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Justice de genre et action climatique : Une analyse féministe de l’élaboration des politiques forestières et climatiques

Alors que les négociations mondiales sur le climat se déroulent pour la 26e fois, cette fois ci à Glasgow, en Écosse, nous nous rappelons une fois de plus à quel point le changement climatique est le défi le plus important, le plus complexe et le moins juste auquel nous sommes confrontés en tant que société.

Il est urgent d’adopter des politiques efficaces pour faire face à l’urgence climatique et restaurer les forêts. Cependant, lorsque ces politiques sont issues des mentalités coloniales et patriarcales existantes, elles ne font que perpétuer les causes profondes de la crise à laquelle elles sont censées s’attaquer. Ce faisant, elles ne traitent pas de la répartition inégale de l’accès et du contrôle des ressources que connaissent les communautés de première ligne en fonction du genre, de la classe, de la race, de la caste, de l’âge et des capacités, ainsi que d’autres formes de discrimination. En conséquence, ils maintiennent un système injuste et inégalitaire de formes d’oppression croisées qui non seulement reproduit et renforce les obstacles structurels à la réalisation de la justice climatique, mais réduit également la capacité de la Terre à restaurer ses écosystèmes et à extraire le carbone de l’atmosphère.

Jamais cette menace n’a été aussi grande qu’à la COP26, qui est dirigée par une présidence accusée de négationnisme climatique et de misogynie. Il n’est donc pas surprenant que les fausses solutions telles que les promesses de réduction à zéro et les solutions basées sur la nature soient en tête de l’ordre du jour, tandisque que les promesses de réduction des émissions faites par les gouvernements mettent le monde sur la voie d’un réchauffement dévastateur de 2,7 degrés ou plus.

Le dernier rapport de GFC dans notre série sur le couvert forestier se concentre sur huit études de cas basées sur les expériences des comtés, fournies par nos groupes membres, avec un éditorial qui contextualise ces luttes et fait ressortir leurs thèmes communs. Ces études analysent un large éventail de politiques d’atténuation du changement climatique liées aux forêts, depuis les programmes nationaux jusqu’aux programmes mondiaux de la Banque mondiale et des Nations unies. L’analyse a été réalisée selon une méthodologie féministe développée par les groupes membres du GFC, qui permet d’évaluer les politiques climatiques à travers un prisme de justice de genre, en mettant l’accent sur les besoins et les rôles des femmes dans toute leur diversité, en tant que titulaires de droits et agents de changement.

Nous espérons que ce rapport pourra contribuer à orienter la COP26 et l’élaboration des politiques climatiques et forestières en général loin des fausses solutions inéquitables, et vers la justice climatique.

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Pour plus d’informations concernant le travail de GFC sur la justice de genre et l’action climatique, veuillez consulter nos pages de campagne Justice de genre et forêts, et Forêts et changement climatique.

Contenu:


Introduction: Nous ne parviendrons pas à la justice climatique sans la justice de genre

Par Coraina de la Plaza, Global Forest Coalition, Espagne, and Jeanette Sequeira, Global Forest Coalition, Pays-Bas

Foto: Annabelle Avril/WECF

L’enjeu du changement climatique est le plus grand, le plus complexe et le moins juste auquel nous sommes confrontés en tant que société. L’échec d’un programme politique qui refuse de s’attaquer aux causes profondes de la crise ou d’éliminer les barrières structurelles qui entravent une action efficace nous mène rapidement au point de non-retour.

Le récit mondial sur le changement climatique continue d’être dominé et modelé par les gouvernements et les entreprises plutôt que par les communautés de première ligne ainsi que la société civile. Les stratégies d’atténuation du changement climatique sont conçues tout d’abord pour éviter toute action urgente, et ne répondent pas aux besoins et au bien-être des groupes les plus touchés et sous-représentés ,quand bien même ils sont les moins responsables de la crise.

Les promesses de zéro émission nette des gouvernements et des industries polluantes, les programmes fondés sur le marché qui commercialisent la vie, le boisement et la reforestation avec des plantations en monoculture, les solutions fondées sur la nature et la bioénergie à grande échelle sont tous des exemples de cette approche ratée. La COP 26, dirigée par une présidence misogyne désinvolte  et  jusqu’à  récemment  négationniste du climat, est un exemple frappant de la façon dont ce récit est encouragé dans l’agenda climatique mondial, déguisé en action climatique véritablement transformatrice.

Les approches fondées sur le marché favorisent intrinsèquement ceux qui ont le pouvoir économique et ont tendance à enraciner davantage les inégalités auxquelles sont confrontés les femmes, les Peuples autochtones et d’autres groupes qui sont sous-représentés économiquement, socialement et politiquement. Par exemple, dans des systèmes tels que les paiements pour les services écosystémiques (PSE),  les paiements se sont souvent avérés être contrôlés par des hommes relativement riches. Les recherches dans le Bassin du Congo soulignent le fait que dix ans de projets REDD+1  n’ont pas permis d’améliorer les droits des Peuples forestiers, la gouvernance forestière ou la réduction des taux de déforestation. Il n’est donc pas surprenant que la perception du bien-être des femmes se soit détériorée dans certains programmes REDD+

Ce rapport est composé d’une série d’études de cas fournie par les groupes membres de GFC. Celles-ci analysent un large éventail de politiques d’atténuation des changements climatiques en matière de forêts, des programmes au niveau des pays aux programmes mondiaux de la Banque mondiale et des Nations Unies. L’analyse a été réalisée selon une méthodologie féministe développée par les groupes membres de GFC. Elle aide à évaluer les politiques climatiques sous l’angle de la justice de genre, en mettant l’accent sur les besoins et les rôles des femmes dans toute leur diversité, en tant que titulaires de droits et agents de changement.

Ensemble, les études de cas au sein de ce rapport démontrent comment les politiques climatiques et forestières nées des mentalités patriarcales et coloniales ne font que perpétuer les causes profondes de la crise à laquelle elles sont censées s’attaquer. Ainsi, ces politiques ne réussissent pas à gérer la répartition inégale de l’accès et du contrôle des ressources vécues par les communautés de première ligne sur la base du genre, de la classe, de la race, de la caste, de l’âge et de l’habileté, entre autres. En conséquence, elles contribuent au maintien d’un système injuste, inégal avec des formes intersectionnelles d’oppression qui reproduisent et renforcent les barrières structurelles au lieu de les briser. Cette situation est décrite dans les études de cas des Îles Salomon, du Népal et de la RDC, où les initiatives d’atténuation des changements climatiques sapent les droits des femmes et des autres groupes sous-représentés. 

Il est largement reconnu par un nombre croissant de preuves  que  les femmes, en particulier les femmes autochtones et des castes inférieures, sont plus vulnérables aux changements climatiques et aux changements d’utilisation des terres tels que la déforestation. La lutte contre les inégalités entre les genres est essentielle à l’atténuation efficace du changement climatique et à l’adaptation à celui-ci. Malgré cela, la cécité en matière de genre est encore alarmante, même dans les politiques climatiques prétendument phares telles que les contributions déterminées au niveau national (CDN) de la CCNUCC. Les CDN sont au cœur de l’Accord de Paris et établissent des feuilles de route au niveau des pays pour l’atténuation du changement climatique et l’adaptation à celui-ci. Cependant, au premier tour, seulement 64 des 190 CDN incluaient une référence aux femmes ou au genre. L’étude de cas du Paraguay sur les CDN mises à jour est un exemple de cet aveuglement sur le genre qui prévaut dans certains domaines de l’élaboration des politiques climatiques, où de fausses solutions sont promues plutôt que des propositions qui tiennent véritablement compte des petits agriculteurs, des peuples autochtones et des femmes. 

L’un des impacts ressentis de manière disproportionnée par les femmes est celui des politiques qui menacent et sapent les droits fonciers des communautés. De fait, les femmes assument la plus grande responsabilité dans la collecte de nourriture, d’eau et d’énergie aux familles, mais n’ont souvent pas leur mot à dire sur la façon dont les terres sont utilisées. Par exemple, des études de cas examinent comment la stratégie REDD+ de la RDC et les programmes de boisement en Inde liés aux engagements de la convention des Nations Unies sur le climat exploitent les conditions d’insécurité du régime foncier et les droits d’accès aux ressources forestières.  

Les études de cas de ce rapport soulignent également la contribution économique significative des femmes rurales par le biais de leurs travaux de soins non rémunérés et de leurs travaux domestiques, ainsi que la façon dont ce fardeau est exacerbé par les politiques climatiques qui favorisent la protection stricte des forêts et des plantations privées. L’accès restreint aux forêts oblige les femmes et les filles à parcourir de longues distances et à passer plus de temps à la corvée d’eau, à collecter de la nourriture, des médicaments et du bois de feu pour leurs ménages, générant ainsi un risque personnel plus élevé. 

Au Rwanda, l’absence de politiques énergétiques inclusives et du genre renforce la dépendance à l’égard de la bioénergie pour les besoins énergétiques domestiques, ce qui entrave les perspectives d’éducation des femmes et des filles et leur participation aux activités de développement communautaire. Les moyens de subsistance forestiers sont également touchés, comme le montre l’étude de cas sur la Russie : les plantations de pins en monoculture ont perturbé les petites entreprises dont les femmes dépendaient et qui s’appuyaient sur la collecte de baies forestières, de champignons, d’herbes et d’eau potable.

Bien que des progrès aient été réalisés, il reste encore un long chemin à parcourir pour reconnaître les femmes comme les puissants agents de changement qu’elles sont et intégrer la justice de genre dans les politiques et les processus décisionnels en matière de climat, de forêts, de terres, d’eau et d’énergie. Ceci est mieux illustré par les femmes autochtones Dhanwar en Inde : de fait, leurs connaissances et leurs pratiques traditionnelles jouent un rôle clé dans la conservation des forêts, mais leur mode de vie est menacé par le climat et les politiques forestières qui tentent de remplacer leurs diverses forêts par des plantations en monoculture. 

L’intégration de la justice de genre dans l’élaboration des politiques doit aller au-delà de la simple réponse aux besoins des femmes et des filles. Elle doit être transformatrice, ce qui signifie garantir les droits des femmes à l’information, à la formation, à la représentation, à la gouvernance et à l’accès aux ressources, en plus de respecter leurs droits humains fondamentaux.

Que ce soit au Chili, en Russie, en Inde ou au Népal, les études de cas prouvent que les luttes menées par les femmes se produisent à travers le monde et représentent une lueur d’espoir dans ce qui peut autrement être considéré comme une évaluation assez sombre des efforts d’atténuation du changement climatique. Leur action collective pour prendre soin de leurs communautés et les nourrir, et pour conserver les forêts dont elles dépendent, est un acte de résistance indispensable pour résoudre la crise climatique et sauvegarder les droits humains et territoriaux. En plus de cela, leur organisation ascendante pour gérer les forêts dans l’intérêt de tous et pour mettre fin à la déforestation et à la dégradation des forêts permet en fait de réduire les émissions que tant de politiques climatiques découlantes ne parviennent pas à atteindre.

Leur action collective réaffirme à quel point il est primordial de placer la justice de genre, les droits des Autochtones et la gouvernance communautaire au cœur de l’élaboration des politiques forestières et climatiques, et comment, grâce au féminisme, nous pouvons réaliser les changements radicaux qui nous mèneront à un avenir juste et équitable. 

 

1 REDD+ est un programme des Nations Unies visant à « réduire les émissions de la déforestation et de la dégradation des forêts, à encourager la conservation et la gestion durable des forêts ainsi qu’à améliorer le stockage de carbone forestier ».

Les déséquilibres de pouvoir entre les genres dans les solutions dites fondées sur la nature1

La plupart des forêts restantes du monde se trouvent dans des zones éloignées, escarpées et économiquement peu attrayantes, car les terres fertiles ont été historiquement les premières à être converties à des utilisations agricoles et autres. Les communautés politiquement et économiquement marginalisées, telles que les Peuples autochtones, se sont souvent retrouvées dans ces forêts après avoir été chassées de zones plus intéressantes. Ces communautés ont tendance à dépendre de manière disproportionnée du libre accès aux ressources non monétaires que les forêts peuvent fournir, telles que le bois de feu, et à une vaste gamme de produits forestiers non ligneux tels que la viande gibier et les plantes médicinales. Cependant, en raison de leur marginalisation, elles se sont souvent vu refuser des droits légaux de tenure et de gouvernance sur leurs forêts. 

