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Élevage et justice de genre : une analyse féministe de l’élaboration des politiques en matière d’élevage et de sylviculture

Indigenous woman Hindou Omar of Chad standing in front of cattle

La Déclaration des dirigeants de Glasgow sur les forêts et l’utilisation des terres, signée en novembre 2021 lors de la COP26, s’est engagée à mettre fin à la déforestation d’ici 2030. Cette nouvelle date butoir est définie dix ans après celle fixée (et manquée) par les Objectifs de développement durable. Il s’agit également d’un triste rappel du fait que les forêts demeurent constamment menacées, même si nous avons pleine conscience que pour arrêter les changements climatiques catastrophiques, nous devons immédiatement faire cesser la déforestation et restaurer les écosystèmes forestiers.

L’expansion agricole est la principale cause de la perte de forêts et de biodiversité dans le monde, dont les moteurs sont, entre autres, la production industrielle de viande et de soja. Les femmes subissent les effets de la perte de forêts de manière disproportionnée, en particulier si elles appartiennent à des communautés autochtones, pauvres et marginalisées. Effectivement, la déforestation les prive de leurs revenus, de leur sécurité alimentaire et de leurs connaissances traditionnelles. Les femmes jouent également un rôle clé dans la conservation forestière et la production alimentaire durable, et devraient donc être au cœur des efforts d’atténuation du changement climatique et de conservation de la biodiversité.

Cette édition de Forest Cover présente une perspective féministe à la fois sur les politiques promouvant l’expansion de l’élevage non durable et de l’élevage de matières premières, et sur les efforts pour faire face aux impacts à grande échelle de ces secteurs. Elle se compose de trois études de cas détaillées au niveau national, étayées par six articles explorant les contextes nationaux et internationaux. Ensemble, ils analysent les implications de ces politiques pour les femmes et leurs communautés, et évaluent dans quelle mesure elles contribuent ou agissent comme un obstacle à la justice de genre.

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Pour plus d’informations concernant le travail de GFC sur la justice de genre et l’action climatique, veuillez consulter nos pages de campagne Justice de genre et forêts, et Forêts et changement climatique.

Contenu:


Éditorial : Les idées féministes sont cruciales pour établir de bonnes politiques en matière d’élevage

par Dennis Mombauer et Vositha Wijenayake, SLYCAN Trust, Sri Lanka

Governo do Estado Rio Grande do Sul/Flickr

Les écosystèmes forestiers recouvrent un tiers de la surface de la Terre et abritent la grande majorité de la biodiversité terrestre. D’un point de vue mondial, ils régulent les écosystèmes, protègent la biodiversité, stabilisent le climat, et séquestrent environ 2,6 milliards de tonnes de dioxyde de carbone par an. Pour les communautés locales, les forêts sont une source essentielle de biens, de services et de moyens de subsistance. Elles garantissent la santé et le bien-être de la communauté, augmentent la résilience face au changement climatique et sont d’une grande importance culturelle.

Aujourd’hui, seule la moitié de la superficie forestière mondiale est encore relativement intacte. Les changements climatiques, les feux de forêts, les parasites, les maladies, les espèces invasives et les sécheresses ont contribué à la destruction, la dégradation et la fragmentation des paysages forestiers. En outre, le premier moteur de la perte des forêts et de la biodiversité est l’expansion agricole, notamment l’élevage industriel et non durable, qui est également une des principales causes d’émissions anthropiques de méthane. L’exploitation néocoloniale et globalisée des ressources et des paysages forestiers orientée vers le marché accélère le changement climatique, réduit la biodiversité et représente une menace existentielle pour 1,6 milliards de personnes (un cinquième de la population mondiale) dont les modes de vie dépendent des forêts. Les communautés, les ménages et les personnes habitant dans et autour des forêts doivent affronter des impacts disproportionnés en lien avec ces questions.

Des communautés autochtones, pauvres, marginalisées et vulnérables dépendent des ressources forestières et des services écosystémiques associés, qui constituent leur filet de sécurité socio-économique en temps de crise. Souvent, au sein de ces communautés, ce sont les femmes qui souffrent le plus de la déforestation et des incendies de forêts, car elles risquent de perdre leurs revenus, leur sécurité alimentaire et leurs rôles traditionnels en tant que gardiennes des savoirs et protectrices de l’environnement. Les femmes, dans toute leur diversité, peuvent subir des discriminations multiples et intersectionnelles, en fonction de leur statut social, leur appartenance ethnique, leur âge, leur classe sociale, leur orientation sexuelle et leur identité de genre, entre autres.

Ces inégalités liées au genre peuvent être traitées de différentes façons, notamment à travers les politiques, les lois et les règlements, la gestion intégrée des paysages, la conservation, la réhabilitation et la restauration des forêts, le renforcement de capacités, la sensibilisation aux changements de régimes alimentaires, l’action communautaire, la construction de coalitions, les instruments financiers ou la technologie. Cependant, ces mesures doivent s’appuyer sur des preuves solides pour être efficaces et éviter de reproduire les inégalités ou les relations de pouvoir existantes.

Des différences genrées peuvent être identifiées dans l’accès et le contrôle des ressources, les équipements et les actifs, la propriété foncière et les droits légaux ou coutumiers, la division du travail et les types d’activités quotidiennes, les rôles, les standards, les normes, les attentes, les images de soi et les pratiques institutionnelles liées au genre. En outre, les différences en matière de genre peuvent être observées dans les flux d’information et les savoirs locaux et traditionnels, la participation dans les processus de planification et de prise de décision au sein du ménage, de la communauté et de la société, les services éducatifs et de santé, la gestion du risque et la protection sociale ainsi que la distribution des bénéfices provenant des ressources forestières. 

Toute intervention doit s’appuyer sur une compréhension profonde des impacts, des implications, des contributions, des capacités, des contraintes et des défis différenciés en termes de genre, d’autant plus pour les femmes et les filles Autochtones et rurales, ou provenant d’autres groupes sous-représentés ou marginalisés. Les études de cas qui constituent ce rapport soulignent l’importance d’un point de vue féministe spécifique au pays et au contexte pour l’élaboration des politiques liées à l’élevage de bétail, et la nécessité de poser ces questions clés : de quelle manière les femmes sont-elles affectées par la gestion officielle et non officielle des forêts ainsi que par l’environnement socio-économique associé ? Comment leurs rôles sont reconnus et vus par la société et par elles-mêmes ? Quels sont les leviers de changement pour renforcer les droits, les opportunités et les pouvoirs des femmes en matière de prise de décision ?

La recherche entreprise par les groupes membres et les alliés de GFC dans le cadre de cette publication a suivi une méthodologie de recherche féministe développée par des membres de GFC. Celle-ci apporte une perspective intersectionnelle qui permet d’analyser aussi bien les politiques qui promeuvent la production non durable de bétail que les politiques qui tentent de s’attaquer aux impacts de celle-ci. La recherche a été compilée au sein de trois études de cas nationales approfondies, soutenues par cinq articles qui explorent les contextes nationaux et internationaux. Elle se conclut par une analyse des efforts déployés de façon multilatérale pour faire face aux impacts de l’élevage de bétail sur les forêts et interroge leur contribution à la réalisation de la justice en matière de genre.

Dans certains cas, les femmes sont les gardiennes d’écosystèmes forestiers et disposent de très riches savoirs traditionnels. Ceux-ci proviennent de leur expérience, notamment sur la distribution spatiale des plantes, la saisonnalité, les cycles phénologiques, les limites de récolte, les niches sensibles et les menaces. Dans d’autres cas, elles jouent un rôle crucial dans le mode de vie pastoral traditionnel et l’élevage durable de bétail. Les différences genrées peuvent alors être identifiées du côté de la consommation, par exemple à travers une « ségrégation des menus » et une consommation de viande inégale entre hommes et femmes, mais aussi dans les processus de production et de distribution de nourriture. Au Sri Lanka, par exemple, les femmes diversifient la base nutritionnelle en cultivant des « jardins génétiques » et en domestiquant des plantes alimentaires et médicinales dans des jardins domestiques à travers le pays.

Les forêts sont des écosystèmes recouvrant une immense diversité, de même que les communautés humaines qui dépendent d’elles. Il y a également des différences énormes entre l’élevage industriel non durable et les pratiques traditionnelles de pâturage, le pastoralisme ou les systèmes intégrés de culture et d’élevage à petite échelle. Les actions en matière de conservation des forêts et de pratiques durables d’élevage doivent être enrichies par des savoirs locaux et sensibles au genre, par exemple, à travers des collectes participatives de données désagrégées ou à travers la mise en place de plateformes de dialogues et d’espaces sûrs pour que les femmes et les groupes de femmes puissent partager leurs expériences et leurs propositions.

Les forêts sont bien plus que des simples éléments des paysages physiques. Elles ont des dimensions sociales, économiques et culturelles, connectées de façon distincte aux vies des hommes et des femmes. Les femmes tendent à être plus affectées par les pertes de forêts et font face à des risques additionnels qui les vulnérabilisent. Elles sont aussi les actrices clés de la conservation des forêts et de la production alimentaire durable. Leurs contributions sont essentielles et il est impossible d’envisager une gestion holistique des forêts sans prendre en compte les femmes dans toute leur diversité, en reconnaissant leurs capacités uniques et en assurant leur pleine participation dans les processus de prise de décision.

La protection des forêts va bien au-delà de planter des arbres et s’assurer qu’ils ne soient pas coupés. Protéger les forêts signifie protéger le climat, protéger la biodiversité, protéger les moyens de subsistance, contribuer à l’autonomisation des communautés locales à travers des stratégies spécifiques, inclusives, participatives et transformatrices en matière de genre, en reconnaissant tout particulièrement les rôles des femmes, des filles, des Peuples Autochtones et des autres groupes marginalisés ou vulnérables.

 

1 GFC (2021). Methodology for Case Studies to Understand the Underlying Causes of the Impact on Women of Policies and Initiatives to Address the Main Drivers of Forest Loss.

L’industrialisation de l’élevage au Togo et le lourd tribut payé par les femmes pastoralistes

par Martina Andrade et Kwami Kpondzo, FoE-Togo

A transhumant herd of cattle in Todome, Fiokpo district. Eric Adevou/FoE Togo

Le Togo a connu un taux de déforestation alarmant de 4,5% par an. En réponse, le gouvernement a adopté en 2011 une Politique forestière nationale, destinée à faire cesser la déforestation et augmenter le couvert forestier de de 6.8% à 30% d’ici 2050.

 

Cette politique identifie l’expansion agricole et la transhumance non contrôlée comme les principaux facteurs de dégradation des forêts et établit des stratégies pour contrôler les activités pastorales de façon stricte. Par exemple, des couloirs spécifiques ont été créés pour le déplacement des troupeaux de bétail.

 

Outre les taux élevés de déforestation, le Togo est également confronté à une demande croissante de protéines animales, qui dépasse désormais la production annuelle de 4,5 kg par habitant et requiert d’importantes importations. Pour faire face à cela, le gouvernement soutient la construction de ranchs, de laiteries et d’abattoirs. De même que l’augmentation de la production, ceci est censé aider à « contrôler et moderniser la pratique de la transhumance locale et internationale ». 

La double stratégie politique du gouvernement, qui consiste à contrôler le pastoralisme traditionnel tout en promouvant l’élevage intensif, risque d’entraîner des répercussions importantes pour les femmes, étant donné leur rôle central dans l’élevage traditionnel et le fait que la transhumance est leur principale activité économique. En outre, si la Politique forestière reconnaît le rôle crucial des femmes dans la lutte contre la déforestation, elle ne tient pas compte des obstacles auxquels elles sont confrontées pour obtenir un accès égal aux terres et aux ressources, ni de la dépendance de leurs moyens de subsistance vis-à-vis de l’agriculture.

