La nature et l’humanité, grandes perdantes de l’Accord de Paris
Mary Louise Malig*
C’est en grande pompe que l’Accord de Paris a été signé à New York : les signataires ont pu se serrer allègrement la main et se congratuler en clamant haut et fort « on l’a fait » – entendez par là, signé un accord historique sur le climat grâce auquel notre planète devrait échapper au chaos climatique.
Cette semaine, les délégations gouvernementales et les organisations de la société civile reprennent leurs travaux à Bonn, à l’occasion des réunions de l’organe subsidiaire de mise en œuvre (SBI 44), de l’organe subsidiaire de conseil scientifique et technologique (SBSTA 44) et du groupe de travail spécial sur l’Accord de Paris (APA 1). Leur travail consiste à définir concrètement les prochaines étapes, notamment l’interprétation de l’Accord de Paris et comment mettre en œuvre ce dernier.
Mais une fois retombée l’effervescence de Paris, de quoi pouvons-nous encore nous réjouir ? Et que cela signifie-t-il ?
Il ne fait aucun doute que l’Accord de Paris a été une grande victoire diplomatique. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 194 pays ont adopté l’accord en décembre dernier et au 23 mars 2016, ils étaient 155 à avoir signé ledit document. Cela donne l’impression qu’enfin, nous allons nous attaquer sérieusement au changement climatique.
Mais pour ce qui est de l’avenir de l’humanité et des écosystèmes de la planète, cet accord est en fait un véritable échec.
Le texte en lui-même peut sembler ambitieux, notamment lorsqu’on y lit que l’objectif de l’Accord de Paris est de contenir « l’élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels et [de poursuivre] l’action menée pour limiter l’élévation des températures à 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels… » Mais il ne s’agit là que d’un objectif. Ce qui compte réellement, c’est ce que les pays réunis à Paris ont convenu de faire, et là c’est une autre histoire.
En réalité, la plupart des engagements pris par les gouvernements en matière de réduction des émissions (les INDC, ou contributions prévues déterminées au niveau national) sont insuffisantes au point que selon les estimations, elles aboutiraient à un réchauffement global de 3 à 4 °C, avec les conséquences catastrophiques que cela entraînerait.
Dans le texte, l’adoption de l’Accord de Paris elle-même « note avec préoccupation que les niveaux des émissions globales de gaz à effet de serre en 2025 et 2030 estimés sur la base des contributions prévues déterminées au niveau national ne sont pas compatibles avec des scénarios au moindre coût prévoyant une hausse de la température de 2 °C, mais se traduisent par un niveau prévisible d’émissions de 55 gigatonnes en 2030 » (1) (par opposition aux 40 gigatonnes recommandés comme objectif dans la résolution).
Un tel écart en matière d’émissions sera meurtrier et aura des conséquences bien réelles sur nous tous : l’extinction d’espèces d’animaux, la destruction de cultures agricoles et de moyens de subsistance en raison de conditions climatiques extrêmes, la disparition d’îles toutes entières, et des réfugiés climatiques n’ayant nulle part où aller.
Comme si cela ne suffisait pas, les engagements ou INDC des pays ne sont pas juridiquement contraignants. En d’autres termes, si un pays ne respecte pas sa « contribution », il n’en sera pas inquiété. Aucun instrument ou mécanisme de conformité ne permettra de sanctionner l’état membre en question. On attend des gros pollueurs qu’ils réduisent leurs émissions par pure bonne volonté, mais l’expérience montre bien qu’il n’en est rien, surtout lorsqu’une telle démarche est perçue comme une entrave à la croissance économique.
Non seulement l’Accord de Paris ne prévoit aucun instrument efficace pour que les pays entament une réduction assez conséquente et assez rapide de leurs émissions de façon à combler cet écart à temps, mais il ouvre en outre la voie à de nouveaux mécanismes de marchés du carbone (voir article 6). Or jusqu’ici, les mécanismes de marchés du carbone n’ont jamais contribué à réduire les émissions. Au contraire, ces instruments offrent des brèches et des moyens permettant aux pollueurs de se soustraire à leurs responsabilités historiques.
Le texte agit cependant de façon plutôt subtile. En effet, aucune référence n’est faite aux « marchés du carbone » ni aux « compensations carbone ». Le texte évoque en revanche un « mécanisme pour contribuer à l’atténuation des émissions de gaz à effet de serre et promouvoir le développement durable » qui « [contribuera] à la réduction des niveaux d’émissions dans la Partie hôte, qui bénéficiera d’activités d’atténuation donnant lieu à des réductions d’émissions qui peuvent aussi être utilisées par une autre Partie pour remplir sa contribution déterminée au niveau national ». Autrement dit, un pays peut acquérir des crédits-carbone auprès d’un autre pays pour minimiser ses obligations en matière de réduction des émissions. Appelons un chat, un chat : il s’agit bien là d’échanges de crédits-carbone.
Le fonctionnement de ce mécanisme et la nature des nouveaux marchés du carbone qui en découleront restent à définir. Mais la porte est désormais ouverte et il est évident que les grandes entreprises et autres investisseurs financiers souhaitent voir figurer sur ces marchés les activités de captage et de stockage du carbone des forêts. Les multinationales qui ont accaparé les négociations sur le changement climatique prônent également la création d’un marché carbone spécifique à la « modification de l’affectation des terres », un terme très vague qui pourrait recouvrir toutes sortes d’activités allant de l’agriculture à l’élevage de bétail. Il s’agit d’une démarche particulièrement dangereuse dans la mesure où les politiques alimentaires et agricoles pourraient alors dépendre de la comptabilisation du carbone et des marchés du carbone.