Ces forêts restantes figurent également en bonne place à l’ordre du jour climatique, étant donné que le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat et d’autres institutions ont reconnu que la réduction des émissions dues à la déforestation et à la dégradation des forêts et l’élimination du carbone de l’atmosphère par le reboisement peuvent jouer un rôle important dans l’atténuation du changement climatique et l’adaptation à celui-ci. De plus en plus, ces politiques sont présentées comme des « solutions fondées sur la nature » (SfN). 

La question qu’il faut se poser est la suivante : quels problèmes ces solutions abordent-elles réellement et quels sont les besoins les plus pris en compte ? Il existe une tension inhérente entre les intérêts des élites économiquement puissantes, souvent urbaines, qui promeuvent les SfN, et les droits, les besoins et les intérêts des Peuples autochtones, des communautés rurales, des femmes et d’autres groupes sous-représentés qui habitent les forêts dans lesquelles ces « solutions » sont mises en œuvre. 

En raison d’un patriarcat profondément enraciné, les femmes souffrent de multiples formes de discrimination et de marginalisation. Cela inclut un manque de droits fonciers et d’accès officiels, malgré le fait que les femmes représentent 83% des 850 millions de personnes qui dépendent des forêts pour leurs besoins fondamentaux. Les femmes jouent un rôle central dans la conservation et la restauration des forêts, mais elles ont tendance à avoir très peu leur mot à dire dans la gouvernance forestière, et leurs droits fonciers et d’accès sont facilement négligés. En réalité fait, chaque fois que les forêts deviennent plus attrayantes sur le plan commercial, par exemple par le biais des marchés de compensations de carbone forestiers, les droits fonciers et d’accès aux forêts ont tendance à passer des femmes aux hommes, ce qui a permis de déposséder et d’exclure les femmes qui contribuent le plus à la protection des forêts.

Le régime climatique actuel est aujourd’hui dominé par de puissantes élites politiques et du monde des affaires mondiales qui répondent principalement aux intérêts des consommateurs urbains riches, créant des tensions inhérentes et des déséquilibres de pouvoir dans l’élaboration des politiques climatiques. Cela signifie que les SfN axées sur les entreprises sont prioritaires par rapport aux approches davantage fondées sur les droits, malgré les preuves évidentes que la reconnaissance juste en matière de genre des droits de gouvernance forestière des Peuples autochtones et des communautés locales peut aider à protéger ceux qui vivent réellement dans les forêts, dépendent de celles-ci et en prennent soin.

 

1  iIl s’agit d’un résumé des principales conclusions de Lovera-Bilderbeek and Lahiri, 2021, Addressing Power Imbalances in Biosequestration Governance

Progress towards gender justice and community forest governance eroded by afforestation and carbon offsets in Bakhai village, India

Par Kanta Marathe, Navrachna Samaj Sevi Sanstha, et Souparna Lahiri, GFC, Inde

Femmes de Bakhai. Navrachna

Bakhai est niché au pied de Narsimhnath, dans le district de Korba, riche en charbon, de la province indienne centrale de Chhattisgarh. Le village de 320 personnes est habité par la communauté autochtone Dhanwar.

Bakhai est constamment confronté à la double menace de l’expansion de l’extraction du charbon et du boisement compensatoire, ce qui touche les objectifs de réduction des émissions de l’Inde. Dans ses contributions déterminées au niveau national (CDN) à la CCNUCC, l’Inde s’est engagée à augmenter son couvert forestier de 10 millions d’hectares et à améliorer sa séquestration de carbone de 100 millions de tonnes d’équivalent CO2 annuellement. Ces engagements ont été déterminés sur la base du projet phare de l’Inde sur le climat, Green India Mission (GIM de son acronyme anglais). 

L’Autorité de gestion et de planification du Fonds de boisement compensatoire (CAMPA de son acronyme anglais) perçoit une taxe sur les projets industriels qui provoquent la déforestation  ailleurs; le Fonds de boisement compensatoire est l’un des principaux bailleurs de fonds des projets de la GIM, octroyant des financements s’élevant à quelque 15 milliards de dollars américains en 2019. CAMPA est essentiellement un programme de compensation interne, où les entreprises impliquées dans l’industrie minière et autres, paient une valeur nette pour la déforestation afin de financer les paiements pour des services écosystémiques ailleurs, ce qui implique principalement l’expansion des plantations d’arbres.

A l’opposé de cette approche ascendante de la réduction des émissions et de la compensation de la déforestation se trouve la loi sur les Tribus Répertoriées et autres habitants traditionnels de la forêt (reconnaissance des droits forestiers) de 2006, également connue sous le nom de loi sur les droits forestiers (FRA de son acronyme anglais). La FRA a permis aux femmes de Bakhai de résister à la déforestation et aux plantations en monoculture, et de s’engager sur une voie de subsistance durable et de gouvernance des ressources.

Les femmes qui, traditionnellement, étaient tenues à l’écart des processus de prise de décision et qui luttaient pour contribuer aux revenus familiaux grâce à la collecte illégale et à petite échelle de produits forestiers ont trouvé une voix à l’aide de la FRA. Cette loi a donné autorité au Gram Sabha (le Conseil de village), une assemblée mandatée par la Constitution et composée de tous les membres adultes du village. Il est exigé qu’au moins un tiers du quorum soit des femmes chaque fois que le Gram Sabha est convoqué. La FRA garantit également la pleine participation et sans restriction des femmes, et défend leurs droits de propriété lorsque les titres fonciers sont enregistrés conjointement au nom des deux époux, ou au nom d’une femme si cette dernière dirige le foyer seule. 

Après des années de retard dû à une mauvaise mise en œuvre de la FRA et aux obstacles créés par le Département des forêts, le Gram Sabha de Bakhai a été convoqué en août 2016. L’esprit et les principes de base de la FRA a permis aux femmes de Bakhai de partager leurs points de vue et leur compréhension des pratiques de conservation et de la gouvernance des ressources au sein du Gram Sabha, ainsi que de la mise en œuvre du plan de gestion forestière du village. Cela a également donné aux femmes de Bakhai le pouvoir d’arrêter les opérations d’exploitation forestière.

A la toute première occasion, les femmes de Bakhai ont confronté les agents du Département des forêts et ont arrêté la coupe d’arbres qui avait lieu dans leurs forêts. La loi coloniale sur les forêts indiennes de 1927 autorise le Département des forêts à pratiquer la coupe, où des arbres centenaires sont abattus à blanc en blocs et remplacés par des plantations commerciales. En décembre 2016, en plus d’empêcher l’abattage de 60 000 arbres,1 les femmes de Bakhai ont saisi les grumes des arbres qui avaient déjà été coupés et ont écrit au responsable des forêts du district, aux hauts responsables gouvernementaux et même au gouverneur de la province.

Le Département des forêts a réagi en tentant de planter de force des arbres à Bakhai, et ce faisant, ont détruit les cultures traditionnelles des villageois. Les femmes ont alors convoqué une réunion du Gram Sabha et ont adressé une convocation aux fonctionnaires du Département des forêts. La plantation d’arbres sur les terres des villages et la création de pâturages est une pratique courante du Département des forêts puisque cela met en œuvre les projets de reboisement et de boisement compensatoire pour le compte de la CAMPA et de GIM.

Les femmes de Bakhai avaient vu un si grand nombre de projets de plantations forcés entrepris par le Département des forêts au sein de plusieurs villages du district voisin de Bilaspur, qu’elles ont décidé de mobiliser les membres du Gram Sabha pour s’assurer qu’aucune plantation d’arbres puisse avoir lieu sans leur consentement préalable. Les membres du sexe masculins du Gram Sabha ont exprimé leur solidarité envers les femmes, et ont ainsi forcé le Département des forêts à respecter la législation sur la gouvernance locale établie dans la FRA.

Après avoir stoppé avec succès l’exploitation forestière et l’expansion des plantations, les femmes de Bakhai ont pu recentrer leurs efforts sur leurs pratiques d’agriculture traditionnelle et de conservation qui protègent les forêts depuis des générations.

Avec le soutien de Navrachna, les femmes de Bakhai ont mené une cartographie des ressources communautaires de leurs forêts de manière à identifier, compter et cartographier les espèces locales et menacées d’arbres, de plantes et de racines. Elles ont également formé un comité de gestion des forêts communautaire (CFMC de son acronyme anglais) qui se réunit régulièrement et partage la responsabilité de garder les forêts communautaires entre les familles concernées. Les femmes protègent les forêts durant le jour et les hommes prennent le relais à la tombée de la nuit.

Les villageois ont mis en place une banque de semences d’espèces forestières puisque les femmes ont découvert que l’arrosage de boules de graines dans les forêts pour la germination lors de la mousson était un moyen plus efficace pour restaurer les forêts que la création de plantations. Les femmes ont également créé des pépinières pour les arbres fruitiers tels que le jamelonier, le goyavier, le groseillier de Ceylan, le manguier, le jacquier, le mûrier blanc et le cachiman, et ont contribué bénévolement en creusant, en plantant et en clôturant les superficies avec des buissons épineux. Du bambou est également cultivé dans les pépinières puisque les résidents de Bakhai sont traditionnellement des tisserands et vendent des paniers de bambou tissés sur les marchés locaux.

Etant une communauté dépendante de la forêt, les Dhanwars ne cultivent pas traditionnellement des légumes annuels, mais plutôt collectent et consomment des aliments non cultivés trouvés dans les forêts. Avec l’augmentation de la déforestation et l’interdiction d’entrer dans les réserves forestières, les aliments forestiers ont disparu de leurs assiettes, entraînant ainsi la malnutrition chez les femmes allaitantes et les enfants. Pas plus tard qu’en 2018, les femmes de Bakhai ont commencé à cultiver des cultures annuelles telles que les haricots, les pommes de terre, le riz, les tomates et les légumes à feuilles en utilisant des techniques sans labour et organiques. Cette initiative a augmenté les niveaux de nutrition et de stockage du carbone dans les sols. Du curcuma, de la moutarde, du lin et des légumes secs poussent dorénavant dans leurs petites parcelles dans le cadre d’une pratique de culture à trois niveaux. 

L’agro-écologique a également été relancée à Bakhai avec le retour du mil qui était traditionnellement cultivé sur brûlis, mais qui a disparu lorsque cette pratique a été interdite suite à l’adoption de la loi sur la conservation des forêts de 1980. Le mil est une culture adaptée aux terres escarpées, vallonnées et caillouteuses du village et est compatible avec la restauration des forêts puisque le semis ne nécessite pas de labour.

D’autres innovations dirigées par des femmes incluent les systèmes d’irrigation goutte à goutte des pots en terre à l’aide de petits trous au fond pour arroser les plantes tendres en été. Il s’agit de la parfaite solution pour les terres vallonnées de Bakhai qui ne retiennent pas facilement l’eau et pour renforcer la résilience dans les communautés aux modifications des régimes de précipitations en raison des changements climatiques.

Afin de préserver leurs pratiques et leurs connaissances traditionnelles, les femmes de Bakhai ont inauguré un centre de ressources qui présente les variétés traditionnelles de riz et de semences d’arbres. Leur exposition dans le centre de ressources leur permet de transmettre leur savoir traditionnel des forêts et de la biodiversité aux enfants du village. Bien que ce puissant groupe de femmes à Bakhai ait réussi à transformer son village, la sécurisation des droits communautaires sur les ressources forestières leur échappe toujours. Le gouvernement n’a pas encore officiellement enregistré leurs droits, en violation avec la FRA, gâchant ainsi une excellente occasion de renforcer la conservation forestière, les moyens de subsistance et la sécurité alimentaire des communautés vivant dans la forêt. La lutte des femmes de Bakhai continue.

 

1 Données collectées par Navrachna auprès des villageois et de l’application Droit à l’information.

REDD+ au Népal : Quels sont les impacts sur les femmes et les filles autochtones et rurales ?