Bien que 51% des personnes travaillant dans l’agriculture soient des femmes, leur rôle dans les sociétés pastorales est sous-estimé. En conséquence, 42 % des agricultrices n’ont pas d’instruction, contre 15 % des agriculteurs, et l’écart de revenus entre les hommes et les femmes est estimé à 44 %. La majorité des sociétés pastorales sont aussi largement patriarcales et dominées par les hommes, malgré le fait que les femmes soient des actrices clés de la production de richesses et de la subsistance. Leurs responsabilités incluent notamment de prévoir les routes que les troupeaux suivront, guider les animaux dans leurs migrations et renforcer les liens sociaux avec les populations locales sur les zones de pâturages. Les femmes pastoralistes ont également des connaissances importantes en matière de conditions de pâturages, de disponibilité d’eau et de soins à l’égard de leurs animaux. 

Malgré ces vastes connaissances et ces importantes responsabilités, vendre les animaux aux marchés reste vu comme une prérogative masculine dans les familles et les troupeaux sont majoritairement vus comme appartenant aux hommes. De ce fait, les contributions économiques des femmes aux ménages ne sont pas reconnues, pas plus que leur rôle clé dans la prévention des conflits entre éleveurs et agriculteurs grâce au travail qu’elles accomplissent au niveau communautaire.

Les politiques togolaises visant à contrôler le pastoralisme sont centrées sur des paramètres techniques de base, tels que les zones de pâturages des animaux, et traitent le rôle des femmes dans la transhumance et son importance pour les moyens de subsistance comme un sujet secondaire. Cela perpétue des normes sociales discriminatoires et crée un obstacle à la garantie d’un accès égal aux ressources. Le même schéma se répète aujourd’hui dans la manière dont l’élevage intensif est promu par le gouvernement togolais.

 

1 Les efforts visant à accroître le couvert forestier s’articulent autour d’un objectif de plus de 600 000 hectares de plantations commerciales d’arbres, ce qui ferait des plantations le type de couvert forestier principal du pays. https://globalforestcoalition.org/wp-content/uploads/2021/09/AFR100-plantations-briefing.pdf
2 La transhumance est une forme de pastoralisme qui implique le déplacement saisonnier du bétail entre les pâturages, que ce soit à l’intérieur des frontières nationales ou au niveau international.

La Bolivie en flammes : comment les politiques d’élevage de bétail et d’agro-industrie entraînent la perte des moyens de subsistance des femmes rurales

par Pamela Cartagena et Carmelo Peralta, CIPCA, Bolivia

Forest degradation and loss in Santa Cruz, Oriente region. Philip Kittelson

En Bolivie, l’élevage extensif [1] et l’agriculture mécanisée entraînent la déforestation, la dégradation des écosystèmes, des émissions de gaz à effet de serre ainsi que d’autres impacts environnementaux. Ils représentent également une menace pour les moyens de subsistance. L’élevage extensif et l’agro-industrie sont les principales causes du déboisement de plus de 7 millions d’hectares, soit la superficie de la Belgique et des Pays-Bas réunis.

Selon MapBiomas Amazonia, les activités agricoles et d’élevage dans les basses terres et les yungas de Bolivie [2] ont élargi la frontière agricole et d’élevage d’environ 3,7 millions d’hectares entre 1985 et 2018, pour atteindre un total d’un peu plus de 5 millions d’hectares. Au cours de cette même période, le couvert forestier du pays a diminué d’une quantité presque égale, passant d’environ 49 millions d’hectares à 45,3 millions d’hectares.

Le volume des exportations de bœuf bolivien a augmenté de 550 % entre 2016 et 2020, soit de 2 457 à 15 962 tonnes : de fait, la Chine achète 84% du bœuf bolivien et représente le marché le plus important pour ce produit. L’augmentation de la production de viande bovine a entraîné des incendies de forêt et des activités de brûlage forestier afin de défricher des terres pour l’agriculture pendant les saisons sèches. Ces dernières années, les politiques conçues pour promouvoir l’agro-industrie dans les basses terres ont ainsi contribué à une augmentation des quantités de terres brûlées et déboisées dans le pays.

La méthodologie

Il n’existe pas de chiffres clairs sur les impacts de la déforestation et des incendies sur les communautés autochtones et paysannes, encore moins sur la manière dont les familles rurales et leurs moyens de subsistance sont affectés ou sur les impacts différenciés selon le genre. Par conséquent, l’objectif principal de cette étude de cas est d’analyser les impacts des politiques et des mesures nationales et régionales qui favorisent la production animale, la déforestation et le brûlage des forêts sur les femmes et les moyens de subsistance des familles rurales.

Une approche sensible au genre nous permet d’identifier, d’interroger et d’évaluer les discriminations, les inégalités et l’exclusion auxquelles sont confrontées les femmes. Parallèlement, mettre l’accent sur les moyens de subsistance nous permet de comprendre les impacts des politiques qui encouragent la production animale sur les revenus et le bien-être économique des familles rurales.

Pour atteindre cet objectif, des recherches ont été menées sur les mesures politiques qui alimentent la déforestation, le brûlage des forêts et les incendies de forêt au niveau national.

Des entretiens semi-structurés ont également été menés au sein de 12 communautés paysannes, dont trois dans la région nord de l’Amazonie, six dans des communautés autochtones Guarani de la région du Chaco et trois au sein des communautés autochtones Guaraya dans la région orientale de la Bolivie. Parmi les personnes interrogées, se trouvaient neuf femmes et trois hommes, tous adultes, chefs de famille et dirigeants d’organisations paysannes et autochtones. Ils ont été sélectionnés pour leur connaissance des politiques et des projets liés à l’agriculture menés dans leur région et leur connaissance contextuelle des dynamiques en jeu. Les femmes interrogées avaient entre 33 et 51 ans et les hommes entre 57 et 59 ans au moment des entretiens. Les entretiens ont exploré les rôles de genre dans la famille et la communauté, les stratégies de subsistance et leur dépendance vis-à-vis des ressources naturelles, la participation à la prise de décision ainsi que les impacts des projets et des politiques sur les femmes et les hommes.

Les politiques agricoles et leurs impacts au niveau national

Les réglementations qui ont encouragé la déforestation et le brûlage des forêts en Bolivie ces dernières années (voir le tableau ci-dessous) ont entraîné des répercussions dans les différentes régions du pays, et leurs impacts sont particulièrement clairs au niveau local. Il s’agit notamment des lois 337, 502, 739 et 952, qui ont légalisé le défrichement, autrefois illégal, pour l’agriculture et l’élevage de bétail entre 2013 et 2017, sous prétexte de favoriser la production alimentaire.

Le décret suprême 3973 de 2019 a été particulièrement controversé car il autorisait le défrichement des terres pour les activités agricoles et d’élevage dans les régions de l’Amazonie, de la Chiquitanie et du Chaco oriental. Cela a entrainé le défrichement de terres à vocation forestière [3] dans les départements de Beni et de Santa Cruz, lesquels étaient auparavant encadrés par des plans locaux de gestion des terres. En conséquence, cette même année, un nombre record de 6,43 millions d’hectares ont été brûlés dans tout le pays, et principalement dans ces deux départements (voir figure 1). De vastes zones ont également été brûlées en 2020 et 2021, sur des étendues de 4,54 et 1,50 millions d’hectares respectivement, avec une importante perte de forêt, à nouveau dans les départements de Beni et Santa Cruz.

En 2019, le gouvernement a également adopté la loi 1171, qui autorise le brûlage à des fins agricoles et d’élevage dans certaines limites, et prévoit des amendes pour les propriétaires fonciers qui enfreindraient ce cadre. Cependant, le brûlage illégal s’est poursuivi sans relâche dans les zones étudiées car les amendes par hectare brûlé sont si faibles qu’elles n’ont eu aucun effet dissuasif dans la pratique.

 

Les réglementations nationales incitant à l’expansion agricole et entraînant la perte de forêts

Année Loi Objectif
2013 Loi 337 : elle soutient la production alimentaire et la régénération des forêts Cette loi s’applique aux propriétés privées déjà titrées ou en cours de titrage et aux petites propriétés collectives des Peuples Autochtones et communautés paysannes qui ont été illégalement déboisées entre 1996 et 2011. Le défrichement est gracié à la seule condition qu’elles produisent de la nourriture. Des pénalités et des amendes peu élevées sont établies.
2014 Loi 502 Elle prolonge la durée de la grâce en vertu de la loi 337 pour 12 mois supplémentaires.
2015 Loi 739 Elle prolonge la durée de la grâce en vertu de la loi 337 pour 18 mois supplémentaires.
2015 Loi 740 : elle modifie la période de vérification de la fonction sociale et économique (FES, en espagnol) Cette loi s’applique aux procédures de réversion des propriétés agricoles ne démontrant aucune fonction sociale et économique. La durée est portée de 2 à 5 ans, ce qui favorise la déforestation sur la propriété privée et consolide les latifundios improductifs, c’est-à-dire les grands domaines agricoles.
2015 Loi 741 : elle autorise le défrichement dans les petites exploitations pour les activités agricoles et l’élevage Cette loi s’applique aux petites propriétés, aux propriétés communautaires ou collectives et aux lieux de vie humains par le biais d’une résolution d’autorisation accélérée et simplifiée. La superficie des terres pouvant être défrichées est portée de 5 à 20 hectares en terres forestières permanentes de production dans le but de favoriser les activités agricoles et d’élevage.
2017 Loi 952 : elle prolonge le délai d’enregistrement en vertu de la loi 337 Cette loi prolonge de 27 mois supplémentaires le délai d’enregistrement pour le programme de soutien à la production alimentaire et à la restitution des forêts en vertu de la loi 337.
2019 Loi 1171 Elle autorise le brûlage pour les activités agricoles et l’élevage, selon certains paramètres, avec des sanctions en cas de non-respect, y compris des amendes maximales de 16,4 Bs (2 euros) / ha.
2019 Le décret suprême 3973 : il modifie l’art. 5 du D.S. 26075 de 2001 Il s’applique aux propriétés privées et communautaires dans les départements de Beni et Santa Cruz. Ce décret autorise le défrichement pour les activités agricoles sur des terres qui devaient auparavant respecter un plan d’occupation des sols ou un plan de défrichement approuvé par l’autorité compétente.

Source : créée par les auteurs sur la base des informations du Journal officiel du gouvernement bolivient 

 

Carte des superficies brûlées pour les activités agricoles et d’élevage en Bolivie entre 2009 et 2019

Source : créée par les auteurs à partir des données de la Fundación Amigos de la Naturaleza.

Les impacts locaux des politiques agricoles et des politiques d’élevage 

Sur la base des entretiens menés dans les trois régions étudiées, il a été constaté que les femmes, leurs moyens de subsistance et le bien-être de leurs familles dépendent fortement des ressources naturelles. La perte de forêts causée par les incendies et la déforestation dans ces régions, en particulier en 2019 et 2020, à la suite de la mise en œuvre de la loi 337 et du décret suprême 3973, a considérablement changé leur vie.

Les impacts sur les moyens de subsistance

Trois impacts spécifiques sur les moyens de subsistance ont été identifiés par les personnes interrogées : le manque d’eau pour la consommation domestique et la production agricole ; la pression sur les ressources naturelles, telles que les forêts, exercée par les exploitations d’élevage bovin ; et le manque d’opportunités pour générer des revenus en raison des deux premiers impacts et d’autres facteurs socio-environnementaux. Les femmes et les hommes pensent que les changements environnementaux auxquels elles/ils font face et qui ont un impact sur leur production agricole, tels que les pluies irrégulières et les sécheresses fréquentes, sont le résultat de la déforestation dans leur région, causée par l’élevage et l’agro-industrie non durables.

Dans les trois régions, la majeure partie de la déforestation s’est produite à la suite du brûlage incontrôlé des pâturages par de grandes entreprises privées d’élevage de bétail, qui s’est propagé aux zones forestières communales utilisées pour la collecte des cultures vivrières forestières et, dans certains cas, aux terres agricoles des paysans. Cela a entraîné une perte importante de moyens de subsistance. Par exemple, la destruction de milliers de colonies d’abeilles a affecté la production de miel dans la région du Chaco et, dans l’Est de la région, les zones forestières utilisées pour la cueillette des fruits du palmier babassu (Attalea speciosa) et où les femmes Guaraya ramassaient traditionnellement le cacao sauvage (Theobroma cacao) ont été ravagées.

