendus comme des crédits carbone temporaires qui ont besoin d’être rachetés après quelques années parce que les crédits issus de plantations d’arbres ne peuvent pas être considérés comme du stock permanent de carbone.
En résumé, les crédits compensation de carbone terrestre sont controversés, et l’expérience de REDD+ a montré que les standards ou les garanties de certification ne peuvent pas empêcher les conflits.
Nous, les signataires, demandons aux membres de l’OACI de s’assurer que les mesures qui seront adoptées lors de la 39ème session de l’OACI représenteront une contribution juste et adaptée à l’effort global pour limiter le réchauffement climatique en dessous de 2 degrés Celsius. Toute mesure adoptée à la 39ème session de l’OACI devra présenter une proposition sérieuse de réduction des émissions. Toute mesure devra également exclure les crédits compensation de carbone terrestre, comme les projets de type REDD+, pour les raisons exposées dans cette lettre.