Par Anila Onta, avec la participation des membres de FECOFUN et des Groupes forestiers communautaires au Népall

Jeunes femmes membres du groupe forestier Janakalyan Commuity dans le district de Kailali. FECOFUN

Plus de 16% de la population népalaise, soit 8,1 millions de personnes, vit en dessous du seuil de pauvreté. Les femmes et les filles sont plus susceptibles d’être pauvres, malgré la contribution importante qu’elles apportent à l’économie, en particulier à travers les soins, le travail domestique non rémunéré ainsi que les services communautaires. Les femmes et les filles autochtones et rurales sont également très dépendantes des ressources forestières pour leurs moyens de subsistance quotidiens, et par ce fait, sont les actrices clés de la conservation des forêts au Népal. En conséquence, les femmes et les filles autochtones et rurales ont conservé leurs forêts communautaires depuis la nuit des temps grâce à leur savoir traditionnel et leurs pratiques coutumières qui ont été reconnus par la loi depuis les quatre dernières décennies.   

Les femmes sont également essentielles au modèle de foresterie communautaire unique du Népal, où plus de 2,2 millions d’hectares de forêts sont contrôlées par plus de 22 000 Groupes d’usagers des forêts communautaires (GUFC). Établie à la suite de la Loi sur les forêts de 1993, cette approche ascendante basée sur l’écosystème est considérée comme une réelle solution pour conserver la biodiversité et atténuer le changement climatique.

L’égalité entre les genres est intégrée dans le modèle : la Loi sur les forêts stipule que les GUFC doivent être formés par des ménages et non par des individus, et la participation d’au moins une femme et un homme de chaque ménage est requise. Plus de 1000 GUFC sont uniquement dirigés par des femmes à travers le pays, où l’ensemble des membres du comité exécutif sont des femmes. Au sein d’autres GUFC, tel que décrété dans les Directives sur la foresterie communautaire élaborées en 2015, au moins la moitié des membres du comité exécutif sont des femmes, incluant le président ou le secrétaire.  

La REDD+ et les autres politiques de réduction des émissions

Cependant, les progrès réalisés par les GUFC du Népal sont maintenant érodés par des politiques d’atténuation du changement climatique descendantes. En partenariat avec le gouvernement du Népal et au nom de la réduction des émissions dans le secteur forestier, les moyens de subsistance et les pratiques traditionnelles des femmes et des filles autochtones et rurales à travers le pays sont menacés. Ces projets reposent sur une fausse croyance selon laquelle, comme indiqué dans la Stratégie nationale REDD+ de 2018, la pauvreté et la forte dépendance vis-à-vis des ressources forestières pour les moyens de subsistance sont parmi les principaux moteurs sous-jacents de la déforestation et de la dégradation des forêts au Népal.

Un certain nombre de projets financés par la Banque mondiale soutiennent ce discours et la mise en œuvre de la stratégie REDD+. Premièrement, le Plan d’investissement forestier (PIF) de 2017 pour le Népal vise à développer les industries forestières commerciales sur les terres forestières communautaires et privées, y compris les plantations d’espèces à croissance rapide. La mise en œuvre du PIF se déroule actuellement dans deux provinces du sud du Népal par le biais du projet Forestry for Prosperity, qui vise à « passer d’une approche axée sur la conservation et la subsistance à une gestion durable des forêts et à établir de petites plantations forestières sur des terres publiques et privées. » Deuxièmement, le programme de réduction des émissions soutenu par le Fonds de partenariat pour le carbone forestier (FCPF de son acronyme anglais) est un système de paiement basé sur les résultats qui soutient la mise en œuvre de la REDD+ sur plus de 2,4 millions d’hectares dans la région des basses terres du Teraï.

En outre, les projets du Fonds vert pour le climat (FVC) « Construire une région de Chure résiliente au climat » et « La résilience climatique dans le bassin de la rivière Gandaki » ont été approuvés respectivement en 2019 et 2020, et sont liés à la stratégie REDD+ du Népal, tout comme la deuxième contribution déterminée au niveau national du Népal envers la CCNUCC. Cette dernière s’engage à gérer 50 % des plaines et 25 % des forêts des Moyennes montagnes à travers des initiatives REDD+ d’ici 2030.

Les éléments les plus controversés de la Stratégie REDD+ sont ses engagements à :

1.3 Mettre à jour et améliorer les plans de gestion de tous les régimes de gestion forestière avec des dispositions sur la mesure des stocks de carbone, des méthodes de surveillance et des mesures pour contrôler les moteurs de la déforestation et de la dégradation des forêts.

1.7 Réhabiliter les terres dégradées en adoptant des mesures appropriées, telles que la régénération naturelle, la plantation et la bio-ingénierie.

1.8 Augmenter l’offre de bois et de produits du bois récoltés de manière durable grâce à des mécanismes de distribution améliorés.

Comme le souligne cette étude de cas, il existe des preuves largement répandues que, au nom de l’augmentation des stocks de carbone forestier, ces engagements politiques ont entraîné des activités d’exploitation forestière commerciales imposées par le gouvernement dans les forêts communautaires (appelées « gestion scientifique des forêts »), suivies par la mise en place de plantations de monoculture de sal (Shorea robusta).

Les GUFC affirment que cette pratique viole leurs ressources forestières et leurs droits fonciers, en partie à cause du manque de reconnaissance légale des droits sur le carbone des communautés autochtones et locales dans leurs forêts communautaires.

La méthodologie

Cette étude de cas vise à identifier les impacts des politiques et projets de la REDD+ en matière de forêts et de changement climatique sur les moyens de subsistance des femmes autochtones et rurales, des filles et des groupes marginalisés au sein de deux districts du Népal. Pour y parvenir, FECOFUN a visité deux districts des basses terres du Népal, Kalilali à l’ouest et Sindhuil à l’est, tous deux fortement touchés par l’exploitation forestière commerciale liée à la REDD+.

Des entretiens ont été menés avec huit représentantes des GUFC dans les deux domaines d’étude, et quatre groupes de discussion ont été organisés avec la participation de femmes autochtones et rurales, de filles et de groupes marginalisés nommés par les GUFC. Une discussion virtuelle a également été organisée par FECOFUN avec des femmes représentantes des GUFC et des membres des groupes locaux FECOFUN pour partager leurs expériences. Les personnes interrogées et les participants aux groupes de discussion ont été sélectionnés après consultation des comités exécutifs des différents GUFC. En plus de la recherche documentaire, les expériences et les opinions partagées par les participants constituent la base de cette étude de cas.

Les impacts de la REDD+ sur les droits et les moyens de subsistance communautaires

Bien que les plans d’action sur le genre et les sauvegardes sociales fassent partie intégrante des projets de réduction des émissions sur lesquels se concentre cette étude de cas, ils n’ont pas été en mesure d’atténuer les impacts différenciés selon le genre. Premièrement, il ressort clairement des entretiens avec les femmes et les filles autochtones et rurales qu’il y a peu de sensibilisation au niveau communautaire sur ce que ces projets impliquent, et les barrières linguistiques ainsi qu’un manque de renforcement des capacités excluent la participation à ceux-ci.

Deuxièmement, au cours des discussions de groupe, les femmes membres du comité exécutif du GUFC ont décrit comment les anciennes politiques régissant le processus de planification participative et ascendante dans les forêts communautaires sont violées en raison de l’imposition descendante de l’exploitation commerciale des forêts communautaires, en raison de nouvelles politiques visant à réduire les émissions. Ces projets limitent intentionnellement l’accès des femmes et des ménages pauvres tributaires de la forêt aux produits forestiers dont ils dépendent pour leur subsistance quotidienne et leurs moyens de subsistance, et il est clairement prouvé que ces projets ont également un impact plus large sur les droits juridiques collectifs des GUFC au Népal. 

Les impacts sur les moyens de subsistance et les droits fonciers forestiers : 

La collecte de bois de chauffage et de fourrage, le pâturage d’un petit nombre de bétail (chèvres, vaches et buffles), la collecte de fruits sauvages, de plantes et de légumes et l’exploitation de micro-entreprises sont quelques-unes des principales sources de revenus pour les femmes autochtones et rurales, les filles et les groupes marginalisés au Népal. En outre, ces pratiques traditionnelles assurent la sécurité alimentaire et sont donc reflétées dans les plans de gestion des GUFC.

Cependant, en raison des actions entreprises à la suite de la stratégie nationale REDD+ et des projets de réduction des émissions pour mettre à jour les plans de gestion de tous les régimes de gestion forestière, y compris les forêts communautaires, les bureaux forestiers divisionnaires exigent désormais que les plans de gestion incluent des dispositions pour l’exploitation commerciale et la valorisation des stocks de carbone par la mise en place de plantations d’arbres dans les forêts communautaires.

Jusqu’à présent, 768 groupes d’usagers des forêts communautaires (GUFC) dans les zones de plaine ont été contraints de le faire, ce qui a empêché les GUFC dirigés par des femmes rurales en particulier de mettre en œuvre leurs systèmes communautaires de conservation et de gestion forestière, comme c’est leur droit légal. Les activités de coupe à blanc et de plantation empêchent les femmes et les filles d’accéder aux ressources forestières pour leur subsistance, et le remplacement des forêts communautaires par une seule espèce nuit à la biodiversité et aux connaissances traditionnelles des femmes autochtones et rurales. De plus, les entreprises privées qui réalisent les travaux emploient des hommes extérieurs à la zone.

Suite aux vives protestations des GUFC dans les régions du Teraï et de Chure contre les opérations commerciales de coupe à blanc imposées par le gouvernement dans les forêts communautaires, la Commission parlementaire des finances publiques (PCPF de son acronyme anglais) a enquêté sur l’utilisation abusive de fonds publics dans différentes zones forestières. Il a identifié que les fonds mis à disposition par le biais du programme de réduction des émissions financées par le PCPF avaient été utilisés pour la coupe à blanc et la déforestation des forêts communautaires et l’établissement de plantations de sal en monoculture, au nom de l’amélioration des stocks de carbone. 

Selon les personnes interrogées, en plus de forcer les GUFC à inclure des pratiques forestières commerciales dans leurs plans de gestion, les bureaux forestiers divisionnaires refusent également maintenant d’autoriser les GUFC à inclure la collecte de produits forestiers dans les forêts communautaires. Ceux-ci affirment que, conformément à la Stratégie nationale REDD+, les moyens de subsistance dépendants de la forêt sont un moteur de la déforestation. En plus des impacts que cela a sur les moyens de subsistance, cela prive également les femmes autochtones et rurales de leurs droits culturels et de leurs connaissances traditionnelles. La biodiversité est essentielle au maintien des pratiques culturelles des femmes autochtones et rurales, qui collectent et utilisent les feuilles de différentes espèces d’arbres et de fruits sauvages, de fleurs, d’écorces, de racines, de pousses, de graines, de latex, de résines, de légumes et d’herbes à de nombreuses fins. I Les femmes autochtones et rurales du Népal ont également de riches connaissances traditionnelles sur l’utilisation des produits forestiers pour la médecine, la nourriture, le carburant, le fourrage, l’amélioration des sols et les pesticides naturels.

Un grand nombre de GUFC, plus de 60%, n’ont pas encore révisé leurs plans de gestion, ce qu’ils sont obligés de faire tous les dix ans, en raison du conflit que cette politique a créé en termes d’imposition d’activités de réduction d’émissions dans les forêts communautaires. Cela a également eu un impact sur les activités de subsistance basées sur la forêt des femmes et des filles autochtones et rurales, car les membres des GUFC ne sont pas autorisés à collecter du bois et des PFNL dans les forêts communautaires à moins que leurs plans de gestion mis à jour n’aient été approuvés par les bureaux forestiers divisionnaires.

Nous avons conservé notre forêt communautaire pendant de nombreuses années et collecté différents produits forestiers pour nos moyens de subsistance, bien que l’agence gouvernementale refuse maintenant d’approuver notre plan de gestion forestière avec des dispositions visant à promouvoir les activités de subsistance. L’agence gouvernementale nous oblige à gérer les forêts pour la production commerciale de bois et l’augmentation des stocks de carbone, ce qui ne nous est pas bénéfique.

– Membres de la communauté Sonaha (peuples autochtones minoritaires) et de la communauté libérée du travail de servitude des Tharus dans le district de Kailali – photo 5

L’augmentation des niveaux de violence à l’égard des femmes

En plus des impacts sur les moyens de subsistance, les GUFC dirigés par des femmes ont mené des protestations contre la coupe commerciale et l’établissement de plantations dans les forêts communautaires en raison de la menace accrue de violence contre les femmes et les filles rurales que ces opérations entraînent. Les femmes sont déjà en danger lors des travaux de conservation alors qu’elles patrouillent dans les forêts, participent à des réunions et parlent des dirigeants locaux, et les opérations forestières commerciales augmentent les menaces que les femmes et les filles endurent. Les personnes interrogées et les participants aux groupes de discussion ont décrit comment les bûcherons ont attaqué les femmes qui ont contesté l’abattage, et comment certains employés du gouvernement et des projets de réduction des émissions ont également menacé les femmes membres des GUFC lorsqu’elles ont fait part de leurs préoccupations concernant la transparence et les mécanismes de protection sociale dans les projets de réduction des émissions.