La concurrence pour l’accès aux ressources

La concurrence pour l’accès aux ressources productives est également un facteur à prendre en compte au sein des trois régions. De grandes propriétés privées pratiquant l’élevage extensif empiètent souvent sur les zones de forêts, de pâturages et de sources d’eau appartenant aux communautés afin que le bétail puisse paître. En plus d’entraver la production agricole des paysans autochtones, cela génère des conflits qui ne sont souvent pas résolus compte tenu des relations de pouvoir entre les éleveurs de bétail et les membres de la communauté. Ces derniers sont souvent obligés de se tourner vers les entreprises d’élevage pour obtenir des emplois. 

L’évolution des rôles de genre en milieu rural

La perte d’opportunités de générer des revenus à partir de la transformation et de la vente à petite échelle de produits au niveau communautaire est un problème récurrent. Il est clair que si les moyens de subsistance des familles, tels que la récolte des produits forestiers, les systèmes agroforestiers, la production agricole et animale des petits exploitants, sont perdus, ce sont les femmes qui seront confrontées aux plus grandes difficultés. Cela est dû au fait que les hommes choisissent souvent de quitter la communauté à la recherche d’un travail rémunéré, et les niveaux croissants d’émigration masculine ont forcé les femmes à assumer seules la responsabilité de la production alimentaire et des fonctions de leadership au sein des communautés. La présence de plus en plus fréquente des femmes à la tête des familles dans les communautés rurales n’a pas été reconnue par les institutions étatiques.

Les structures foncières patriarcales 

Les impacts subis par les femmes sont encore plus importants lorsque la majorité d’entre elles ne possèdent pas de biens de propriété ou le droit d’accéder, d’utiliser et de contrôler les ressources foncières et forestières de leurs communautés. Depuis l’introduction de grands domaines, appelés haciendas [4], au début du XXe siècle, les rôles des femmes ont été limités à la procréation et au care. A la suite de la réforme agraire et de l’abolition du système d’hacienda, le processus collectif d’attribution de titres fonciers ou de récupération de 1990 à 2000 a donné la priorité aux coutumes locales des communautés paysannes et autochtones des basses terres. Chaque communauté a reçu un titre légal avec une annexe détaillant la liste des titulaires, composée uniquement des hommes de la communauté. Le manque de sensibilité des autorités en matière de genre, en plus de la culture patriarcale locale, ont empêché les femmes d’accéder à ces droits de façon égalitaire. 

L’exclusion des processus de prise de décision

Les hommes et les femmes interrogés ont également indiqué qu’ils/elles n’avaient pas la possibilité d’agir et d’inverser les changements négatifs qui affectent leurs moyens de subsistance dans leurs communautés et leurs territoires. Les perceptions des femmes sur les projets d’élevage commerciaux établis à proximité de leurs communautés ces dernières années sont critiques mais les femmes ne sont généralement pas informées, consultées ou prises en compte dans la mise en œuvre des projets et politiques liés à l’élevage. En conséquence, plusieurs de ces projets ont échoué, même lorsqu’ils se concentraient sur l’amélioration des moyens de subsistance des paysans. Par exemple, le programme national d’élevage de bétail du gouvernement, appelé « Plan Patujú », visait à augmenter le nombre de bovins dans des régions telles que l’Amazonie et les basses terres de la Bolivie. Ce plan a distribué un certain nombre de têtes de bétail aux communautés paysannes et autochtones sans tenir compte de l’alimentation, des infrastructures, de la gestion et des autres variables nécessaires à un élevage bovin durable. Dans de nombreux cas, le bétail a été vendu ou consommé par les communautés.

Le territoire autochtone Guayara

Un exemple qui illustre les effets des lois incitant au brûlage et à la déforestation dans la région orientale de la Bolivie est le territoire autochtone Guayara (TCO, en espagnol), qui s’étend sur un million d’hectares. Le brûlage par de grandes entreprises d’élevage pour créer des pâturages est fréquent dans le TCO, malgré sa reconnaissance comme territoire autochtone appartenant à la communauté. Cela entraîne le risque d’incendies de forêt et affecte les moyens de subsistance des communautés autochtones chaque année. En 2016 et 2017, un grand nombre de cacaoyers ont été brûlés, ce qui signifie que les communautés ne peuvent plus générer de revenus en vendant de la pâte de cacao. En 2019 et 2020, les incendies ont principalement touché les forêts de palmiers babassu, et les femmes autochtones qui tiraient auparavant des revenus de la cueillette des fruits du palmier et de leur transformation en huile en ont subi les conséquences. En outre, les incendies les plus récents ont entraîné la perte des systèmes agroforestiers de plusieurs familles, ce qui a particulièrement touché la production de bananes à petite échelle. Étant donné que les femmes ne gèrent que 5 % des terres agricoles utilisées pour générer des revenus au niveau familial, tandis que les hommes gèrent les 95 % restants, leurs revenus sont principalement basés sur la cueillette, la transformation et la vente de fruits de la forêt. Elles sont donc affectées de façon disproportionnée par la perte des forêts. 

Conclusions

En encourageant l’élevage de bétail, les politiques nationales relatives à l’agriculture et à l’élevage en Bolivie entraînent donc clairement la raréfaction des forêts. Cela a un impact négatif sur les moyens de subsistance des familles rurales, et en particulier des femmes, car les hommes émigrent souvent à la recherche d’opportunités économiques. Les femmes sont plus vulnérables aux impacts des brûlis et des incendies de forêt, de la déforestation et de la dégradation des forêts car elles restent dans leurs communautés et dépendent des ressources naturelles pour leur survie.

Au niveau local, les femmes n’ont pas la propriété ni les droits d’utilisation, d’accès et de contrôle des ressources forestières. Cela limite leurs options économiques car leurs moyens de subsistance ont tendance à dépendre entièrement des ressources forestières et de la production agricole à petite échelle. Leur participation limitée à la prise de décision sur les politiques et les projets qui les concernent signifie que leurs rôles et leurs besoins ne sont pas pris en compte. Il est également évident que les problèmes rencontrés par les femmes rurales et autochtones en Bolivie sont communs aux différentes régions du pays étudié.

1 L’élevage extensif est pratiqué sur de grandes étendues de terre, avec de faibles coûts de production, car il a lieu en plein champ. La productivité de cette pratique est faible, en raison de la rareté du fourrage et de l’eau pendant la saison sèche (mai à octobre) mais également parce qu’elle entraîne une dégradation de l’environnement et exerce une pression sur les ressources forestières autochtones.
2 Les Yungas désignent une biorégion de forêt tropicale de feuillus, dont l’étendue est limitée et qui se situe le long du versant oriental de la cordillère des Andes.
3 Les terres à vocation forestières désignent les zones qui ne sont adaptées que pour les activités forestières, à travers des plans de gestion des forêts, approuvés par l’Autorité nationale des forêts et des terres. Un changement d’utilisation du sol, par exemple le passage d’un couvert forestier à une utilisation agricole, causerait la perte de la végétation et la dégradation imminente du sol.
4 Il s’agit de propriétés privées soutenues par des pratiques de travail relevant largement de l’exploitation, avec des employés gagnant peu ou pas de salaire.

Les banques de développement oublient les femmes

par Merel Van der Mark, Sinergia Animal, Netherlands

A peasant farmer in Bolivia. Eneas De Troya/Flickr

La faim dans le monde a augmenté en 2020 , tout comme l’écart entre les genres en matière de faim: la prévalence de l’insécurité alimentaire est 10% plus élevée pour les femmes, alors que la différence était de 6% l’an passé. Si cette tendance continue, l’Objectif de développement durable des Nations Unies sur l’éradication de la faim (ODD n°2) ne sera pas atteint, avertit l’Organisation mondiale pour l’alimentation et l’agriculture (FAO)

L’une des voies recommandées par la FAO pour s’attaquer aux causes de l’insécurité alimentaire est de donner plus de pouvoir aux petits exploitants agricoles. Tandis que ceux-ci produisent autour de 70% de la nourriture dans le monde, ils continuent à souffrir de la faim et de la malnutrition. Parallèlement, il convient de s’attaquer à l’écart entre les genres, car les femmes rurales sont confrontées à la pauvreté, à l’exclusion et aux effets du changement climatique de manière disproportionnée par rapport aux hommes ruraux ou aux femmes urbaines. Les femmes et les filles des zones rurales ont souvent un accès moindre aux ressources, notamment à la terre et aux finances, ce qui affecte la productivité des petites exploitantes agricoles. Cependant, lorsque les femmes rurales ont un accès égal aux ressources, elles obtiennent les mêmes rendements que les hommes ruraux et deviennent des forces actives contre la faim, la malnutrition et la pauvreté rurale.

Compte tenu de cette réalité, on pourrait imaginer que toutes les banques de développement décident de mettre au cœur de leur mission des politiques qui promeuvent l’autonomisation des femmes rurales, pour éradiquer la faim et les inégalités de genre (ODD n°5). Toutefois, la réalité est la suivante : tandis que les banques de développement mentionnent régulièrement l’importance de la réalisation des ODD, elles injectent des milliards dans les opérations d’élevage des grandes entreprises. Au lieu de soutenir les petits exploitants, ces opérations entrent en concurrence avec eux, contribuant à la concentration des ressources au lieu de leur redistribution. Les plus grandes compagnies de l’industrie de la viande et l’industrie laitière génèrent des milliards en profit chaque année. 

Malgré cela, les finances en provenance du secteur du développement continuent d’affluer vers le secteur de l’agriculture animale industrielle. Marfrig, la deuxième plus grande entreprise de viande bovine au monde, basée au Brésil, a récemment demandé un prêt de 43 millions de dollars à la BID « Invest » afin de « renforcer la durabilité de la chaîne d’approvisionnement en viande bovine », s’appuyant ainsi sur des fonds d’investissement publics pour atteindre ses objectifs de durabilité. Cette demande de fonds intervient peu après que Marfrig ait engagé plus de 1,7 milliard de dollars dans l’acquisition d’actions de deux entreprises agroalimentaires multinationales en une seule année civile. Une entreprise ayant accès à des millions de dollars pour développer ses activités déjà très étendues n’a pas besoin d’un prêt venant d’une banque de développement. Ces pratiques de prêt soutiennent les industries extractives comme l’agriculture industrielle et favorisent les marchés d’exportation au détriment de la sécurité alimentaire locale, limitant ainsi les investissements dans d’autres aspects de l’économie rurale. Les femmes peuvent être affectées de manière disproportionnée par cette situation, car leur accès déjà réduit aux ressources est encore plus restreint lorsqu’elles sont évincées par les opérations des grandes entreprises.

Les opérations du secteur de l’élevage industriel ont des impacts additionnels. Fréquemment, elles exploitent et polluent les terres et les ressources des communautés locales et contribuent fortement aux crises du climat et de la biodiversité auxquelles nous faisons face. Les résultats en matière de santé ont une dimension de genre particulièrement importante, puisque les femmes sont souvent les principales responsables des soins à la famille et de l’entretien du foyer, ce qui entraîne d’innombrables heures de travail non rémunéré. Ces impacts, qui mettent en jeu l’avenir de l’humanité dans son ensemble, sont souvent fortement ressentis par les femmes rurales, dont les moyens de subsistance dépendent des ressources naturelles et dont la capacité de réponse aux désastres naturels est faible. 

Les banques de développement pourraient intégrer efficacement les ODD à leur modèle en donnant la priorité à une production alimentaire résiliente et diversifiée, menée par les communautés, notamment en soutenant les collectifs paysans dirigés par des femmes. Au lieu d’une approche descendante à la merci des marchés mondiaux, laissez les femmes et leurs communautés déterminer quelles sont les meilleures semences, les meilleures variétés et les meilleures pratiques pour assurer leur subsistance tout en préservant leurs ressources, en répondant aux besoins nutritionnels et en célébrant leurs cultures. Les finances publiques peuvent ouvrir et renforcer l’accès aux marchés locaux et régionaux, tout en permettant une distribution plus équitable de la nourriture. Les exploitations d’élevage industriel reposent sur la monoculture et l’imposition de quelques espèces végétales et animales dans des environnements nouveaux, avec des intrants gourmands en ressources et des résultats néfastes. Les systèmes alimentaires élaborés par les communautés ont tendance à utiliser moins de ressources, ce qui est certainement plus compatible avec un climat changeant. 