Des forêts, de l’ODD 15.2 et des plantations
L’article 5 de l’Accord de Paris a trait aux forêts. Il évoque la conservation des forêts « par des versements liés aux résultats » et des « mesures d’incitation positive concernant les activités liées à la réduction des émissions résultant du déboisement et de la dégradation des forêts ». Il préconise également « l’accroissement des stocks de carbone forestiers dans les pays en développement », ce qui sous-entend le développement de plantations forestières en monoculture – néfastes à la fois d’un point de vue social et environnemental – pouvant relever de la comptabilisation du carbone au titre des règles actuelles. Ces activités sont généralement présentées sous l’acronyme REDD+.
Cet article se montre beaucoup moins ambitieux que l’Objectif de développement durable (ODD) 15.2, récemment convenu par les gouvernements, qui vise à mettre un terme à la déforestation d’ici à 2020. Cette cible n’est pas mentionnée dans l’article 5 de l’Accord sur le climat. Au contraire, les INDC des pays présentant un taux élevé de déforestation révèlent l’intention de ces derniers de poursuivre la déforestation non seulement après 2020, mais après 2030. Certaines INDC, comme celles du Brésil, évoquent par exemple de mettre en terme à la déforestation illégale, tout en continuant d’autoriser la déforestation légale.
Une étude conjointe menée par plusieurs centres de recherche a analysé les engagements des INDC des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud). La conclusion de cette étude a révélé que le résultat global des INDC de ces pays revenait au maintien du statu quo jusqu’en 2030 et que les BRICS ne commenceraient à réduire leurs émissions qu’à compter de cette date. (2)
En résumé, les INDC actuellement à l’ordre du jour constituent une violation de l’ODD 15.2, même si l’ONU ne reconnaît toujours pas cette incohérence flagrante entre les textes.
L’Accord de Paris aurait dû garantir la réalisation de la cible « zéro déforestation d’ici à 2020 » des ODD, par souci de cohérence vis-à-vis de ces objectifs mondiaux convenus antérieurement. Si ce n’est pas le cas, c’est parce que les grandes entreprises, qui influencent de façon illégitime les négociations sur le changement climatique, ne souhaitent pas mettre un terme à la destruction des vraies forêts : elles souhaitent pouvoir compenser cette déforestation grâce à des plantations forestières commerciales en monoculture. Telle la voie sur laquelle nous a mis l’Accord de Paris.
Enfin, l’Accord de Paris ne fait aucune référence explicite à la géo-ingénierie ou aux BECSC (bioénergie couplée au captage et stockage du carbone), mais cela ne signifie pas pour autant que ces sujets ne sont pas débattus par les gouvernements. Les réductions d’émissions prévues par les INDC ne permettant pas de réaliser l’objectif visant à limiter la hausse de la température à moins de 2 °C, les grandes entreprises ont saisi l’occasion pour proposer des technologies dangereuses, non testées et hasardeuses qui, prétendent-elles, pourraient contribuer à réaliser cet objectif.
Par exemple, les « émissions négatives » ne sont qu’un euphémisme faisant en fait référence au captage et au stockage du carbone. Plusieurs études, dont la dernière en date a été réalisée par Biofuelwatch, ont minimisé les promesses que vantent les BECSC, arguant que ces technologies n’étaient non seulement pas viables, mais qu’elles risquaient, à grande échelle, de contribuer aux émissions liées aux modifications dans l’affectation des terres. (3) Par ailleurs, la mise en place à grande échelle de plantations forestières en monoculture et de cultures bioénergétiques destinées au captage et au stockage du carbone nécessiterait le double des terres arables dont dispose la planète. (4)
En acceptant l’Accord de Paris sans broncher, nous risquons de perdre encore 15 années capitales en détournant l’attention du public et en donnant l’impression que des actions positives se produisent alors qu’en réalité, l’humanité et la nature perdent un temps précieux qu’elles ne pourront jamais rattraper.
Après Paris il est clair que les vraies solutions ne viendront que des mouvements de la base, des communautés autochtones et des citoyens sur le terrain, et que pour encourager ce processus il est nécessaire de faire éclater au grand jour l’horrible vérité sur ce qui se passe réellement dans les négociations sur le climat.
Nous devons appeler à des actions concrètes et immédiates pour limiter la hausse des températures à 1,5 °C et ce, sans avoir recours à des technologies hasardeuses et néfastes telles que les BECSC, et sans brèches comme celles qu’offrent la comptabilisation du carbone et les mécanismes de marchés.
Nous devons nous battre en faveur d’actions concrètes pour réaliser l’objectif zéro déforestation d’ici 2020, et lutter contre la création de nouveaux mécanismes de marché, en particulier ceux ayant trait à l’utilisation des terres et à l’agriculture. Nous devons défendre les droits des femmes, des communautés autochtones, des paysans et de la nature.
*Mary Louise Malig, chercheuse et analyste des marchés, est coordinatrice de campagne au sein de la Coalition mondiale des forêts.