Les personnes interrogées ont également décrit comment les femmes membres des GUFC ont été contraintes de se porter volontaires pour planter des arbres dans des projets d’établissement de plantations au sein des forêts communautaires dans le cadre du projet Forestry for Prosperity, malgré le financement public suffisant pour les payer. Les femmes membres des GUFC dans ces domaines ont exigé la transparence sur la façon dont les projets sont financés et la fin de la corruption dans les activités commerciales d’exploitation forestière et de plantation. Cependant, le manque de représentation des femmes autochtones et rurales dans la prise de décision signifie que leurs voix et leurs demandes n’ont pas été prises en compte.

« Les bureaux forestiers divisionnaires, les entrepreneurs et les membres de l’élite ont essayé de nous empêcher de participer aux réunions et à l’assemblée générale des GUFC, parce que nous avions organisé une manifestation contre l’exploitation forestière commerciale dans notre forêt communautaire. A de nombreuses reprises, ils nous ont également menacés d’arrêter nos protestations et nos campagnes communautaires. Cependant, après notre protestation, l’exploitation forestière commerciale s’est arrêtée. » Femmes membres du GUFC dans le district de Kanchanpur

L’accaparement des forêts communautaires au nom du tourisme de nature

Le Plan d’investissement forestier pour le Népal vise à renforcer le rôle du secteur privé par le biais d’activités touristiques axées sur la nature dans les zones forestières. L’industrie du tourisme a fait pression sur les gouvernements centraux et locaux pour obtenir des concessions sur les forêts communautaires afin de construire des infrastructures touristiques telles que des hôtels, des stations balnéaires et des téléphériques, financées par la subvention du PIF. Les membres de la communauté disent que le gouvernement du Népal a également accordé des permis à des entreprises privées pour utiliser les forêts communautaires pour des projets de tourisme axés sur la nature sans le consentement libre, préalable et éclairé des GUFC touchés et de leurs membres. Les GUFC concernés, dirigés par des groupes de défense des droits des femmes rurales, ont organisé des manifestations contre l’accaparement des forêts communautaires auxquelles le gouvernement a répondu en appelant les forces de sécurité et de police afin de les réprimer.

Les conclusions et les recommandations

Les différents projets liés à la réduction des émissions au Népal encouragent, essentiellement, le passage d’une utilisation des ressources forestières à petite échelle dirigée par les femmes pour un large éventail de moyens de subsistance locaux, à une gestion forestière dominée par les hommes et axée sur le commerce pour la production de bois.

Cela a entraîné une réduction des droits fonciers communautaires et une augmentation des conflits entre les GUFC et les agences gouvernementales. Les moyens de subsistance et les pratiques socioculturelles des femmes et des filles autochtones et rurales dans les zones étudiées ont été négativement touchés, tout comme la biodiversité et la violence basée sur le genre sont également susceptibles d’augmenter en raison de ces projets.

Les mesures suivantes doivent être prises de toute urgence afin de protéger les droits légaux et coutumiers sur les ressources forestières des femmes autochtones et rurales, des filles et des groupes marginalisés, ainsi que les moyens de subsistance qui dépendent directement du respect de ces droits :

  • Les GUFC ne devraient pas être forcés de participer à des projets de réduction des émissions de carbone, et le consentement libre, préalable et éclairé devrait être soutenu et respecté.
  • La priorité devrait être donnée aux activités de subsistance basées sur la forêt plutôt qu’aux activités de foresterie commerciale dans les forêts communautaires et les plans de gestion.
  • Les droits des femmes et des filles autochtones et rurales aux ressources forestières doivent être garantis et protégés par un contrôle indépendant et des mécanismes de règlement des plaintes efficaces et accessibles.

Les impacts des projets de boisement et de reboisement sur les femmes et les filles autochtones et rurales au Sud-Kivu, en République Démocratique du Congo

Par John Ciza, FCPEEP, RDC

Les efforts locaux de reboisement s’opposent aux projets de boisement. FCPEEP

Depuis 2012, la RDC dispose d’une stratégie-cadre de la REDD+ pour répondre aux stratégies d’adaptation aux changements climatiques. A travers la restauration des paysages, le reboisement, les projets agro-forestiers ainsi que d’autres initiatives, elle vise à stabiliser le couvert forestier à 63,5% du territoire national d’ici 2030, à s’attaquer aux moteurs directs et sous-jacents de la déforestation et à améliorer les stocks de carbone forestier. Cette stratégie-cadre cherche également à soutenir les efforts parallèles visant à faciliter la réforme politique et l’amélioration de la gouvernance nationale, à relever le niveau de vie et à réduire la pauvreté.

Toutefois, plusieurs projets de boisement et de reboisement au Sud-Kivu, par exemple, dans les hauts plateaux de Kalehe, ont entraîné l’acquisition de vastes superficies de terres communautaires et l’expulsion des communautés locales afin d’y établir des plantations commerciales d’arbres et de thé. Ces projets conduisent également à la violation des droits fonciers et des ressources forestières des femmes, des filles autochtones et rurales ainsi que des petits agriculteurs. Tel qu’il nous a été révélé par un agent à la Coordination provinciale de l’environnement au Sud-Kivu, ce phénomène contribue à la marginalisation de ces groupes, à la violation flagrante des droits humains ainsi qu’à la dégradation de l’environnement.

Les femmes et les filles autochtones et rurales sont également marginalisées par les pratiques de gestion discriminatoires au sein des plantations. Selon les renseignements fournis par une militante des droits des femmes et responsable d’une organisation paysanne de développement, les conditions de travail dans les plantations sont difficiles pour les femmes et les filles. Ces dernières touchent approximativement 1000 FC (Franc congolais) par jour, soit 0,44 Euros; les hommes travaillant dans une même entreprise, quant à eux, gagnent le double ou parfois même le triple que les femmes, sous prétexte que leur travail exige une force physique ou des compétences spécifiques. Selon cette militante, les femmes et filles sont encore considérées comme une main d’œuvre moins coûteuse et docile; leurs droits se voient donc violés quotidiennement.

Les leaders des organisations féministes de défense des droits des femmes de la région ont souligné l’absence de cadre législatif et politique sur les droits fonciers et collectifs des autochtones et l’absence d’une évaluation appropriée de l’impact sur le genre dans les différents projets menés. A cause de ces facteurs, les communautés rurales perdent l’accès aux forêts ou aux savanes ce qui compromet les moyens de subsistance, la sécurité alimentaire ainsi que les efforts de conservation. Ces impacts touchent également de manière disproportionnée les femmes compte tenu de leurs rôles, leurs responsabilités, leurs opportunités et leurs besoins différenciés, ainsi que de leur faible implication dans les processus de décision et l’accès à la terres et aux ressources.

Bien qu’il existe un manque de transparence et de reddition des comptes au sein de certaines institutions empêchant ainsi de connaître la réelle somme de financement consacrée à la REDD+ en RDC, un récent rapport examinant le financement du Fonds vert pour le climat pour les forêts tropicales du Bassin du Congo est très critique dans son évaluation du programme. De fait, il conclut que plus de dix ans d’intervention REDD+ dans la région n’ont pas apporté les améliorations attendues en matière de gouvernance des forêts, de soutien aux droits des habitants des forêts ou de réduction des taux de déforestation.

 

1 Ministère de l’environnement conservation de la nature et tourisme, Évaluation environnementale et sociale stratégique du processus REDD+. Cadre de planification en faveur des populations autochtones, Kinshasa, janvier 2014, p.15.
2 Informations fournies par un agent à la Coordination provinciale de l’environnement au Sud-Kivu, entretien tenu à Bukavu, le 25 juillet 2021. Tous les noms des personnes interrogées ont été supprimés pour protéger leur identité.
3 Informations fournies par une activiste des droits des femmes, entretien tenu à Combo, 24 Juillet 2021
4 Informations fournies par les responsables d’une association villageoise de développement et de défense des droits des femmes et filles, entretien tenu à Kamakombe, le 27 Juillet 2021.
5 Osman-Elasha, 2008 «Gender and Climate Change in the Arab Region», Organisation des femmes arabes p. 44.
6 Informations fournies par le Directeur en charge de l’étude et planification à la Direction Générale de l’environnement à Kinshasa, le 18 août 2021.

Une nouvelle politique forestière vise à stopper la destruction des forêts dans les Îles Salomon, mais que peut-elle faire pour les personnes les plus touchéesÎ ?

Par James Meimana et Aydah Gwaena Akao, Network for the Indigenous Peoples Solomons (NIPS)

Zone du bassin à grumes de Kosisi. James Meimana

Les Îles Salomon ont actuellement l’un des taux d’exploitation les plus élevés au monde, estimés jusqu’à 19 fois le taux de récolte durable.

Près de 87 % des 2,8 millions d’hectares de terres des Îles Salomon appartiennent à la propriété coutumière, et la constitution nationale garantit que les propriétaires coutumiers contrôlent les forêts sur ces terres. Toutefois, environ 22% des zones forestières ont été classées comme appropriées pour l’exploitation commerciale, et on estime que 18% ont maintenant été exploités. En conséquence, environ 85 % des permis d’abattage sont désormais utilisés dans des forêts exploitées. Les taux de récolte reflètent également une grave surexploitation des ressources forestières : le taux de récolte annuel « durable » est estimé à 250 000 m3 par an, mais, selon des sources gouvernementales, 2,73 millions de m3 ont été récoltés en 2018. Une autre estimation suggère un taux beaucoup plus élevé, et prédit que les forêts naturelles y seront épuisées d’ici 2036.

L’exploitation forestière est devenue très importante sur le plan économique pour les Îles Salomon et représente actuellement environ 20 % des revenus du gouvernement et environ 65 % des exportations. Les détenteurs de ressources ont droit à 10 %, le gouvernement 30 % et les exploitants forestiers 60 % de ce qu’ils gagnent grâce aux opérations d’exploitation forestière. On estime, toutefois, que 77 % des émissions de gaz à effet de serre des Îles Salomon proviennent désormais de la foresterie et du changement d’utilisation des terres.

Les impacts disproportionnés et différenciés de l’exploitation forestière sur les femmes aux Îles Salomon sont bien établis, en particulier en ce qui concerne l’insécurité alimentaire et hydrique et la violence à l’égard des femmes. Les femmes sont responsables de l’agriculture de subsistance et de la production d’aliments de base ainsi que de la collecte d’eau douce. Les effets de l’exploitation forestière tels que la sédimentation, les déversements de pétrole et les conduits d’eau endommagés par les machineries engendrent des difficultés qui mènent ces femmes à travailler de plus longues heures dans des conditions plus dangereuses afin de subvenir aux besoins de leurs familles.

Trois domaines politiques clés visent à réduire la dégradation des forêts et les émissions de carbone qui y sont associées dans les Îles Salomon, tout en préservant la rentabilité économique de leurs industries forestières. Les activités de l’ONU-REDD ont débuté aux Îles Salomon en 2017, et le pays développe actuellement un programme national REDD+ tout en menant un projet pilote à Buala et Kia dans la province d’Isabel. Parallèlement, la Politique forestière nationale (PFN) a été finalisée en 2018 et vise à aider le gouvernement à gérer et à maintenir les ressources forestières du pays au profit et à la résilience de l’ensemble des Îles Salomon. Les Îles Salomon entreprennent également un inventaire forestier national dans le cadre de leur contribution déterminée au niveau national (CDN) à la CCNUCC, qui ne prend actuellement pas en compte les émissions dues au changement d’affectation des terres.