Au lieu de canaliser des milliards de dollars vers certaines des plus grandes entreprises, les banques de développement devraient soutenir les petits exploitants, en particulier les femmes, car leur offrir un accès égal à l’éducation, aux soins de santé, aux ressources financières, à la terre, mais aussi au pouvoir de décision, est essentiel pour lutter contre la faim et la pauvreté.


Interdire le pâturage ou donner les forêts aux éleveurs ? Le dilemme du surpâturage au Népal frappe particulièrement les femmes

par Shova Neupane, Tulasi Devkota, Amika Rajthala et Bhola Bhattarai, National Forum for Advocacy Nepal (NAFAN), Népal

Goats are the most common livestock for poor, small-scale farmers. Pradip Shakya/ILO

L’élevage de bétail est l’une des principales causes de la déforestation et de la dégradation des forêts aux Népal, en raison du surpâturage et de la collecte de fourrage pour l’alimentation des animaux dans les zones forestières. La stratégie nationale REDD+[1] du Népal a identifié le surpâturage et le pâturage non contrôlé comme la quatrième priorité parmi neuf facteurs de la déforestation et de la dégradation des forêts, et elle plaide pour des restrictions d’accès aux forêts pour les éleveurs.

Parallèlement, l’élevage est perçu comme un outil précieux d’atténuation de la pauvreté ainsi qu’une voie vers la prospérité économique. En contradiction évidente avec la stratégie REDD+, un autre projet financé par l’ONU, le Programme de foresterie et d’élevage à bail, encourage l’élevage de petits exploitants dans les forêts nationales afin de soutenir les moyens de subsistance et restaurer les forêts dégradées.

Ces approches opposées ont des impacts significativement différents sur les femmes rurales au Népal, qui sont responsables d’environ 70% du travail lié à l’élevage de bétail, dont la collecte de fourrage. Les femmes les plus pauvres ont tendance à être davantage impliquées dans l’élevage, d’autant plus qu’elles ont un contrôle limité sur les finances et sur la prise de décision dans le domaine.

L’élevage de bétail au Népal

La majorité des 23 millions de ruminants (bovins, buffles, ovins et caprins) qui composent la population nationale de bétail est élevée en pâturage en plein air et/ou nourrie avec du fourrage collecté dans les forêts voisines [2]. Bien que les statistiques sur la proportion d’animaux qui paissent en plein air dans les forêts ne soient pas disponibles, même les animaux qui sont élevés de manière intensive et nourris à l’étable tirent souvent une quantité considérable d’aliments des forêts locales, dépassant dans de nombreux cas leur capacité de charge. 

Le surpâturage est largement répandu dans les régions du Taraï, du Siwalik et des Hautes montagnes du Népal. Toutefois, la pression du pâturage au sein des forêts des moyennes montagnes a été considérablement réduite en raison des actions menées par les Groupes d’usagers des forêts communautaires. Le pâturage dans les régions des plaines est principalement pratiqué par des petits agriculteurs sédentaires et des bergers nomades dans les hautes montagnes. Les forêts gérées par le gouvernement sont les plus touchées par le surpâturage puisqu’aucun contrôle de cette activité n’est réalisé dans ces zones. D’un autre côté, des restrictions sur le pâturage du bétail et la collecte de fourrage, dont certaines sont très strictes, sont en place au sein des forêts communautaires [3], des forêts à bail [4], et des aires protégées. Par conséquent elles sont les moins affectées par le pâturage intensif. 

Si ces contraintes ont réduit la pression sur les forêts au sein de certaines régions, elles ont également entraîné des conséquences négatives, en particulier sur les moyens de subsistance des femmes, malgré le fait que les agriculteurs à petite échelle soient régulièrement impliqués dans les processus décisionnels au sein des forêts communautaires. Certains Groupes d’usagers des forêts à bail (LFUGs, selon l’acronyme en anglais) ont également fait le choix d’introduire des contraintes de pâturage, bien que ce régime foncier favorise l’élevage en mettant des terres à la disposition des agriculteurs afin de garder le bétail pour la production de lait et de viande, tel de discuté plus en détail ci-dessous.

La REDD+ et l’intensification de l’élevage au Népal

Lors d’une enquête menée en 2014, 324 fermiers ont été interrogés au Népal. Ils ont laissé entendre que les activités menées dans le cadre de la REDD ont réduit le pâturage et l’utilisation des forêts à des fins de production animale et ont provoqué l’intensification des systèmes d’élevage. L’étude a révélé que les agriculteurs ayant des systèmes de production animale intensifs ont de plus hauts revenus, ce qui suggère que la stratégie consistant à restreindre l’accès au pâturage et à encourager l’intensification a eu un effet disproportionné sur les foyers les plus pauvres. Bien qu’elle échoue à fournir des données désagrégées en matière de genre sur la participation des femmes et des hommes au sein des différents systèmes d’élevage, cette enquête a démontré que les femmes ont, de manière générale, une plus grande part de responsabilités dans l’élevage de bétail. Cela confirmerait que les femmes les plus pauvres sont les personnes qui ont le moins bénéficié des politiques de la REDD en matière d’élevage.

La plus récente stratégie REDD+ du Népal semble suivre la même approche, établie par le précédent travail de l’ONU-REDD : elle vise à soutenir et inciter les petits agriculteurs à produire des cultures pour nourrir leur bétail au sein de systèmes de stabulation plus intensifs, ainsi qu’à promouvoir la gestion du fourrage dans les communautés et les zones forestières privées en limitant l’accès à la collecte de fourrage et au pâturage. La stratégie comprend des interventions telles que la promotion de la gestion polyvalente de fourrage, l’alimentation en étables, et la mise en échelle des systèmes de réserve de fourrage comme l’ensilage et le foin pour les mois d’hiver.

Ceci est conforme à la Loi forestière qui aspire limiter le pâturage et la collecte de fourrage dans les forêts, et les politiques gouvernementales qui priorisent l’intensification et la mécanisation de la production animale. Selon le Département du développement de l’élevage, l’intensification de la production animale est actuellement considérablement subventionnée par les fonds publics. Par exemple, le Projet de modernisation de l’agriculture du Premier ministre subventionne l’achat de tracteurs et d’autre matériels agricoles ainsi que des outils, des semences et des engrais. Les bénéficiaires de ce financement sont généralement de grandes exploitations appartenant à des élites locales ayant des liens avec des représentants gouvernementaux.

La REDD+ au Népal a également été critiquée pour ne pas promouvoir efficacement la participation de groupes défavorisés, affectant ainsi particulièrement les femmes en raison de leur accès limité à l’espace public et à la possibilité d’exprimer leurs inquiétudes. Les femmes, les populations pauvres tributaires des forêts et les Peuples Autochtones ont d’ailleurs été sous représentés lors des forums multipartites mis en place par le gouvernement pour la gouvernance du processus de la REDD+.

Le programme de foresterie et d’élevage à bail

Contrairement aux activités de la REDD et de la REDD+ soutenues par l’ONU, le Programme de foresterie et d’élevage à bail au Népal a encouragé les petits éleveurs au sein de zones forestières à bail comme stratégie pour, à la fois, restaurer les forêts dégradées et améliorer la vie et les moyens de subsistance de certains des foyers les plus pauvres. Le Programme, financé par le Fonds international pour le développement agricole (FIDA) des Nations-Unies, a démarré en 2004 avec l’objectif de réduire la pauvreté dans 44 300 foyers à qui ont été allouées des parcelles forestières avec des baux de longue durée au sein de 22 districts de moyenne montagne. Son intention était de permettre aux foyers d’accroître leur production de produits forestiers et de bétail en donnant à de petits groupes de ménages organisés en groupes d’utilisateurs forestiers à bail (LFUG) un accès direct aux forêts et le droit de les utiliser. Puisque leurs moyens de subsistance dépendaient des forêts, les communautés rurales seraient donc incitées à entretenir et à restaurer les forêts qui leur étaient attribuées.

Selon le rapport final de ce programme, qui s’est conclu en 2014, les 21 000 hectares inclus dans le projet ont connu une augmentation des arbres et de la couverture végétale, une amélioration de la disponibilité du fourrage, ainsi qu’ une augmentation des revenus des foyers et de la sécurité alimentaire. Le Programme a également eu des effets positifs importants sur les plans social, économique et environnemental, tout comme des impacts personnels sur les femmes. De fait, les femmes ont dû consacrer moins de temps à la collecte de fourrage et de bois de chauffage, économisant ainsi deux ou trois heures par jour qui ont pu être investies dans d’autres activités génératrices de revenus. Leur contribution accrue aux revenus des ménages leur a permis d’être plus écoutées dans les décisions en matière de dépense, tout en renforçant leur participation et leur pouvoir décisionnel dans la communauté. En outre, la hausse de la solidarité et la force de groupe consolidée par les efforts de renforcement des capacités du projet a permis aux femmes d’être plus confiantes pour exprimer leurs préoccupations et lutter pour leurs droits dans leurs communautés.

On a également observé que la performance des groupes forestiers composés uniquement de femmes était meilleure que celle des groupes masculins ou mixtes : effectivement, on y observait une plus grande participation aux réunions, plus d’économies et d’investissements et leurs forêts étaient maintenues dans de meilleures conditions. Même au sein des groupes masculins ou mixtes, les membres féminins des ménages effectuaient les travaux forestiers, ce qui met en évidence la répartition inégale de la charge de travail.

Toutefois, bien que l’accès aux ressources et aux processus de prise de décision se soit amélioré pour les femmes, les hommes restent largement privilégiés dans ces domaines, y compris en ce qui concerne la répartition des profits de l’élevage de bétail, qui sont principalement générés par les femmes. Dans de nombreux cas, même les prêts contractés au nom de femmes sont gérés par leurs maris. Dans ce même ordre d’idées, bien que les femmes aient gagné du temps dans la collecte de produits forestiers et augmenté leurs revenus, elles subissent, de manière générale, un alourdissement de leur charge de travail car elles gèrent des forêts à bail en plus de leurs responsabilités habituelles.

L’élevage de bétail dans la municipalité rurale de Raksirang

Afin d’évaluer les contributions relatives et les impacts différenciés en matière de genre de ces deux approches différentes de l’élevage de bétail et de la conservation forestière au Népal, l’équipe de recherche de NAFAN s’est rendue dans la municipalité rurale de Raksirang, dans le district de Makawanpur, en octobre 2021. Raksirang faisait partie du Programme de foresterie et d’élevage à bail et ses forêts nationales sont également couvertes par la stratégie REDD+ de 2018.

Il existe 162 LFUGs à Raksirang, représentant une population de 7300 personnes, qui gèrent 830 hectares de forêts. Six entretiens avec des intervenants clés ont été effectués (trois avec des hommes et trois autres avec des femmes) et 16 personnes ont participé à deux groupes de discussion (parmi lesquelles neuf femmes et trois jeunes). Toutes les personnes interrogées et les participants étaient Autochtones. Les intervenants clés étaient le chef de l’Association des Chepangs du Népal, le leader d’un LFUG, le chef de la municipalité rurale de Raksirang, le secrétaire du ministère de l’Agriculture, le dirigeant de la coopérative d’agriculteurs de Devitar et un représentant d’un élevage privé nouvellement créé. Les participants des groupes de discussion comprenaient des membres de LFUGs, des éleveurs de bétail, des forces, des faiblesses et des opportunités de foresterie à bail pour l’élevage.

L’importance de la collecte de fourrage pour les moyens de subsistance

Les entretiens ont mis en lumière le fait que, de manière globale, les LFUGs ignorent les différentes politiques forestières et d’élevage ainsi que les programmes qui couvrent la région, malgré les conséquences que ceux-ci ont sur leurs vies. En outre, le programme de foresterie à bail n’a pas été mis en œuvre avec succès. Une femme membre d’un LFUG a déclaré que « Nous possédons plus de 162 LFUGs dans notre municipalité, mais la plupart de ces groupes sont dysfonctionnels depuis les cinq dernières années. Nous ne sommes pas éduqués, sans soutien externe nous ne pouvons pas redonner de souffle à nos groupes ». Elle affirme que les LFUGs ne reçoivent pas le soutien nécessaire du Bureau forestier divisionnaire et d’autres agences.