L’objectif de l’étude et la méthodologie

Cette étude de cas analyse la PFN d’un point de vue féministe, afin d’évaluer ses implications pour la reconnaissance de la gouvernance forestière par les Peuples autochtones et les communautés locales. Il se concentre sur l’exploitation forestière dans le village de Kosisi, au sein du district de Hograno, dans la province d’Isabel, où des recherches ont été menées par le NIPS en juillet 2021. Après avoir demandé le consentement libre, préalable et éclairé de la communauté de Kosisi par le biais d’une communication par téléphone et par courrier, le NIPS a effectué huit entretiens en face à face, où les personnes interrogées ont été sélectionnées pour englober un large échantillon de la société et ses membres les moins représentés, y compris les représentants de l’exploitation forestière, les anciens, les femmes, les filles, les veuves, les orphelins et ceux qui n’ont pas reçu d’éducation formelle. Une réunion a également eu lieu avec la communauté et les représentants de l’exploitation forestière dans le chantier forestier près de Kosisi, à laquelle ont participé 26 personnes, dont la plupart étaient des propriétaires fonciers de sexe masculin. Les forêts autour du village de Kosisi sont l’une des quatre zones d’exploitation forestière qui opèrent à quelques mètres les unes des autres dans la baie Thousand Ships de la province d’Isabel. Le but de la recherche était d’identifier dans quelle mesure la PFN a un impact ou reconnaît la gouvernance forestière par les Peuples autochtones et les communautés locales, y compris en particulier les impacts sur les femmes et les filles autochtones et rurales.

Les résultats: la PFN atteint-elle ses objectifs ?

Nous avons identifié quatre buts et objectifs de la PFN qui ont des implications pour les peuples autochtones et les communautés locales en tant que propriétaires de ressources. Il s’agit de l’objectif 6, sur le renforcement des capacités pour l’égalité entre les genres et l’autonomisation des communautés, l’objectif 12, la stratégie de gouvernance communautaire, l’objectif 13, sur la gestion communautaire des forêts et l’objectif 16, sur la transparence pour lutter contre la corruption. Dans le cadre de ces objectifs, nous les avons analysés en fonction des résultats des entretiens et de la réunion communautaire.

Bien que le respect de la culture et des droits humains soit explicitement mentionné dans l’un des dix principes directeurs de la PFN, il faut également souligner que le genre et les droits des femmes et des filles spécifiquement ne figurent pas dans la vision stratégique du document. En outre, seuls quatre des presque 90 objectifs distincts de la politique mentionnent explicitement le genre, et seulement en termes d’« inclusion du genre », ce qui implique rarement une véritable tentative de remédier aux déséquilibres de pouvoir fondamentaux qui créent des impacts et des injustices différenciés selon le genre.

L’objectif 6 : Le renforcement des capacités pour l’égalité entre les genres et l’émancipation communautaire

Les objectifs 6.1 et 6.3 se concentrent sur le renforcement des capacités au sein des communautés et visent à renforcer à la fois les capacités techniques et la compréhension juridique par le biais de la formation, afin de permettre aux populations locales de prendre des décisions éclairées et de contribuer à la gestion forestière sensible au genre, au reboisement et au développement durable de la foresterie. Cependant, dans la pratique, aucune activité de ce type n’a encore eu lieu autour de nombreux sites d’exploitation forestière dans le pays, et la plupart des peuples autochtones et des communautés locales n’ont jamais participé à des sessions de formation liées à la mise en œuvre de la PFN. À Kosisi, la mère de deux enfants, Clara Magi, a déclaré dans une interview qu’aucune formation de ce type n’avait eu lieu dans la communauté ou celles avoisinantes. Selon Agaster Gasepea, les femmes et les filles du village de Kosisi n’ont pas une bonne connaissance de la législation forestière et environnementale et des droits d’utilisation des terres. Ceci est mis en évidence par le fait qu’en 2020, un bassin de trempage a été construit sur l’une des forêts de mangroves vierges conservées par la communauté de Kosisi pendant des générations grâce au tabou traditionnel, qui n’autorisait la récolte des ressources forestières que lors d’occasions spéciales telles que les cérémonies d’église, les mariages et les funérailles. Si la communauté au sens large avait été au courant de ses droits, elle n’aurait pas permis la construction du bassin.

L’objectif 12: Les stratégies de gouvernance communautaire

L’objectif 12.2 du PFN reconnaît les systèmes traditionnels de gouvernance et de prise de décision dans l’acquisition des droits sur le bois et les processus de consentement libre, préalable et éclairé (CLIP), tels que le Conseil local traditionnel des chefs. Pourtant, dans presque tous les systèmes traditionnels de gouvernance et de prise de décision des Îles Salomon, les femmes, les filles et les autres groupes sous-représentés sont généralement laissés de côté. Il est de pratique courante sur la plupart des sites d’exploitation que seuls les hommes de la tribu des propriétaires terriens assistent aux réunions et participent aux processus de prise de décision concernant les activités d’exploitation.   

L’objectif 12.3 énonce clairement la nécessité d’une méthodologie et d’un système d’évaluation efficaces pour la sensibilisation à l’exploitation forestière et à la gouvernance forestière dans les communautés. Ceux-ci doivent s’adapter aux niveaux d’éducation ruraux, intégrer le genre et éduquer sur la législation et les droits. Cependant, selon une femme aînée de Kosisi, Georgina Vehe, cela n’est pas mis en œuvre et il y a peu de sensibilisation aux menaces de l’exploitation forestière, de la législation et des droits communautaires, malgré le fait que l’exploitation forestière soit en cours depuis plusieurs années. Elle a également été témoin des impacts de la déforestation et des opérations d’exploitation forestière : par exemple, les déversements de pétrole ont détruit des mangroves et tué des crabes et des palourdes de boue dont les Peuples autochtones et les communautés locales, en particulier les femmes et les filles, dépendent pour leur nourriture et leurs moyens de subsistance quotidiens.  

L’objectif 12.5 de la PFN garantit un soutien aux communautés dans la mise en place de systèmes formels, justes et transparents de partage des bénéfices. Cependant, sur le terrain, de nombreuses communautés ont encore des problèmes avec la distribution des redevances des opérations d’exploitation forestière, et la plupart des avantages promis par les entreprises forestières n’ont pas été respectés. À Kosisi, les systèmes formels de partage des bénéfices ont besoin de responsabilité et de transparence : Joycelyn Authegna explique que sinon, seule la tribu propriétaire de la terre obtiendra les bénéfices au détriment de ceux qui n’ont pas de titre légal. Betsy Thosa, une administratrice foncière d’un accord de partage des bénéfices, a ajouté que même lorsque les systèmes de partage des avantages sont formellement convenus, les bénéfices ne sont toujours pas partagés de manière égale, car les administrateurs masculins reçoivent une plus grande part des redevances. En outre, un aîné de la communauté, Mathias Hoamana, a déclaré qu’il s’agit d’un problème permanent qui se produit normalement au sein de toutes les opérations d’exploitation forestière, où les femmes, les filles et d’autres groupes sous-représentés sont discriminés. Il a également décrit les problèmes sociaux découlant des opérations d’exploitation forestière qui affectent les femmes à Kosisi, dont l’un est la grossesse non désirée. Actuellement, deux femmes de la communauté ont eu des enfants engendrés par des bûcherons asiatiques qui ont refusé de les épouser. Elles ont été stigmatisées dans la communauté et élèvent à présent leurs enfants seules

L’objectif 12.7 de la PFN soutient la création d’organisations forestières communautaires telles que les associations forestières tribales communautaires, afin d’accroître la gouvernance communautaire en matière de gestion et d’utilisation des ressources forestières. Dans le village de Kosisi, il n’existe pas de telles organisations communautaires : cela a été confirmé par Nelson Bodrick, le président des administrateurs de Kosisi à l’accord de partage des bénéfices. Il a déclaré que ce type d’organisations doit être créé pour engager les jeunes, les femmes, les filles et d’autres groupes sous-représentés dans sa communauté comme gardiens pour assurer l’utilisation durable de leurs forêts. 

L’objectif 12.9 traite des mécanismes de réparation des griefs communautaires concernant l’utilisation des terres et des ressources naturelles, afin d’aider les propriétaires de ressources forestières à contester l’utilisation illégale et non autorisée des forêts, et de faciliter la diligence raisonnable des acheteurs de bois. Le fait que les autorités responsables ne puissent pas soutenir efficacement la mise en œuvre de mécanismes de réparation des griefs concernant les terres et les ressources naturelles dans les Îles Salomon est un problème majeur, car les femmes, les filles et d’autres groupes sous-représentés sont systématiquement victimes de discrimination et n’ont aucun moyen de remédier à la situation. La concession détenue par la société forestière opérant actuellement à Kosisi chevauche la frontière d’une autre tribu propriétaire de terres. Cela a provoqué un conflit entre les deux tribus car elles revendiquent toutes deux être les véritables propriétaires de la terre. Les frontières tribales devraient donc être légalement documentées par les autorités compétentes, afin qu’elles soient légalement reconnues et que de futurs conflits puissent être évités.

L’objectif 13 : La gestion forestière communautaire

L’objectif 13.1 encourage les projets de gestion forestière durable basés sur les tribus, les clans et les communautés afin d’améliorer les recettes publiques, les moyens de subsistance des communautés et la durabilité à long terme des forêts. Cependant, dans l’ensemble des Îles Salomon, peu de projets de gestion forestière efficaces ont été mis en place. Cela a été confirmé par Jessye I’te de Kosisi qui a signalé qu’il y avait un manque de soutien des autorités responsables afin de faciliter la mise en place de projets de gestion forestière, et que ces informations n’étaient pas encore arrivées au village de Kosisi

Goal 16: La transparence pour lutter contre la corruption

L’objectif 16.3 vise à concevoir et à mettre en œuvre un cadre de communication pour partager des informations entre les agences des gouvernements national et provincial. C’est l’un des défis auxquels sont confrontées de nombreuses tribus et communautés propriétaires de terres impliquées dans les opérations d’exploitation forestière dans le pays. Il n’existe pas de cadre de communication et les dirigeants communautaires doivent généralement contacter les agences provinciales et se rendre directement au Ministère des Forêts de la capitale, Honiara, pour obtenir des informations sur la législation et les développements. Cela a été exprimé par Joycelyn Authegna, qui a déclaré qu’il s’agit de l’un des obstacles auxquels les Peuples autochtones et les communautés locales sont confrontés, en particulier les femmes et les filles, qui sont plus liées à leurs villages en raison de leurs responsabilités en matière de soins et de production alimentaire.

Conclusion

La PFN est le principal outil dont disposent les Îles Salomon pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, et elle comprend de nombreux objectifs importants liés aux Peuples autochtones et aux communautés locales ainsi qu’à la gouvernance et à la conservation des forêts. Cependant, les problèmes identifiés par cette étude de cas sont doubles : à bien des égards, la PFN n’a pas encore été mise en œuvre, mais plus important encore, elle a ignoré les droits, les rôles et les besoins spécifiques des femmes et des filles dans la conservation des forêts.

Les autorités doivent être plus proactives dans la défense des droits des tribus ainsi que des membres de la communauté propriétaires de terre et plus particulièrement des femmes, des filles et d’autres groupes sous-représentés. De nombreux problèmes, qui n’ont toujours pas été résolus par la PFN, ont résulté de l’exploitation forestière à Kosisi, ont privé la communauté locale de leurs droits et les tribus propriétaires de terres n’avaient leur mot à dire que sur les problèmes affectant l’ensemble de la communauté. Au cœur de ceux-ci se trouve le manque de représentation des femmes et des filles dans la prise de décision et les consultations liées à l’exploitation forestière, que le PFN ne tente pas explicitement de traiter.


Le fait que la déforestation soit de loin la plus grande contribution aux émissions de gaz à effet de serre dans les Îles Salomon souligne à quel point il est important que la PFN atteigne son objectif de « pérenniser les ressources forestières du pays ». Cependant, si cela doit être véritablement « pour le bien et la résilience de l’ensemble des Îles Salomon », il faut mettre davantage l’accent sur la justice entre les genres.


Compensations carbone, usines de pâte et résistance indigène au Wallmapu (Chili)

Par Camila Romero, Colectivo VientoSur, Chili

Partage des compétences de l’Asociación Indígena Trem Trem Mapu. Colectivo VientoSur

« Si nous n’avons pas d’eau, si nous n’avons pas de parcelles de terres, de mawizantu, une montagne où il est possible de cueillir de bons remèdes sains, sans contamination…c’est un problème pour nous. » – Femme leader de l’Asociación Indígena  Trem Trem Mapu

Le conflit entre la plus grande compagnie de pâtes et papiers de Wallmapu et les communautés autochtones de San José de la Mariquina dure depuis plus de 25 ans, c’est-à-dire depuis que la construction de l’usine de pâtes et papiers de Valdivia a été proposée pour la première fois. Depuis 2009, l’usine vend des crédits de carbone par le biais du mécanisme de développement propre (MDP) afin de générer de l’électricité en brûlant de la biomasse. Cela a directement subventionné les opérations de l’usine et dépend de la production de pâte dans l’usine ainsi que des vastes plantations industrielles d’arbres  d’où provient le bois.

Cet article décrit certains des principaux problèmes rencontrés par les femmes mapuche de l’Asociación Indígena Trem Trem Mapu dans la commune de San José de la Mariquina, Wallmapu. Sur la base du témoignage d’une femme leader de l’organisation ainsi que de l’histoire du conflit socio-environnemental avec CELCO (Celulosa Arauco y Constitución S.A de son acronyme espagnol), j’explique comment la production de pâtes pour le papier et le textile, ainsi que la génération d’énergie biomasse dans l’usine de Arauco à Valdivia ont touché les territoires mapuches. Tout cela s’inscrit dans le contexte du processus constitutionnel actuellement en cours à Wallmapu et de la pandémie de COVID-19, qui affectent et font pression sur divers domaines d’activités au sein des territoires et des collectivités.

Dans la région de Los Rios, il existe au moins une dizaine de conflits socio-environnementaux, dont cinq sont liés au secteur de l’énergie, et deux au secteur forestier. Notamment, sept de ces conflits se situent sur les territoires de peuples autochtones mapuche qui représente près d’un quart de la population totale de la région.

Dans la commune de Mariquina, les communautés mapuche de Lafkenche, «  les Peuples de la mer », et Williche, « les Peuples du Sud », ont historiquement dû défendre leurs droits et leurs territoires en raison du modèle extractiviste et néolibéral de développement forestier promu par l’Etat chilien en alliance avec les entreprises forestières privées. L’industrie forestière, basée sur les plantations industrielles de pin et d’eucalyptus pour la production de pâtes et papiers, a, depuis sa création, généré des conflits au sein de la commune en raison de la dégradation intensive de l’environnement et de la violation des droits humains, transformant ainsi la région en une zone de sacrifice. Les résidents et les communautés se sont organisés pour dénoncer les impacts de ce modèle qui a eu des répercussions sur la santé des humains en raison de la pollution atmosphérique, de la proximité des habitations et des écoles avec l’usine ainsi que de la contamination et de la rareté de l’eau qui sont le résultat direct de l’existence de vastes plantations en monoculture. Tout cela a eu des impacts majeurs sur les pratiques économiques, culturelles et spirituelles des communautés environnantes. 

En parallèle à la dévastation des multiples territoires où opère l’industrie forestière, le peuple Mapuche résiste également à la violence étatique qui va de pair avec le modèle extractiviste imposé à Wallmapu. Historiquement, les femmes ont joué un rôle central dans la lutte pour la défense des territoires autochtones à travers leurs pratiques quotidiennes et en poursuivant leurs pratiques culturelles et spirituelles quotidiennes en tant qu’actes de résistance. 

L’Asociación Indígena Trem Trem Mapu possède une longue histoire de défense territoriale et environnementale, mettant l’accent sur les soins de santé traditionnels et la participation des femmes leaders et travailleuses de la santé telles que les machi, les guérisseuses, et les lawentuchefe, les herboristes. Ceci met en lumière l’importance de Itrofill Mongen et de Az Mapu, les pierres angulaires du savoir traditionnel mapuche, qui reconnaissent l’importance de respecter et prendre soin de toutes les formes de vie d’une manière holistique. 

Le rôle des femmes dans le maintien de la santé et de l’économie familiale de la communauté est profondément touché par les problèmes environnementaux causés par l’extractivisme forestier. Par exemple, la destruction des forêts indigènes et leur remplacement par des plantations d’eucalyptus et de pins ont anéanti les plantes médicinales que ces femmes récoltent pour fabriquer des remèdes, et la pénurie d’eau ainsi que la contamination des sols affectent l’agriculture paysanne, provoquant ainsi des maladies et une instabilité du tissu communautaire.  

Cette situation prolongée a mené les autorités sanitaires traditionnelles mapuche à trouver des alternatives pour contrecarrer la dégradation que connaissent les territoires, complexifiant les activités des femmes, chargées de multiples tâches dans la sphère familiale et domestique. A cela s’ajoutent les effets de la pandémie de COVID-19 sur les économies familiales, notamment dans les activités qu’exercent les femmes telles que la vente d’aliments, de produits artisanaux et agricoles.

Malgré ces difficultés, les femmes continuent de résister et de diriger les revendications de protection de l’environnement, des systèmes agroalimentaires sains, des économies locales et des initiatives communautaires qui font la promotion d’un accès égal à l’éducation, à la santé et à un environnement exempt de contamination. 


Les femmes russes contre l’exploitation forestière et les plantations d’arbres : la quête d’une ONG pour régénérer les forêts mixtes traditionnelles et restaurer les moyens de subsistance locaux

Par Lyudmila Zhirina, Viola, Russie

Initiative de conservation et de reforestation menées par des femmes. Viola

Les efforts menés par les femmes de Viola pour restaurer les forêts dans une région de Russie touchée par les radiations sont un exemple d’action climatique transformatrice du genre qui atténue les émissions de gaz à effet de serre, restaure la biodiversité et renforce les moyens de subsistance des femmes rurales. Leur approche pratique et autodirigée de la restauration des forêts répare les dommages causés par l’exploitation forestière illégale et l’établissement de plantations parrainées par l’État, et donne un exemple puissant de ce à quoi peut ressembler une atténuation climatique efficace. 

Viola est une ONG fondée par un groupe d’enseignants, de professeurs, de médecins et d’étudiants concernés en réponse à la catastrophe de Tchernobyl en 1986 dans la région de Briansk en Russie, à la frontière avec l’Ukraine et la Biélorussie, qui a connu le plus haut niveau de retombées radioactives. La partie ouest de cette région est située à 170 km au nord-est de Tchernobyl et a reçu des niveaux de contamination du sol nettement supérieurs à 40 curies par kilomètre carré.

Traditionnellement, les femmes rurales en Russie préfèrent discuter et résoudre les problèmes qui les concernent avec d’autres femmes. À cette fin, Viola a créé une deuxième ONG appelée Provincial Women en 1995, et depuis lors, elle fonctionne avec un personnel permanent de six ainsi que 30 bénévoles, tous des femmes âgées de 18 à 80 ans.

La région touchée est située à l’intersection de différents types de paysages: la taïga méridionale, les forêts de feuillus et la Polésie. Traditionnellement, ces forêts se composaient d’épicéas, de chênes, de tilleuls et de charmes âgés, des arbres aux racines profondes. Les forêts remplissaient des fonctions essentielles: elles aidaient à maintenir l’équilibre des petites rivières forestières, des marécages et des niveaux d’eau dans les puits des villageois locaux, elles résistaient aux incendies et favorisaient un climat doux et confortable. Elles fournissaient également à la population locale des baies, des champignons et des herbes médicinales que les familles locales pouvaient consommer et vendre. La cueillette de produits forestiers était une petite entreprise pour les femmes de la région.

Après Tchernobyl, en 1986-93, les scientifiques ont informé la population locale que les arbres sont des accumulateurs de radionucléides. Des niveaux élevés de pollution forestière ont été détectés dans 35% des forêts,  soit une superficie de 415 400 hectares. Cette période a coïncidé avec l’effondrement de l’URSS, une époque de bouleversements juridiques et économiques. Il n’y avait pas de service local de lutte contre les incendies de forêt et les règlements de sécurité interdisaient aux travailleurs forestiers de passer plus de deux heures par jour dans les forêts à haut niveau de rayonnement.

Les bûcherons illégaux ont profité de la situation pour abattre plus de 80 % des vieux épicéas, des chênes, des tilleuls et des charmes. Ceci a été documenté par des observations de suivi annuelles par des écologistes locaux et des scientifiques d’ONG locales (au sein de documents non publiés). Les bûcherons illégaux ont introduit en contrebande du bois rond contenant des niveaux élevés de radionucléides en Biélorussie et l’ont vendu à des fabricants de meubles, puis ont quitté notre région. Les résidents locaux et les ONG étaient impuissants à arrêter ce processus.

Des entreprises et l’administration gouvernementale ont planté des monocultures de pins sur ces terres. Les lois russes obligent les producteurs de bois à planter de nouveaux arbres dans les zones déboisées, et les jeunes arbres de pin sont bon marché et nécessitent peu d’entretien (par rapport au chêne, par exemple).

Les plantations de pins ne remplissent pas les fonctions d’une forêt traditionnelle qui, en comparaison, contient une énorme biodiversité et fournit de la nourriture aux communautés locales. Les petites rivières et les marécages s’assèchent et les niveaux d’eau dans les puits baissent en raison du stress hydrologique causé par les plantations. Cela a accru la vulnérabilité aux incendies de forêt, qui ont éclaté à chaque été chaud depuis 2009. Les pins ont des systèmes racinaires superficiels et les vents violents brisent facilement leurs troncs fragiles et les déracinent. Cela stimule un processus de désertification. Les femmes de la région affirment qu’elles ont perdu leurs petites entreprises de collecte de baies, de champignons et d’herbes dans les forêts et qu’elles ont du mal à trouver de l’eau potable pour leurs familles.

Les ONG mènent des actions éducatives, pratiques et sur les droits humains. Leur principale population cible se compose de groupes vulnérables tels que les jeunes, les femmes des communautés locales, les femmes ayant des familles nombreuses et les femmes des anciennes traditions religieuses orthodoxes qui utilisent de vieux arbres pour les rituels et la construction (connues sous le nom de « vieilles croyantes »). Nous prêtons des radiomètres aux résidents et les formons à faire des cartes de villages, de champs et de forêts, en identifiant les pollutions localisées, mais notre tâche principale est de restaurer les forêts.

Le travail a été particulièrement réussi chez les jeunes femmes âgées de 16 à 35 ans. Elizaveta T., 18 ans, étudiante de la ville du district d’Unecha, attribue aux femmes provinciales la création de projets éducatifs et pratiques qui ont contribué à prévenir la désertification du territoire local après la destruction des forêts mixtes traditionnelles. Vasilisa S., 19 ans, étudiante d’un petit village du district de Klintsovsky, est très préoccupée par le fait que les monocultures de pins ne peuvent pas résister aux tempêtes de vent qui ont de plus en plus affecté cette région au cours des 10 dernières années en raison du changement climatique. Evgenia K., 27 ans, mère de trois enfants résidant dans un village du district de Zlynkovsky, atteste qu’elle a souffert de la perte de biodiversité forestière puisqu’elle n’est plus en mesure de stocker des baies, des champignons et des herbes médicinales pour sa famille. 

Viola a créé un groupe forestier public pour les femmes locales ainsi qu’un laboratoire scientifique de biosurveillance qui opère à partir de l’Université d’État de Bryansk. Nous formons des femmes locales de tous âges à la biosurveillance des sols et aux analyses dendroclimatologiques. Nous les formons également à collecter des semences de haute qualité parmi les rares épicéas, chênes, tilleuls et charmes survivants, à cultiver des semis dans de petites pépinières forestières et à obtenir l’autorisation officielle de planter certaines espèces d’arbres pour favoriser la régénération des forêts mixtes traditionnelles.

Chaque année, les membres de Provincial Women aident à cultiver et à planter 5 000 à 7 000 plants. Cela permet de remplacer partiellement les plantations par des forêts naturelles de feuillus et de taïga. Le travail efficace et à long terme de Provincial Women est unique dans la région et a réussi à unir les femmes autour de la tâche de restauration des forêts.


Paraguay : Lorsque les politiques climatique internationale deviennent mensongères

Par Inés Franceschelli, Heñói, Paraguay

Les femmes autochtones sont touchées de manière disproportionnée par le changement climatique. Susana Balbuena

“La campagne a besoin d’eau, elle n’a pas besoin d’eucalyptus. Le COVID-19 ne va pas nous tuer, ce sont les entreprises qui le feront. Nous, le peuple, avons le droit de décider.”