La présidente du LFUG Dharapani a déclaré : « Nous sommes dans la région vallonnée. Cette zone fait l’objet d’un programme de développement de foresterie à bail mis en œuvre par le gouvernement, mais 99% des personnes de cette zone ne sont pas au courant de ces politiques et lois forestières. Elles font la collecte de feu de bois, de fourrage, de feuilles, de PFNL (produits forestiers non ligneux) de la forêt pour leur utilisation quotidienne. Dans une telle situation, comment peuvent-elles protéger la forêt ? » Elle a expliqué que les villageois sont des agriculteurs qui élèvent des buffles, des chèvres et des moutons pour leur subsistance, et si la collecte de fourrage est restreinte au sein des forêts à bail, ils n’auront aucun moyen de nourrir leurs animaux.

Les conflits avec les droits coutumiers des Peuples Autochtones

Les Peuples Autochtones Chepang et Tamang constituent la majorité de la population de Raksirang. Ils dépendent des activités agricoles pour leurs moyens d’existence, et gèrent des zones forestières nationales depuis des siècles. Traditionnellement, ils pratiquent la culture itinérante au sein des régions forestières, mais depuis l’adoption de la Loi sur les forêts en 1993, le gouvernement a interdit ce type de culture et a converti les systèmes de gestion forestière à Raksirang en foresterie à bail. 

Le chef de l’Association des Chepangs du Népal défend qu’en agissant de la sorte, le gouvernement a affaibli les droits et les pratiques coutumiers des Chepangs, les forêts étant désormais contrôlées en fin de compte par le personnel du Bureau forestier divisionnaire au niveau communautaire plutôt que par les groupes autochtones. Il est estimé que plus de 60% des familles de Raksirang ont perdu leurs droits fonciers en raison du programme de foresterie à bail. Au cours des 10 dernières années, l’Association des Chepangs du Népal a plaidé pour la levée de l’interdiction de la culture itinérante, mais le projet de politique qu’elle avait élaboré et partagé avec les autres parties prenantes n’a pas été soutenu par le gouvernement.

Lors d’une discussion collective, le Président du LFUG Kalidevi a déclaré qu’au cours des six ou sept dernières années, aucune activité n’a été réalisée au sein des zones de foresterie à bail en raison du conflit entre la communauté Chepang et le gouvernement népalais. De fait, les Chepangs revendiquent le territoire selon leur système coutumier, mais le gouvernement a transformé ces terres autochtones en forêts nationales. Cela a directement touché les moyens de subsistance des femmes et filles autochtones puisqu’elles sont chargées de nourrir et veiller sur leurs familles, de cultiver les terres, d’élever le bétail, de vendre la production et d’effectuer des travaux communautaires tels que la participation aux réunions, l’implication dans les activités de conservation forestière et la célébration de festivals.

Généralement, les membres masculins des foyers travaillent à l’extérieur de leurs villages, dans les villes proches, et sont moins impliqués dans les activités agricoles et forestières de subsistance. L’interdiction des pratiques agricoles traditionnelles et l’insécurité de leur régime foncier augmente considérablement le fardeau porté par les femmes autochtones.

Une femme du LFUG Kalidevi a affirmé : « Mon mari est un ouvrier qui travaille à Damauli. Il gagne 600 roupies népalaises (4.40 euros) par jour. Il revient à la maison tous les mois. Il amène du riz, du sel, de l’huile et des lentilles pour nous. S’il ne gagne pas d’argent, nous n’avons aucune autre option. Nous ne possédons pas de terres familiales, notre khoriya (territoire coutumier) a été converti en forêt nationale. Nous n’avons plus accès à la forêt ni droit d’y cultiver. »

Le manque du soutien gouvernemental aux agriculteurs autochtones

Malgré l’important soutien disponible pour l’élevage et l’intensification agricole en général, les agriculteurs autochtones de Raksirang ne peuvent pas y accéder. Cette aide est plutôt versée aux nouvelles sociétés privées ayant des liens avec les gouvernements au niveau fédéral, provincial et local. Ces dernières produisent sur une échelle plus vaste et de façon intensive. Il n’existe aucune information publique disponible sur la manière dont les fonds publics sont dépensés pour l’élevage, mais selon un membre de la coopérative des agriculteurs de Devitar, « les femmes au sein de l’organisation n’ont pas été informées des subventions (pour l’industrie de l’élevage), et ne sont également pas au courant des nouveaux processus d’enregistrement des entreprises (qui est nécessaire pour obtenir un soutien gouvernemental) ». Une femme paysanne du village Devitar, au Raksirang, décrit également comment il est impossible d’obtenir des informations de la part du gouvernement local et donc très difficile pour les fermiers pauvres d’obtenir un financement public.

Conclusion 

Les politiques et les pratiques conflictuelles autour de l’élevage et de la foresterie ont des impacts considérables au Népal. D’une part, la stratégie REDD+ et d’autres politiques au niveau national visent à minimiser la pression sur les forêts liée au pâturage à ciel ouvert et à la collecte de fourrage, tout en encourageant l’intensification, notamment via la culture de fourrage et l’alimentation des animaux en intérieur. D’autre part, le Programme de foresterie à bail a cédé de petites superficies de forêts aux ménages les plus pauvres afin qu’ils puissent développer des activités forestières génératrices de revenus telles que l’élevage, et en même temps restaurer les forêts dégradées. Une approche nuit clairement aux femmes rurales, tandis que l’autre a le potentiel de leur être très bénéfique.

Cependant, le fait que les droits fonciers coutumiers n’ont toujours pas été garantis pour les Peuples Autochtones du Népal dans des endroits tels que la municipalité rurale de Raksirang compromet l’approche de la foresterie à bail et d’autres pratiques de gestion. Les femmes Chepangs en particulier ont perdu l’accès et le contrôle des ressources forestières et se sont vues interdire de mener à bien leurs pratiques agricoles coutumières. Pour cette raison, elles n’ont pas pu bénéficier du Programme de foresterie à bail et sont plus susceptibles d’être affectées négativement par de nouvelles restrictions sur l’élevage liées à la REDD+.

La stratégie REDD+ du Népal identifie la mauvaise coordination entre les parties prenantes, l’absence de politique efficace d’utilisation des terres et l’insécurité de la tenure forestière comme les principales causes sous-jacentes du surpâturage. Cependant, ces mêmes causes sous-jacentes sont également des obstacles structurels à la réalisation de la justice de genre au Népal, comme on l’a observé à Raksirang. Les projets REDD+ doivent maintenant tenir leur engagement d’assurer la « représentation adéquate des femmes, des pauvres, des Peuples Autochtones et des groupes socialement marginalisés dans les principaux organes et processus décisionnels forestiers et reconnaître les pratiques traditionnelles et coutumières de la gestion forestière », pour revitaliser les connaissances et les pratiques de gestion forestière qui ont protégé et conservé les forêts pendant des générations.

 

1 La Réduction des émissions dues à la déforestation et à la dégradation des forêts et l’amélioration des stocks de carbone forestier, un programme des Nations Unies.
2 MOALD. (2021). Statistical information on Nepalese Agriculture. Katmandou : ministère de l’Agriculture et du Développement de l’élevage (MOALD).
3 La foresterie communautaire est un système de gestion participative des forêts au Népal où plus de 2,2 millions d’hectares de forêts sont contrôlés par plus de 22 000 groupes d’usagers des forêts communautaires (GUFC).
4 Les forêts à bail sont des aires forestières nationales dégradées qui ont été cédées à des ménages pauvres et marginalisés pendant une période allant jusqu’à 40 ans pour soutenir leurs activités génératrices de revenus. Jusqu’à présent, 41 730 hectares de terres forestières dégradées appartenant à l’État ont été loués à des groupes d’utilisateurs forestiers à bail (LFUG), qui sont composés de cinq à 15 des ménages parmi les plus pauvres et les plus vulnérables.

Le « régime alimentaire genré » de la Géorgie : comment l’agriculture intensive détruit les moyens de subsistance ruraux et accroît les inégalités de genre

par Olga Podosenova, Gamarjoba, Georgia

mall-scale livestock production in Georgia. Gamarjoba

La Géorgie est connue pour être la « patrie du shashlyk » (ou shish kebab). Ce petit pays d’Europe de l’Est jouit donc d’une réputation de gros consommateur de viande. Toutefois, les faits indiquent le contraire : selon l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), la consommation moyenne de viande par habitant y est de 26kg par an, soit un quart de celle des Etats-Unis. Ces données classent la Géorgie aux côtés des nations africaines les plus pauvres.

 

Les Géorgiennes consomment encore moins de viande. En 2019, une enquête menée par un groupe de jeunes féministes nommé StrongGogo affirme que plus de 80% des femmes mangent moins de viande que leurs partenaires. Cette différenciation en matière de régime alimentaire est enracinée dans une tradition caucasienne vielle de plusieurs siècles : les soldats étaient censés protéger leurs communautés et recevaient de ce fait les plus précieuses ressources alimentaires. Bien que la vie dans les grottes soit de l’histoire ancienne en Géorgie, le préjugé sexiste selon lequel « la viande va aux plus forts » perdure, et ce malgré le fait que tout le monde devrait bénéficier d’un accès égal à la nourriture, sans distinction de genre.

Les inégalités de genre sont omniprésentes au sein des communautés rurales de Géorgie, où les femmes assument davantage de responsabilités dans l’élevage du bétail et passent plus de temps à la collecte de fourrage ainsi qu’à l’alimentation et la traite des animaux. En plus de travailler plus intensément au sein des fermes familiales, les femmes rurales sont également responsables de la cuisine, qui est généralement réalisée sur un feu ouvert, ce qui les expose constamment à une fumée nocive pour leur santé. La collecte de feu pour l’hiver est une autre tâche assumée par les femmes, ce qui alourdit leur charge de travail déjà inégale et limite leurs opportunités.

Actuellement en Géorgie, l’élevage de bétail est principalement pratiqué par de petites exploitations privées dont la production est organique et de grande qualité. Cependant, le pays est toujours confronté à des problèmes de sécurité alimentaire, puisque la viande produite par les fermiers géorgiens est principalement exportée en Azerbaïdjan, en Iran et en Turquie. La plupart des habitants du pays, quant à eux, mangent de la viande congelée importée de pays comme le Brésil. Selon Geostat, la viande brésilienne représente 82.5% des importations de porc, 26.7% des importations de bœuf et 20.9% des importations de volaille. Des négociations sont en cours afin d’augmenter les importations de produits carnés congelés en provenance d’Uruguay, et, parallèlement, pour exporter une plus grande quantité de viande vers la Turquie. Même les sources représentant l’industrie de la viande accusent les exportations de viande de la Géorgie, qui sont majoritairement des exportations d’animaux vivants à des prix élevés, d’être responsables des pénuries de viande et de la hausse des prix locaux en Géorgie.

 

Afin d’encourager la croissance économique, le gouvernement de la Géorgie parie sur l’essor de l’agriculture intensive par la création de grandes exploitations et l’utilisation de produits chimiques. Le soutien politique à la production animale intensive ne fera qu’accroître les inégalités de genre et exacerber l’exploitation des zones rurales.

 

Grâce à des projets financés par la Banque mondiale et d’autres banques internationales de développement, le ministère de l’Agriculture s’est fixé pour objectif de doubler la superficie de terres agricoles au cours des 10 prochaines années. Bien que l’agroécologie soit décrite comme une priorité, cela portera préjudice aux zones naturelles et sauvages, notamment aux écosystèmes montagneux vulnérables. Les petits agriculteurs croient également que le modèle de développement agricole intensif proposé ne fera qu’exacerber les inégalités en matière d’accès à une alimentation saine.

Le modèle de développement décrit précédemment est clairement une fausse solution agraire qui n’a rien à voir avec la justice et qui ne représente pas la meilleure option pour le bien-être économique ou la santé des citoyens géorgiens. La croissance de la production et l’augmentation des profits reposera sur l’exploitation de la main-d’œuvre locale, tandis que les troupeaux de moutons, qui sont le principal produit d’exportation de bétail de la Géorgie, piétineront des prairies montagneuses uniques, causant ainsi la déforestation. Parallèlement, les agriculteurs ruraux restent dans une situation économique précaire et sont les otages des fluctuations des marchés internationaux de la viande.