Cet article propose une analyse de genre appliquée aux politiques publiques relatives à l’utilisation des terres, les pratiques de production, le changement climatique et les forêts au Paraguay. Il décrit les perspectives des femmes sur les impacts différenciés que le modèle économique extractiviste du Paraguay a sur leurs territoires et leurs vies, ainsi que leurs luttes pour transformer la réalité politique de leur pays.

Malgré la faible contribution historique du Paraguay aux émissions mondiales de gaz à effet de serre, le pays est extrêmement vulnérable au changement climatique. Selon State of the Climate: Paraguay 2019, un rapport publié par le ministère de l’Environnement et du Développement durable, cette année a été la plus chaude de l’histoire de la nation. Les précipitations moyennes annuelles ont également augmenté de 200 mm au cours des 70 dernières années, bien qu’elles se soient concentrées dans quelques zones seulement qui ont connu des événements météorologiques extrêmes. Pendant ce temps, le reste du pays s’assèche rapidement et connaît la désertification.

Cette situation préoccupante est reconnue dans la politique nationale sur le changement climatique et dans les stratégies nationales d’adaptation et d’atténuation. Diverses réponses sont proposées dans la contribution nationale déterminée du Paraguay à la convention des Nations unies sur le climat, qui a été récemment mise à jour. Bien que sur le papier, ces politiques nationales semblent prendre au sérieux les problèmes liés au climat qui touchent la population du pays, les faits montrent que la mise en œuvre de ces politiques par l’exécutif national répond à d’autres intérêts et va dans la direction opposée. 

Le Paraguay continue de suivre un modèle économique extractiviste basé sur la production de produits agricoles de base tels que le soja et le maïs génétiquement modifiés, le riz et le bœuf irrigués, et de plus en plus le bois d’eucalyptus, qui est cultivé pour l’industrie de la pâte à papier ou pour être transformé en charbon de bois pour sécher les céréales ou produire de l’acier. De récents investissements transnationaux ont amplifié ce modèle, comme la construction d’une raffinerie de biocarburants à grande échelle et l’expansion des plantations d’arbres exotiques sur des centaines de milliers d’hectares.

Ces formes d’utilisation des terres ont de graves répercussions sur la vulnérabilité du pays au changement climatique et touchent plus particulièrement les membres les moins représentés de la société, tels que les peuples autochtones, les communautés paysannes et surtout les femmes.

La contradiction entre les paroles et les actes ne peut s’expliquer que dans le contexte d’une époque où l’humanité justifie la destruction et la violence faite à la vie – sous toutes ses formes – par le “besoin” de croissance économique, de développement technologique et de domination concurrentielle. 

Imposé par une vision capitaliste, colonialiste et patriarcale du monde, ces pratiques s’expriment avec une violence particulière dans les territoires colonisés comme le Paraguay, où le capital transnational pille les ressources sans aucune considération ni respect de la vie.

La vulnérabilité du pays et des femmes au changement climatique

Selon l’indice de vulnérabilité au changement climatique publié par la Corporación Andina de Fomento, le Paraguay est le huitième pays le plus vulnérable au changement climatique parmi les 33 pays d’Amérique Latine. Cette situation est due à des taux élevés de pauvreté et d’inégalité, ainsi qu’à son extrême dépendance économique vis-à-vis du secteur agricole, qui représente 16 % du PIB, soit plus que dans tout autre pays du Mercosur. Le changement climatique a et continuera d’avoir des répercussions considérables sur le rendement des cultures, ainsi que sur l’accès à l’eau potable et à l’assainissement pour les communautés pauvres, une situation aggravée par les niveaux élevés de contamination dus à l’utilisation généralisée et sans discernement de produits agrochimiques. 

La capacité du Paraguay à s’adapter au changement climatique est jugée extrêmement faible, la septième plus faible de la région. Cela s’explique à nouveau par la dépendance du pays à l’égard des exportations agricoles, ainsi que par les faiblesses institutionnelles caractérisées par l’influence des entreprises sur les politiques publiques, l’extrême corruption des administrations gouvernementales successives et le fait que le même parti est au pouvoir depuis des décennies.

La vulnérabilité des femmes au changement climatique est particulièrement prononcée et est liée à leur désavantage économique. Selon l’Institut national des statistiques (INE), 26,9 % de la population est pauvre. Bien qu’il n’existe pas de statistiques ventilées par sexe sur la pauvreté, l’inégalité d’accès aux ressources peut être déduite de divers indicateurs, notamment le fait que, sur le nombre total de comptes bancaires dans le pays, 45 % appartiennent à des hommes, contre seulement 26 % à des femmes. Les femmes ont également moins accès aux prêts : 55% vont aux hommes, contre 40% aux femmes.

Les femmes sont chefs de famille dans 36,4 % des foyers et elles gagnent environ 70,6 % de ce que gagnent les hommes, indépendamment du niveau d’éducation ou des heures travaillées. Selon l’INE, les femmes ont moins de possibilités d’éducation, des taux d’emploi plus faibles et étaient beaucoup plus susceptibles de perdre leur emploi en 2020 pendant la pandémie. En 2016, les femmes ont effectué en moyenne 28,7 heures par semaine de travail non rémunéré, soit deux fois plus que les hommes (12,9 heures). Dans les zones rurales, l’écart est encore plus important, les femmes effectuant 33,3 heures de travail non rémunéré par semaine.

Les femmes paysannes et autochtones sont également victimes d’exclusion et de discrimination. Elles continuent d’être exclusivement chargées des tâches de soins à la famille, mais assument également de plus en plus de tâches productives (tant dans leurs exploitations agricoles que dans le cadre d’un travail rémunéré à l’extérieur du foyer). Les femmes des zones périurbaines et urbaines doivent également relever le défi de subvenir aux besoins de leur famille sans avoir la formation académique ou professionnelle nécessaire pour obtenir un emploi salarié. Nombre d’entre elles occupent des emplois peu qualifiés et mal rémunérés, comme dans les maquiladoras (usines hors taxes), tandis que d’autres sont vendeuses ambulantes ou autres travailleurs informels. 

Alors que l’accès à la terre, au crédit et à d’autres ressources est nécessaire au bien-être économique des femmes rurales des communautés paysannes et autochtones, les récents processus de distribution des terres au Paraguay n’ont pas réussi à transformer les structures injustes de propriété foncière et ont exclu les femmes. Selon Oxfam, seules 23% des exploitations agricoles appartiennent à des femmes, ce qui équivaut à un total de 16% des terres au niveau national, et les femmes n’ont reçu que 13,6% des terres allouées aux familles paysannes. Elles ont également été marginalisées en termes d’accès au soutien agricole, ne recevant que 14% de l’assistance technique et moins de 23% du crédit. 

Les causes profondes du problème : le modèle économique

Le modèle économique extractiviste du Paraguay, axé sur les produits de base, fait peser de graves menaces sur l’environnement et les habitants du pays, et constitue le principal moteur des émissions de gaz à effet de serre. Par exemple, le soja et le maïs génétiquement modifiés ont provoqué des niveaux élevés de contamination agrotoxique, et la production de bétail a converti les forêts indigènes en pâturages. Les plantations d’eucalyptus assèchent les sols et augmentent le risque de feux de forêt, et l’utilisation non durable de l’eau pour irriguer les cultures de riz assèche les zones humides dans le sud du pays et empoisonne les rivières.

Au cours des dernières décennies, la production de ces produits de base a entraîné :

  • La destruction de la quasi-totalité de la forêt atlantique qui couvrait autrefois la majeure partie de la région orientale du pays, la destruction croissante de l’écosystème des zones humides dans le sud, et la destruction croissante des écosystèmes du Cerrado et du Gran Chaco dans l’ouest ; 
  • Le déplacement forcé et souvent violent des communautés autochtones et paysannes, entraînant une migration vers les zones urbaines et périurbaines, où elles survivent dans des conditions d’extrême pauvreté ;
  • La perte de la souveraineté alimentaire, étant donné le taux élevé de conversion des terres de la production alimentaire en produits agricoles d’exportation, avec pour conséquence la nécessité d’importer des aliments autrefois produits dans le pays ;
  • La perte des connaissances traditionnelles, des techniques de production et des cultures, car les communautés autochtones et paysannes déplacées ne peuvent pas maintenir leurs modes de vie ancestraux.

Propositions de politiques pour faire face au changement climatique

En avril 2021, l’État paraguayen a publié la mise à jour de sa contribution déterminée au niveau national (CDN) à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC), initialement établie en 2015 dans le cadre de l’Accord de Paris.

Cette mise à jour, basée sur le Plan national de développement 2030, la Politique nationale sur le changement climatique et d’autres politiques publiques théoriquement mises en œuvre, comprenait des mesures visant à rendre le pays plus compétitif sur le plan économique et financier, et décrivait de bonnes intentions bien éloignées de la réalité vécue sur le terrain. De même, il ne reflète pas la gravité de la situation et n’établit pas de mesures visant à respecter les territoires et les droits des femmes, des peuples autochtones et des communautés paysannes, ainsi que leurs propositions de stratégies qui répondent réellement aux problèmes spécifiques auxquels ils sont confrontés.

Pour accroître la résilience des communautés, le CND comprend des propositions vagues telles que : davantage d’espaces verts ; une participation accrue des citoyens à la lutte contre le changement climatique ; la promotion du tourisme en mettant l’accent sur la conservation du patrimoine naturel et culturel ; l’amélioration des services de santé ; et des “initiatives qui contribuent à accroître la résilience climatique des écosystèmes par le biais d’activités socio-économiques et culturelles”.

En ce qui concerne la biodiversité et les écosystèmes, le plan comprend des objectifs généraux tels que “des actions de conservation et de restauration qui tiennent compte des services écosystémiques et des communautés vulnérables”, mais ignore l’augmentation de la déforestation et les pratiques productives criminelles. Il n’est donc pas surprenant que le Fonds vert pour le climat et l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture aient alimenté l’expansion des plantations d’arbres en monoculture dans les territoires autochtones en finançant le programme PROEZA.

En ce qui concerne les secteurs de l’agriculture, de l’élevage et de la sylviculture, la CDN du Paraguay comporte des buts et des objectifs visant à améliorer les rendements et à intensifier la production. Toutefois, aucune mesure n’est prévue pour accroître la sécurité et la souveraineté alimentaires.

Le paquet “Politiques, actions et mesures REDD++” du Paraguay est lié à la CDN. Si le Paraguay a fait état de progrès sur le papier et s’est vu attribuer, de manière controversée, un paiement REDD+ de 50 millions USD basé sur les résultats par le Fonds vert pour le climat, la déforestation et les incendies de forêt se poursuivent à un rythme alarmant, et la destruction des forêts et d’autres écosystèmes n’a fait l’objet d’aucune réponse sérieuse de la part des autorités nationales. 

La résistance des autochtones aux plantations d’eucalyptus 

Il existe de nombreux exemples de résistance et de lutte courageuses menées par des femmes et des autochtones au Paraguay. Il convient de mentionner en particulier la manière dont les femmes autochtones Qom résistent aux fausses solutions au changement climatique.

Bernarda Pesoa est une leader autochtone Qom du district de Benjamín Aceval, dans le département de Presidente Hayes, dans le Chaco paraguayen. Elle est également membre de CONAMURI, une organisation qui soutient les femmes rurales et autochtones du Paraguay. Bernarda a mené la lutte des Qom contre les grandes plantations d’eucalyptus dans le Chaco. Depuis quatre ans, la Fundación Paraguaya, une ONG de développement associée à la politique conservatrice du pays, insiste pour planter de l’eucalyptus sur les terres des Qom, promettant que cela les aidera à sortir de la pauvreté lorsqu’ils pourront éventuellement “vendre le bois aux silos pour le séchage du soja”.

C’est l’un des nombreux efforts déployés pour convaincre les communautés rurales de cultiver cette espèce exotique qui assèche et détériore le sol. Cette menace est encore plus grande pour le Qom, car les moyens de subsistance locaux dépendent des revenus tirés de la production et de la vente d’objets artisanaux fabriqués à partir de roseaux de totora (Schoenoplectus californicus). La désertification et la rareté de l’eau entraînent la disparition des roseaux, privant ainsi les femmes de Qom de la matière première nécessaire à leur travail.

Dans une interview, Bernarda a décrit comment : “Ils sont venus pour briser notre organisation, créer des troubles parmi les dirigeants de notre peuple, coopter certains avec la promesse de gains, mais nous savons que ce n’est pas le cas, ces secteurs ne sont intéressés que par les profits.”