D’un autre côté, plusieurs fermes agroécologiques ont déjà été créées dans le Sud Caucase. Ces fermes, à l’instar de l’Ecovillage Georgia, sont généralement gérées par des femmes et ont le potentiel de montrer la voie vers une production alimentaire réellement durable et équitable. Des ONG géorgiennes, dont Gamarjoba, StrongGogo et les Greens of Georgia, font la promotion de projets qui démontrent l’existence de solutions d’agriculture biologique respectueuses de l’environnement, en utilisant des technologies renouvelables et en créant des coopératives agricoles et énergétiques. Tous ces éléments contribuent à la réalisation de la justice de genre et à l’amélioration de la qualité de vie des femmes rurales. Par exemple, les coopératives énergétiques soutenues pas des ONG locales permettent aux femmes rurales d’installer des chauffe-eaux solaires, ce qui réduit considérablement la demande de poêles à bois traditionnels. En outre, cela diminue les effets néfastes sur leur santé, tout en allégeant leur emploi du temps et en empêchant l’abattage des arbres. L’installation de fours solaires pour la cuisson engendre un impact similaire.

En Géorgie, il y a un dicton qui dit : « une femme géorgienne peut nourrir sa famille en dressant une table d’herbes cueillies dans son jardin ». Les connaissances traditionnelles des femmes géorgiennes et leur approche sensible à la nature ouvrent donc la voie à un accès équitable aux ressources, à la souveraineté alimentaire locale, à une production de bétail sensible au climat et à la conservation des écosystèmes montagneux uniques du pays.


A la recherche de tekoporá : réflexions sur le genre dans l’élevage industriel au Paraguay

par Miguel Lovera, Iniciativa Amotocodie, Paraguay

Perla Álvarez. Inés Franceschelli

La production animale non durable au Paraguay occupe une grande partie du territoire national et la majorité de ses terres les plus fertiles. On estime que 94% des terres cultivées du pays sont utilisées pour les cultures d’exportation, tandis que seulement 6% sont utilisées pour des cultures destinées à répondre à la demande intérieure, telles que la nourriture et les matières premières pour l’artisanat et les industries locales. Ce modèle économique est désastreux pour l’environnement et les personnes, en particulier pour les femmes. De fait, elles ont moins accès aux biens et aux services essentiels et reçoivent un salaire considérablement inférieur à celui de leurs homologues masculins pour le même travail.

Au niveau environnemental et socio-économique, la déforestation est, sans aucun doute, l’activité la plus dévastatrice au Paraguay. Les écosystèmes forestiers ont été en grande partie détruits pour faire place à des exploitations extensives qui pratiquent l’agriculture et à l’élevage bovin. Celles-ci intensifient progressivement leur production, avec l’explosion d’un modèle d’agro-industrie mécanisée et contrôlée par de grandes corporations agricoles. La forêt atlantique du Haut Paraná au Paraguay, une formation subtropicale humide d’une grande biodiversité, a été partiellement éliminée, tout comme d’autres types de forêts dans la partie orientale du pays. La région du Chaco, comprenant l’ouest du Paraguay, affiche actuellement l’un des taux de déforestation les plus rapides au monde. Selon le suivi de Güyra Paraguay, le Gran Chaco (au Paraguay, en Argentine et en Bolivie) a enregistré, entre janvier et octobre 2017, une perte forestière moyenne d’environ 1 000 ha/jour, dont plus de 60 % au Paraguay.

Les principales causes de la destruction des écosystèmes dans le Chaco, notamment à travers la déforestation et la fragmentation des forêts, sont l’élevage de bétail, la construction de routes et la recherche d’hydrocarbures. Ce processus de destruction s’est fortement accéléré en 2007 lors de l’ouverture aux marchés internationaux de la viande bovine, s’étendant alors du Chaco central au nord de la région.

L’impact de la déforestation est particulièrement grave pour les femmes, qui sont généralement chargées de subvenir aux besoins des ménages et d’assurer que la nutrition, les conditions de santé et l’approvisionnement en eau soient appropriés. Pour les communautés autochtones, la rareté des ressources forestières représente un obstacle majeur au développement pour les femmes et les tâches qu’elles accomplissent traditionnellement, comme l’entretien des chacras (les petites fermes) ou l’utilisation des ressources forestières à des fins médicinales.

Les politiques et les programmes qui tâchent de remédier à l’expansion de ce modèle économique accordent peu d’attention aux besoins des femmes, ce qui aggrave la discrimination et la marginalisation dont elles sont déjà victimes dans la société paraguayenne.

La méthodologie

Cet article analyse, dans une perspective de genre, les efforts déployés par divers acteurs pour résoudre le problème de l’agriculture et de l’élevage bovin au Paraguay. Il décrit également la vision, les stratégies et les solutions proposées par des paysannes et des femmes autochtones afin de faire face aux impacts différenciés de ces efforts.

Le processus de recherche a consisté à examiner des sources secondaires et à interroger 14 femmes dirigeantes de différents milieux ethniques et socio-économiques. Ces entretiens se sont déroulés avec la discrétion nécessaire pour garantir la liberté d’expression des interlocutrices, dans le contexte d’une société qui ne tolère toujours pas ou n’interprète pas toujours correctement les revendications d’égalité des femmes, essentielles à la pleine jouissance de leurs droits humains.

La production animale non durable

Le Paraguay présente la répartition des terres la plus inégale de la planète. L’élevage de bétail et la monoculture de soja sont actuellement les plus grands secteurs de production, et le Paraguay compte près de 14 millions de têtes de bétail, soit deux animaux par habitant. Quelques 2,5 millions de bovins sont abattus chaque année et les exportations de bœuf s’élèvent à environ 380 000 tonnes, soit environ le double de la quantité vendue sur le marché intérieur. Le secteur de l’élevage utilise approximativement 26,2 millions d’hectares de terres, dont 5,6 millions d’hectares de pâturages cultivés, 10,6 millions d’hectares de pâturages naturels et 10 millions d’hectares de forêts autochtones. Parallèlement, 90% des éleveurs de bovins ont des troupeaux de moins de 100 têtes de bétail, tandis que les 10% restants possèdent 82% du cheptel national. Cette concentration augmente quand on observe que 2 % des éleveurs possédant des troupeaux de plus de 1000 têtes sont propriétaires de 54% du cheptel.

Les conséquences de ce modèle sont à la fois environnementales et sociales. De tous les pays d’Amérique du Sud, le Paraguay est le plus vulnérable au changement climatique et il fait partie des pays de la région confrontés aux risques les plus extrêmes en raison de la crise climatique. Il a également présenté certains des taux de pauvreté et d’inégalité les plus élevés du continent, avec un indice de développement humain inférieur à la moyenne.

Les inégalités s’étendent également au domaine du genre, avec des lacunes importantes relevées par les institutions multilatérales telles que le Forum économique mondial, notamment les désavantages économiques et la violence sexiste, une situation qui s’est aggravée pendant la pandémie.

L’écart entre les genres concernant l’accès à la terre est considérable ; seulement 15% des terres sont contrôlées par des femmes. En plus de cela, les femmes rurales, paysannes et autochtones sont confrontées à différentes formes de violence déployées par l’agro-industrie, par des sociétés immobilières et même par le crime organisé, avec le soutien de l’État et l’implication de forces militaires et paramilitaires.

Les activités d’élevage sont menées sur la base de cette structure foncière et de distribution. Les femmes participent clairement moins et sont subordonnées dans leurs relations avec les hommes. Elles sont discriminées en raison de leur genre et de leur statut socio-économique. Cependant, elles sont les principales responsables de la production alimentaire et de l’entretien du ménage, de l’éducation des enfants ainsi que des soins des personnes âgées et en situation de handicap. Ces contributions, qui sont négligées par les comptabilités officielles, représentent une grande partie de l’économie des ménages, surtout en milieu rural.

Les femmes sont profondément affectées par le modèle d’élevage extensif. Les grandes exploitations d’élevage du Chaco reposent sur le travail des hommes autochtones, qui doivent se déplacer vers les ranchs, parfois à des centaines de kilomètres de leurs communautés, ce qui perturbe la vie communautaire et familiale. En raison de l’absence des hommes, de nombreuses femmes autochtones doivent assumer la responsabilité d’obtenir de la nourriture, qu’elle soit achetée ou chassée et cueillie localement, ce qui les empêche de participer aux processus éducatifs traditionnels et aux activités culturelles autochtones nécessaires au maintien de leur mode de vie.

Les mesures visant à lutter contre la déforestation au Paraguay

Au Paraguay, plusieurs actions et politiques ont été conçues pour lutter contre les impacts de la production animale non durable, toujours en lien avec les engagements internationaux du pays et avec l’influence de la coopération internationale. Cependant, les mesures adoptées ne tiennent pas réellement compte du genre et reposent principalement sur l’application de pratiques extractives qui renforcent le modèle agro-industriel.

C’est le cas de l’élevage réalisé sur des parcelles « agroforestières » qui mélangent la plantation de pâturages exotiques avec des arbres exotiques, principalement des eucalyptus, sur des terres paysannes. Cette stratégie augmente en effet la surface occupée par l’agro-industrie et diminue les possibilités d’accès aux terres pour les femmes.

L’intégration de parcelles paysannes dans ce type de processus entraîne l’annexion des terres paysannes par l’agro-industrie, car cette dernière est le récipiendaire potentiel de la majeure partie des futures récoltes de bois (utilisées pour le séchage des céréales). Ainsi, il est difficile pour les paysans de s’opposer à l’expansion de ces opérations de plantation d’arbres, puisqu’ils sont directement impliqués dans l’entreprise, apportant leurs terres et leur travail pour fournir une matière première qui est indispensable à l’agro-industrie.

Plusieurs politiques et réglementations sont à l’origine de l’augmentation des plantations forestières au Paraguay, comme PROEZA (Pauvreté, reboisement, énergie et changement climatique), un programme visant à introduire la production d’eucalyptus dans les exploitations paysannes et les territoires autochtones. Il est financé par le Fonds vert pour le climat (FVC) et reçoit également le soutien de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture. Sa documentation mentionne la « vulnérabilité en matière de genre », mais le projet promeut le modèle patriarcal dominant, ce qui signifie que les impacts différenciés selon le genre sont aggravés.

Parmi les politiques nationales, on retrouve la loi 536 sur la promotion du boisement et du reboisement, qui rembourse jusqu’à 75 % du coût de la mise en œuvre des plantations forestières, ainsi que la loi 3.001/06 sur l’évaluation et la rémunération des services environnementaux, qui ajoute la foresterie aux activités éligibles à une indemnisation. Le pays connaît également un haut niveau de déréglementation et de « liberté » entrepreneuriale qui favorise le secteur privé. En novembre, l’Association rurale du Paraguay (ARP, de son acronyme espagnol) a organisé un séminaire faisant l’éloge de la politique de « non-réglementation » du gouvernement.

Un exemple de mesures d’atténuation existantes est la « Plataforma Nacional de Commodities Sustentables » (« Plateforme nationale de matières premières durables »). Le fait que le nom d’origine en espagnol utilise le terme anglais « commodities » démontre le parti pris occidental des entreprises, à travers le jargon utilisé par les acteurs du modèle agro-industriel dans le cadre de la coopération internationale. Les activités organisées dans ce cadre incluent notamment des réunions conçues pour initier les femmes à la production de soja et de viande. Cependant, la production agricole du pays repose sur des monocultures à grande échelle et de grands domaines fonciers ou latifundios, le modèle patriarcal d’utilisation des terres

Selon les participants aux événements organisés par la Plataforma Nacional de Commodities Sustentables, l’objectif principal est de promouvoir l’expansion de la production animale agro-industrielle, alors que la composante de durabilité est minime même si le processus est présenté comme l’alternative durable au modèle dominant. Les références à la « durabilité » ne s’accompagnent pas d’une tentative d’aborder le problème des impacts de la déforestation, ou du modèle de développement proposé sur l’eau, les sols ou la biodiversité.

Selon ce discours, le soja ne contribuerait pas à la déforestation dans le Chaco. La biodiversité serait supposément en ascension dans le Chaco central et environ 500 000 ha pourraient être semés sans abattre un seul arbre. Cette logique rationalise l’exploitation croissante du Chaco par la même approche productive, socio-économique et aveugle en matière de genre qui a fait du Paraguay l’un des pays les plus pauvres du continent.

Le Paraguay a présenté l’actualisation de sa contribution déterminée au niveau national (CDN) pour réduire les émissions dans le cadre de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) en avril 2021. Bien qu’elle dépende à plus de 90 % de la réduction de la déforestation, elle n’incluait pas de mesures de récupération des terres et des territoires qui ont été usurpés, ni aucune mesure de récupération de la gestion territoriale par les communautés autochtones et paysannes, ni aucune sanction face à la déforestation. La contribution ne propose même pas de maîtriser la production agricole et animale, qui dépend entièrement de la déforestation pour son expansion. Cette actualisation a été conçue pour rendre le pays “plus compétitif” économiquement, et décrit des bonnes intentions et des objectifs généraux qui ne correspondent pas à la réalité de politique nationale qui encourage la déforestation et l’avancée de l’agro-industrie avec de graves conséquences.

De véritables propositions faites par les plus concernés par le modèle agro-industriel

Les communautés autochtones et paysannes ont développé des stratégies de résistance et de lutte pour faire face à la priorité accordée par l’État aux intérêts privés par rapport au bien commun, et aux injustices de genre qui en résultent. 

Les femmes Ayoreo et leur combat pour la biodiversité

Le peuple Ayoreo au Paraguay occupe aujourd’hui seulement 2% de son territoire d’origine d’environ 110 000 km2, ce qui a provoqué une transformation majeure de ses pratiques de subsistance et ses pratiques culturelles. Les zones situées autour des communautés Ayoreo ont été fortement transformées et converties en pâturages pour le bétail. Elles ne contiennent plus d’habitats pour la flore et la faune locales et leur capacité de production primaire a été considérablement réduite.

Les relations des femmes avec l’environnement, et en particulier avec les forêts, sont très importantes. Pour les Ayoreo, la forêt est le monde : il s’agit de leur habitat et de leur cosmos. Sa destruction porte un coup important à la culture et à la cosmovision du peuple, et en particulier des femmes, dont la capacité d’adaptation ou de récupération de la terre est limitée car elle a été usurpée par des secteurs puissants qui refusent de l’abandonner.

Les femmes Ayoreo passent fréquemment du temps à cueillir des caraguatá (Bromelia sp.) pour le tissage des textiles traditionnels. Cette espèce a été réduite en raison de la déforestation et les plantes qui restent sont situées loin des communautés autochtones, ce qui signifie que les femmes doivent consacrer plus de temps et de ressources à voyager pour s’en procurer.

Les femmes dirigeantes ont travaillé à la régénération du caraguatá à travers l’enrichissement des plantations dans les zones forestières, un processus qui a donné de bons résultats du point de vue de la restauration et des ressources forestières. Ces initiatives contribuent à fournir des matières premières aux communautés, mais ne résolvent pas le grave problème de manque de terres auquel sont confrontés les Ayoreo.

Les voix paysannes

Perla Álvarez

est une figure éminente du mouvement paysan au Paraguay. Militante féministe et écologiste, elle explique sa vision stratégique pour la paysannerie basée autour de l’organisation Vía Campesina pour faire face aux menaces de destruction de l’environnement dues à l’imposition de l’agro-industrie.

« Nous, les femmes, n’utilisons pas le mot conservation : nous parlons d’enracinement, de non-déplacement… Nous parlons même de la nécessité de protéger ce que l’on a, tout en conquérant de nouveaux territoires. Si nous décidons que nous voulons rester à la campagne, nous y maintenir, cela inclut la protection de tous les biens naturels que nous avons : l’eau, les forêts, les semences, la terre où nous produisons [de la nourriture] et où nous vivons. C’est pour cela que nous parlons de nos territoires, et de nos relations aussi, c’est pour cela que nous parlons de nos façons d’être à la campagne. Être en forêt, à la campagne, hors de la ville, implique d’autres manières d’être en relation avec l’être humain et la nature. »

« Lorsque nous parlons de conservation, nous parlons d’enracinement, de rester à la campagne, de retrouver nos racines – cela inclut la biodiversité. Par exemple, on parle du fait que ce n’est pas pareil d’avoir seulement deux variétés de maïs : la plupart des familles aujourd’hui n’en gardent que deux variétés et c’est tout, alors qu’il y a dix ans, la plupart des familles avaient au moins six ou sept variétés. Ça réduit radicalement la qualité de la nutrition, et pas seulement la nutrition humaine, mais aussi la capacité d’élever une diversité d’oiseaux, car il existe des variétés de maïs qui servent à nourrir certains animaux. »

« C’est notre combat, la défense de teko, de tekoha, de tekove. Tekoha est le territoire, le lieu physique, matériel où nous pratiquons notre culture, ou teko. C’est l’endroit où l’on vit, où l’on est, où l’on produit et où les gens se reproduisent. Tekove c’est la vie… ñande rekove ñande rekohape (nous vivons sur notre territoire). Et dans ce tekoha, nous aspirons au tekoporá, qui est le bien-être total, la culture du bien-être, le bien-être compris dans le sens où l’on se sent à l’aise, bien, satisfait ou heureux. C’est tekoporá, la pleine jouissance des droits, du bien-être environnemental, de la santé, [le bien-être] dans ses relations ; quand on va mal, nous manquons de tekoporá. Tekoporá est l’aspiration humaine vers laquelle nous travaillons. Et pour avoir tekoporá, vous avez besoin de tekokatu, qui est la dignité, celle que l’on obtient grâce à un travail digne. »

Conclusion: Privilégier le profit à la justice

Les femmes sont sous-représentées et marginalisées au Paraguay et sont exposées de manière disproportionnée à de nombreuses formes de violence, en particulier dans les zones rurales. Cependant, elles se sont organisées et ont résisté à l’avancée d’un système dont les formes d’expropriation se sont intensifiées pendant la pandémie de COVID-19. Les réseaux de soins qu’elles ont tissés en période de crises socio-économiques, sanitaires et environnementales aiguës sont essentiels, en particulier dans les campagnes, où les hostilités se sont accrues de la part de grands propriétaires terriens et d’entreprises qui cherchent à s’emparer des terres par le recours à la violence.

L’élevage non durable, qui privilégie le profit, ne pourra prendre en compte, encore moins respecter ou remédier aux nombreux cas de violation des droits des femmes et d’abandon qui se produisent dans le pays. Les niveaux de déforestation et de destruction des écosystèmes ont atteint un seuil critique dans presque tous les écosystèmes du pays. Pendant ce temps, les politiques et les processus visant à résoudre ce problème sont subordonnés à des intérêts puissants motivés par le profit et à un gouvernement qui est impliqué dans les processus d’expansion économique.

Ainsi, les politiques créées pour remédier aux écueils du modèle de développement recourent aux mêmes aberrations qui justifient leurs origines. En réalité, elles ne font qu’aggraver la situation d’expropriation des terres et de la production, ignorant les problèmes de la majorité de la société paraguayenne et sans l’approche de genre nécessaire pour assurer la justice.


Les femmes et l’agroécologie en Amérique latine : les voix du terrain1

par Mora Laiño et Lucía Moreno, LATFEM, Argentina

LATFEM

Le système agro-alimentaire actuel se caractérisé par des pratiques de culture intensive qui détruisent les sols et causent une déforestation sans précédent, des monocultures génétiquement modifiées conçues pour résister aux produits agrochimiques qui portent nuisent aux peuples et à l’environnement, une concentration de la richesse entre les mains des entreprises et des inégalités en matière d’accès aux terres.

Il est urgent de développer des méthodes de production alimentaire plus durable en collaboration avec des groupes historiquement marginalisés qui effectuent un travail essentiel, tels que les femmes qui ont joué un rôle central dans la récolte des semences, la préparation des sols, l’élevage des animaux, la création de réseaux communautaires, la récolte et le stockage des cultures ainsi que la vente des aliments. 

Bien qu’elles soient les principales productrices d’aliments, les femmes sont confrontées à de nombreux obstacles pour accéder aux terres, aux ressources financières et de production, à la technologie et à l’éducation, en plus d’endosser le fardeau des travaux domestiques et de soins non rémunérés. En Amérique latine et dans les Caraïbes, les femmes ne gèrent que 18 % des terres agricoles et ne reçoivent que 10 % du crédit et 5 % de l’assistance technique  accordée au secteur.

En réponse à ces inégalités, les femmes autochtones et paysannes s’organisent afin de produire des aliments à l’aide de méthodes agroécologiques. Leur objectif commun est de créer des systèmes agroalimentaires justes sur les plans social, économique et environnemental. Elles cherchent à renouer avec leurs terres, leurs savoirs, leurs semences, et leur histoire par l’action politique de travailler la terre et de produire de la nourriture. 

Zaida Rocabado Arenas et Maritsa Puma Rocabado de  l’Union des travailleurs de la terre and Workers’ Union (UTT de son acronyme espagnol) en Argentine expliquent : « Avec l’agroécologie, nous nous sentons en sécurité et en paix en prenant soin de la nature, de la campagne et de nos familles. »

 « En plus de produire des aliments sains et de prendre soin de l’environnement, elles cherchent à rendre visible les différentes inégalités qui persistent. »

« Nous, les femmes, avons toujours été exclues de la participation sociale. Nos expériences de vie à la campagne nous aident à identifier les formes d’oppression et leur origine », affirme Viviana Catrileo de l’Association nationale de femmes rurales et autochtones (ANAMURI de son acronyme espagnol), au Chili. 

 « Grâce à l’agroécologie, notre travail en tant que femmes paysannes est politisé et valorisé, car il ne s’agit pas d’une recette mais d’un mouvement politique », déclare Alicia Amarilla du Comité national de coordination des femmes rurales et autochtones (CONAMURI de son acronyme espagnol).

Ces voix puissantes s’affirment dans toute la région, démontrant l’importance de l’organisation collective et de la formation politique comme outils de lutte. Le message est sans équivoque : une solution transformatrice doit modifier le système patriarcal dans les zones rurales et impliquer des systèmes de production basés sur une plus grande inclusion et égalité. 

Sofía Sánchez du Mouvement national paysan et indigène d’Argentine (MNCI-UST de son acronyme espagnol)  déclare : « La solution est collective, basée sur la communauté, le travail et le soin de la terre. J’espère qu’un jour nous aurons entre les mains un marché pour les produits artisanaux et paysans qui construisent une nouvelle économie : [une économie qui est] féministe, paysanne, autochtone et populaire. »

 

1 Une version longue de cet article a été publiée à l’origine sur le site internet de LATFEM.

Une perspective féministe sur les récents efforts pour dissocier l’élevage de bétail de la déforestatio

par Caroline Wimberly, experte de l’élevage, États-Unis, et Simone Lovera, GFC, Paraguay

The UK’s Boris Johnson at COP26. Number 10/Flickr

Avant, pendant et immédiatement après la COP26 à Glasgow, les Nations Unies, les gouvernements et le secteur privé ont annoncé de nombreuses initiatives pour lutter contre la déforestation liée à la production de viande. Cependant, aucune d’entre elles n’a pour objectif la réduction de la production et la consommation de produits d’origine animale, et la plupart traitent la question du genre après coup, voire pas du tout. Dans ce contexte, peuvent-elles contribuer à la justice de genre, ou ne font-elles qu’aggraver les impacts différenciés selon le genre ? 

A l’heure où l’élevage bovin et la production de soja non durables comptent parmi les quatre moteurs principaux de perte des forêts, cette édition de Forest Cover propose plusieurs études de cas qui montrent comment la disparition des forêts et la production animale non durable pèsent spécifiquement sur les femmes et les filles. Mais cela ne veut pas dire pour autant que les politiques et les projets visant à atténuer les impacts de la production non durable de bétail et d’aliments sur les forêts auront automatiquement des effets bénéfiques pour les femmes.