“Nous vivons sur cette terre depuis plus de 38 ans, nous avons 2 227 hectares sur lesquels vivent trois clans, soit 620 familles au total. Nous avons des écoles, un centre de santé, tout ce dont nous avons besoin pour vivre. Il y a quatre ans, ils sont venus avec une prétendue étude qui consistait à établir un système de “feux de signalisation” (feux verts, jaunes et rouges) [un système pour classer] les différentes propositions de “réduction de la pauvreté”. Il s’avère que notre peuple a donné un feu vert à l’idée de planter des eucalyptus, et ils ont dit que c’était suffisant pour accorder un consentement libre, préalable et éclairé.”

“Seuls deux de nos huit dirigeants ont signé le contrat avec l’entreprise. Et depuis, nous n’avons connu que la violence. Ils ont tendu une embuscade et m’ont battu lorsque nous avons essayé d’arrêter les tracteurs. Nous avons déposé une plainte auprès du bureau du procureur général, et rien ne s’est passé. Ils m’ont menacé de mort, ils m’ont dit qu’ils travaillaient avec INDI, avec la municipalité et le gouvernement, qu’ils allaient annuler la reconnaissance de mon leadership, que ma communauté allait disparaître. Je sais qu’ils ne peuvent pas faire ça”.

“Le projet va affecter notre puits artisanal, notre cimetière, et nous sommes inquiets pour la totora, qui est la matière première que nous utilisons pour l’artisanat. Le projet ne va profiter qu’à 40 familles, pas aux 620 d’entre nous. La fondation verse 200 000 guarani (moins de 30 dollars) à chaque famille chaque semaine. Que pouvez-vous faire avec cela ? C’est moins de la moitié du salaire minimum… Et ils ont dit aux dirigeants que c’était un projet de trois ans, mais en évoluant, il s’est étallé sur sept ans voir même dix. C’est la première fois que des frères se battent ; s’il n’y avait pas la présence de cette entreprise privée, nous ne serions pas en train de nous battre.”

“La campagne a besoin d’eau, elle n’a pas besoin d’eucalyptus. Ce n’est pas COVID-19 qui va nous tuer, ce sont les entreprises. Nous, le peuple, avons le droit de décider.”

Conclusion

Le Paraguay est le cas emblématique d’une terre soumise au pillage des ressources, où la destruction a un coût élevé et où l’on accorde peu d’importance aux écosystèmes et à la vie sous toutes ses formes, y compris la vie humaine.

Les multinationales y font leurs affaires à coups de millions de dollars, alliées aux capitalistes locaux et recrutant leurs cadres parmi les politiciens des trois branches du gouvernement. Les politiques publiques sont soit conçues pour subventionner secrètement l’agrobusiness, soit énoncent de bonnes intentions qui ne sont pas réalisées. 

C’est manifestement aussi le cas des politiques d’atténuation du climat au Paraguay. Que ce soit au niveau national ou international, elles encouragent plutôt que de s’attaquer aux causes profondes de la déforestation et des émissions de gaz à effet de serre. Cela accroît les conséquences de la production de produits de base tels que le soja et l’eucalyptus sur les communautés pauvres, paysannes et autochtones, qui touchent de manière disproportionnée les femmes.


Pourquoi les politiques de protection des forêts au Rwanda doivent-elles s’adapter aux besoins des femmes rurales pauvres ?

Par Aphrodice Nshimiyimana, Initiative mondiale pour l’environnement et la réconciliation (GER de son acronyme anglais), Rwanda

Un fourneau amélioré. GER

Le Rwanda souffre d’une déforestation croissante en raison d’un certain nombre de facteurs, dont l’un est le fait que la bioénergie à base de bois reste la source d’énergie la plus fiable utilisée au niveau national. Bien que la dépendance au bois ait diminué ces dernières années, 85% de la consommation totale d’énergie primaire du Rwanda provient toujours de la biomasse et presque tous les ménages l’utilisent pour cuisiner. De 2001 à 2020, le Rwanda a perdu 37 700 ha de couvert forestier, soit une diminution de 7,6%.

Différentes politiques sur les forêts, la biodiversité, l’environnement ainsi que la gestion et l’utilisation des terres ont été mises en place pour lutter contre la déforestation au Rwanda et les émissions de gaz à effet de serre qui en découlent. Cependant, elles ont souvent échoué à apporter les solutions nécessaires. Dans certains cas, elles ont plutôt accru la pression sur les femmes issues de familles pauvres et historiquement marginalisées, en particulier dans les zones rurales où l’accès aux forêts est sévèrement restreint malgré des niveaux élevés de dépendance au bois pour l’usage domestique.  

Par exemple, la « Stratégie de croissance verte et de résilience au changement climatique » du Rwanda a été développée en 2011 afin d’intégrer l’action climatique dans tous les secteurs de l’économie. Le programme 12 traite de la foresterie et de la biomasse et, entre autres objectifs, il vise à 1) « Promouvoir le boisement/reboisement », ce qui implique la création de plantations d’arbres pour fournir du bois de chauffage et du charbon de bois; 2) « Employer une meilleure gestion forestière », ce qui implique souvent de protéger les zones forestières en limitant l’accès à ces zones, et 3) « Promouvoir des foyers améliorés pour une consommation efficace et propre de bois et de charbon », afin de réduire la demande de biomasse.

Ces trois objectifs peuvent avoir des répercussions disproportionnées sur les femmes et les filles. Restreindre l’accès aux forêts et établir des plantations d’arbres menace les moyens de subsistance qui dépendent des ressources forestières et de la production alimentaire à petite échelle, dont les femmes ont tendance à être responsables. Toutefois, l’utilisation de la biomasse pour cuisiner a certainement le plus grand impact direct et différencié : de fait, les femmes et les filles passent énormément de temps à ramasser du bois et leur exposition à la fumée cause de graves conséquences sur leur santé. 

L’accent mis sur l’amélioration des foyers en tant que politique de protection des forêts et d’atténuation du changement climatique est dû en grande partie au coût financier élevé des alternatives. Le biogaz était initialement considéré comme une solution prometteuse pour les besoins énergétiques des ménages, mais l’infrastructure requise et les matériaux nécessaires pour faire fonctionner les digesteurs et les poêles, ainsi que la quantité de matière organique qui devait être sourcée, ont fait en sorte que seul un petit nombre de communautés ont été en mesure de les construire et de les entretenir.

Le gouvernement rwandais a souvent déclaré que le GPL et l’électricité renouvelable sont plus rentables que le bois et le charbon de bois, et l’électrification rurale a considérablement progressé au Rwanda ces dernières années. Néanmoins, en général, les communautés ont trouvé que les coûts du gaz et de l’électricité ainsi que des poêles nécessaires sont inabordables.  

Pour de nombreuses communautés rurales pauvres et en l’absence d’un soutien plus efficace, la collecte de leur propre biomasse reste la seule option abordable pour elles. Jacqueline Ayinkamiye, une habitante de la campagne Nduba dans le district de Gasabo,  près de  Kigali, a déclaré que « la collecte de bois et d’autres biomasses pour cuisiner est notre seule priorité ; nous luttons pour avoir assez à manger et nous n’avons pas d’argent pour acheter du charbon de bois ou du gaz. Tout ce que nous pouvons faire, c’est acheter de la nourriture et les enfants vont chercher du bois de chauffage. » Étant donné que la collecte de bois de chauffage dans les forêts publiques et privées est illégale, Jacqueline a déclaré que «… les forêts sont hautement protégées, nous nous déplaçons et collectons tout ce que nous trouvons qui peut être utilisé à la place du bois. » 

Les foyers améliorés sont donc un outil populaire pour réduire la demande de bois de chauffage ou de charbon de bois. Par rapport à d’autres options, elles nécessitent moins d’infrastructures et des coûts d’exploitation inférieurs, étant donné que les utilisateurs collectent déjà leur propre biomasse. Lors d’une discussion de groupe sur le sujet, les habitants de Nduba ont déclaré que « Bien que le bois et le charbon de bois soient toujours nécessaires, il s’agit tout de même de l’option la plus abordable pour ceux qui vivent dans des zones rurales avec des petits revenus… pour les aliments qui avaient besoin de 10 morceaux de bois pour cuisiner, avec cette cuisinière, nous n’en utilisons que 3, pour les aliments qui avaient besoin de 5 kg de charbon de bois, il en faut entre 1,5 et 2 kg ».

Cependant, il existe très peu de preuves publiées suggérant que des foyers améliorés sont un moyen efficace de réduire l’utilisation du bois. De surcroît, très peu de preuves montrent qu’ils réduisent les impacts importants sur la santé que subissent principalement les femmes et les filles en cuisinant avec de la biomasse. Ils ne s’attaquent pas non plus aux injustices culturelles et sociétales sous-jacentes.

Jacqueline Ayinkamiye a déclaré qu’il est toujours dans l’état d’esprit des Rwandais que les travaux domestiques non rémunérés tels que la cuisine et le nettoyage doivent être effectués par des femmes et des jeunes filles. « Nous n’allons pas changer cet état d’esprit du jour au lendemain », a-t-elle déclaré. « C’est toujours la responsabilité d’une femme de cuisiner pour la famille, et quand nous n’apportons rien à la table… nous nous sentons honteuses et irresponsables. Cela provoque des conflits au sein de nos familles. C’est pourquoi nous faisons de notre mieux pour trouver du bois de chauffage,  ainsi que pour utiliser des déchets agricoles comme les rafles de maïs. »

Le fardeau qui pèse sur les femmes et les filles, en particulier au sein des familles pauvres, affecte d’autres aspects de leur vie. « Les jeunes filles sont en retard à  l’école et ont moins de temps pour réviser que leurs homologues masculins, d’autres abandonnent et les femmes participent à peine aux initiatives de développement communautaire. La cuisine occupe la majeure partie de notre temps. »

Fonder la politique énergétique et forestière sur une approche qui accepte par définition les impacts différenciés selon le genre de l’utilisation domestique de la biomasse est donc fondamentalement injuste. Dans cette optique, les politiques forestières au Rwanda doivent s’adapter aux besoins des femmes rurales. Chez GER, nous pensons que la seule façon d’y parvenir de manière équitable est de donner la priorité aux femmes et de les impliquer dans les processus de gouvernance forestière. La participation des femmes à l’élaboration des décisions et des politiques à tous les niveaux garantira que leurs droits sont reconnus et respectés tout au long des efforts visant à protéger les forêts et à mettre fin à la déforestation. 

GER défend et travaille avec  les femmes des communautés rurales et des groupes historiquement marginalisés pour lutter contre la déforestation et conserver les forêts naturelles de manière juste. Nos campagnes nationales visent à réduire la vulnérabilité des femmes aux impacts sociaux de la déforestation, à surmonter le fardeau de fournir de l’énergie à usage domestique et à éviter les problèmes de santé résultant de leur exposition quotidienne à la fumée. 

Selon Innocent Musore, directeur exécutif de GER, « Nous avons besoin d’une plus grande participation des femmes à la gestion des ressources forestières, et toutes les politiques liées aux forêts devraient tenir compte de la façon dont les femmes rurales sont incapables d’adapter les énergies renouvelables à l’usage domestique. La transition de la biomasse aux énergies renouvelables est un processus qui doit être fait étape par étape en fonction de la capacité des communautés et du soutien dont elles disposent, afin que les énergies renouvelables puissent être abordables. » 


Équipe éditoriale : Almuth Ernsting, Coraina de la Plaza, Jeanette Sequeira, Johanna Molina, Juana Delgado, Megan Morrissey, Oliver Munnion, Simone Lovera et Souparna Lahiri

Éditeurs : Oliver Munnion et Megan Morrissey

Traducteurs : Amira Armenta, Danae Barrera, Kwami Kpondzo, Megan Morrissey et Patricia Puechagut

Designer graphique : Oliver Munnion

Cette publication a été produite avec le soutien de Women Engage for a Common Future (WECF) à travers la Green Livelihoods Alliance, financée par le ministère néerlandais des Affaires étrangères et la Swedish Society for Nature Conservation (SSNC). Le contenu de cette publication relève de la seule responsabilité de la Coalition mondiale des Forêts (GFC) et ne peut en aucun cas être considéré comme reflétant les opinions des donateurs.

2 nov., 2021
Posted in ressources et publications, Justice de genre et forêts, Forêts et Changement Climatique, Forest Cover