Par exemple, le déplacement de la production de soja génétiquement modifié depuis les aires forestières vers les zones habitées par les communautés paysannes pourrait entraîner une augmentation des taux de cancer du sein, du fait de l’utilisation intensive de produits agrochimiques. Cela pourrait également conduire à une plus grande concentration de la propriété foncière et au dépeuplement des zones rurales, étant donné que les plantations de soja et les élevages bovins requièrent très peu de main d’œuvre. 

Les femmes sont alors les premières à souffrir des conséquences, lorsqu’elles se retrouvent sans écoles, sans accès aux centres de santé et autres services publics dont elles et leurs familles peuvent avoir besoin. En outre, les « solutions » pour faire cesser la déforestation ne tiennent généralement pas compte de la biodiversité, du bien-être animal, de la santé humaine, des émissions de méthane, ou des autres conséquences de la production animale non durable.

Les engagements et les politiques visant à lutter contre la déforestation causée par la production de matières premières agricoles se répartissent généralement en trois grandes catégories : les partenariats public-privé (PPP) entre les agences des Nations Unies, des entreprises et d’autres acteurs qui encouragent la production de matières premières agricoles selon des pratiques qui causent moins de déforestation, les programmes volontaires menés par le secteur privé et les initiatives législatives visant à obliger les entreprises à exercer un « devoir de vigilance » en ce qui concerne les produits importés associés à la déforestation et/ou à des violations des droits humains, comme celles qui ont émergé récemment au Royaume-Uni, aux États-Unis, en France et en Allemagne.

La capacité de ces mesures à prendre en compte les droits, les rôles et les besoins des femmes est d’une importance cruciale, étant donné que leurs moyens de subsistance dépendent grandement des produits forestiers dans les communautés tributaires des forêts. Aussi, les femmes jouent un rôle clé dans la production alimentaire paysanne au niveau mondial.

Les annonces de PPP en matière d’agriculture et de systèmes alimentaires

La COP26 a offert aux multinationales une plateforme pour faire avancer leurs agendas à travers des annonces de PPP qui ne feront qu’accroître la dépendance des agences des Nations Unies et des ministères gouvernementaux par rapport aux intérêts privés, notamment les intérêts des plus grandes entreprises du secteur de la viande et des produits laitiers (« Big Meat » et « Big Dairy », en anglais). La mainmise des entreprises sur l’élaboration des politiques risque fort de saper les efforts visant à tenir les entreprises responsables des violations des droits humains et de la déforestation, les initiatives législatives bien intentionnées étant rapidement vidées de leur substance par le lobbying intensif des entreprises. Voici un résumé des principales annonces récentes de PPP dans le domaine de l’élevage et la mesure dans laquelle ils prennent en compte le genre :

La Mission d’innovation agricole pour le climat (AIM4C), lancée par les États-Unis et les Émirats arabes unis avec le soutien de 35 pays, de très grandes fondations, des entreprises de l’agro-industrie et des ONG, a pour but d’accélérer les investissements dans les innovations agricoles intelligentes sur le plan climatique. L’équité de genre est « cruciale pour la réussite de cette vision », mais il n’y a aucune directive ou protection établie pour garantir que les femmes bénéficient de ces projets de recherche financés à hauteur de plusieurs millions de dollars. 

Ensuite, il y a eu le Dialogue sur les forêts, l’agriculture et le commerce des produits de base (FACT). Des consultations régionales multipartites ont permis d’orienter et de contribuer à l’élaboration de principes communs et d’une feuille de route pour l’action collective de 28 gouvernements sur la déforestation liée à la production de matières premières. Dans une lettre ouverte publiée un mois avant le lancement de la feuille de route, le groupe de travail multipartite élu pour assurer une représentation effective durant les consultations conseillait aux gouvernements d’accroître leurs ambitions, notamment en remédiant à l’absence d’une perspective de genre. 

Une autre initiative volontaire est le Programme d’action politique pour la transition vers une alimentation et une agriculture durables, qui encourage les programmes et les activités de renforcement des capacités des groupes de femmes, de même que leur participation dans les processus de consultation. Toutefois, comme il s’agit d’une des annonces les plus solides, elle ne compte que 17 pays signataires.

On peut également mentionner la Déclaration des dirigeants de Glasgow sur les forêts et l’utilisation des terres, qui compte plus de 100 pays signataires. Ces dirigeants nationaux « s’engagent à travailler collectivement pour faire cesser la perte de forêts et la dégradation des terres et inverser la tendance d’ici 2030… ». Il est à noter que les pays signataires auraient dû stopper la disparition des forêts en 2020 selon les Objectifs de Développement Durables, qui établissaient cette année comme date butoir. Le texte de la déclaration ne fait aucune référence au genre ou aux femmes. 

Les modifications de la production alimentaire qui ne proposent pas de solutions du côté de la demande ne sont pas transformatrices. Toutes ces initiatives reprennent de vagues engagements qui ne sont pas légalement contraignants. En outre, aucune d’elle ne cherche à remettre en question les dynamiques de pouvoir existantes, notamment les inégalités de genre, ou à faire les choses différemment.

Les initiatives du secteur privé lancées pendant la COP26

Parmi les autres initiatives lancées par des acteurs non-étatiques, on trouve l’Engagement sur l’élimination de la déforestation due aux produits agricoles de base, une lettre de 33 institutions financières visant à « éliminer d’ici 2025 les activités impliquant un risque de déforestation liée à la production de matières premières agricoles dans les entreprises de nos portefeuilles d’investissement et dans nos activités de financement ». Tandis que les documents joints mettent en avant les droits humains à de nombreuses reprises, aucune mention n’est faite des inégalités de genre et du rôle de la finance.

Quelques multinationales financières et agro-industrielles ont également promis d’apporter trois milliards de dollars à l’initiative Finance innovante pour l’Amazone, le Cerrado et le Chaco (IFACC), qui soutient « une production de soja et de bovins exempte de déforestation et de conversion de terres en Amérique du Sud », mais avec un objectif clair d’augmentation de la production.

Dans une annonce moins médiatisée, les PDG de 12 multinationales agro-industrielles, tous des hommes, ont signé une Déclaration d’intentions des entreprises. Ces entreprises « partagent leur engagement pour faire cesser la perte des forêts associée à la production et au commerce de matières premières agricoles ». Aucune de ces entreprises n’a évoqué le genre dans ses commentaires autour de la déclaration. Trois de ces entreprises avaient déjà signé la Déclaration de New York sur les Forêts (NYDF) et manqué à leur engagement de mettre fin à la déforestation dans leurs chaînes d’approvisionnement avant 2020.

Les gouvernements, les entreprises et autres acteurs dépendent de plus en plus de ces annonces spectaculaires pour donner l’illusion d’une action climatique ambitieuse, faisant de la COP26 la COP la plus dominée par le secteur privé à la date d’aujourd’hui. Ces engagements sont volontaires, ne contiennent aucun mécanisme de redevabilité et sont basés sur l’hypothèse que ces secteurs doivent être soutenus et développés. Personne ne remet en question le modèle de production dont ils dépendent, et encore moins leur insistance à produire ces matières premières spécifiques. Devrait-on alors être surpris du fait qu’aucun d’entre eux n’adopte une approche transformatrice en matière de justice de genre ?

La proposition de l’UE pour réglementer les produits exempts de déforestation

Un autre développement important en ce qui concerne les forêts, qui a eu lieu en novembre 2021, a été la publication du projet de réglementation de l’UE portant sur « certaines matières premières agricoles et produits associés à la déforestation et la dégradation des forêts », appelé FERC. Il s’agit de l’initiative la plus importante visant à réduire les impacts des modèles de consommation existants sur les forêts du monde. Elle propose que l’UE interdise l’importation de bœuf et de soja produits illégalement et/ou associés à des défrichements de forêts réalisés après le 31 décembre 2020, date à laquelle les pays auraient dû avoir stoppé la déforestation selon les Objectifs de Développement Durables. Les producteurs et les commerçants doivent prouver que les produits qu’ils importent sont exempts de déforestation. Si ces acteurs ou les autorités reçoivent l’expression d’une « préoccupation avérée » de la part d’ONG ou d’autres acteurs, montrant que les produits qu’ils importent sont associés à des actions de déforestation, ils sont dans l’obligation de réaliser une enquête.

Bien qu’il existe un risque que la réglementation soit significativement édulcorée avant son adoption, la majorité des ONG européennes de conservation des forêts se sont montrées favorables au fait que la réglementation proposée inclut une interdiction claire et un devoir de vigilance juridiquement contraignant. Cependant, elles ont affiché leur déception face au silence de la législation sur les violations de droits humains, ou sur le rôle du secteur financier dans la déforestation. Elles ont également exprimé leurs inquiétudes sur le fait que la législation proposée ne s’applique pas aux produits carnés transformés et se limite à protéger les forêts, ce qui signifie que la production pourrait se réorienter vers d’autres écosystèmes précieux, tels que les zones humides et les prairies. 

En plus de cela, l’article 28 du projet de réglementation propose que la Commission de l’UE établisse des partenariats et des mécanismes de coopération avec les pays producteurs pour faciliter la transition vers « des méthodes durables de production, de consommation, de transformation et de commerce des matières premières ». Cela pourrait permettre aux producteurs et aux pays producteurs d’avoir une voix importante dans le processus d’élaboration des politiques de l’UE. Il va sans dire que les producteurs ne devraient pas se montrer favorables à une réduction de la production, ce qui signifie que la coopération pourrait en réalité amener à un accroissement de la production de bœuf et de soja sur des terres déjà déforestées, notamment sur des terres paysannes et autochtones.

D’un point de vue féministe, les aspects les plus inquiétants de la réglementation proposée sont son silence total sur les questions de genre, qui est assez décevant au vu de l’agenda formel de l’UE sur l’intégration du genre dans les politiques, et le fait qu’elle pourrait en réalité amener à une production accrue de matières premières agricoles comme le bœuf et le soja en dehors des zones forestières. Cela exacerberait les impacts disproportionnés que cette industrie a sur les femmes.

Conclusion : la seule solution est une réorientation profonde, loin de la production animale agro-industriell

Il est clair que les politiques et les initiatives législatives qui cherchent à traiter les effets de la production non durable de viande, de produits laitiers et de matières premières sur les forêts pourraient entraîner des conséquences involontaires importantes pour les femmes et les autres groupes économiquement et politiquement marginalisés, si celles-ci ne parviennent pas à affronter de manière exhaustive les nombreuses autres implications environnementales, sociales et sanitaires dont ces secteurs sont responsables.

La production de soja et de bœuf n’est pas seulement un des principaux moteurs de la déforestation. Elle entraîne également la concentration de terres et le dépeuplement des campagnes, qui ont des impacts particulièrement négatifs pour les femmes, dont les droits fonciers sont généralement plus faibles et qui tendent à être affectées de façon disproportionnée par l’exode rural. D’autres conséquences, parmi lesquelles l’utilisation de produits agro-chimiques, la pollution de l’eau et les émissions de méthane, qui accélèrent les changements climatiques, sont également genrées.

Seule une réorientation profonde et structurelle, loin de la production animale agro-industrielle, peut apporter une réponse à ces multiples impacts. Sans un tel changement, les principales victimes de ces politiques seront les femmes rurales dont les moyens de subsistance dépendent des forêts et les femmes dont les moyens de subsistance seront détruits par les plantations de soja et les fermes bovines éloignées des forêts et installées sur leurs terres.


Editorial Team: Caroline Wimberly, Jeanette Sequeira, Johanna Molina, Juana Vera-Delgado, Megan Morrissey, Milena Bernal, Oliver Munnion and Simone Lovera
Editors: Oliver Munnion, Megan Morrissey and Caroline Wimberly
Translators: Danae Barrera and Megan Morrissey
Design: Oliver Munnion

This publication has been produced with support from Women Engage for a Common Future (WECF) through the Green Livelihoods Alliance, financed by the Dutch Ministry of Foreign Affairs, Misereor and the Swedish Society for Nature Conservation (SSNC). The contents of this publication are the sole responsibility of the Global Forest Coalition and can in no way be taken to reflect the views of donors.


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22 déc., 2021
Posted in Unsustainable Livestock Production, ressources et publications, Justice de genre et forêts, Forest Cover