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Programme d’investissement forestier : évolutions récentes, contraintes financières et plantations forestières

forest investment program

Coraina de la Plaza
Traduit de l’anglais par Iris Borianne

Opérationnel depuis 2009, le Programme d’investissement forestier (FIP) fait partie des programmes relevant des Fonds d’investissements climatiques (FIC) administrés par la Banque mondiale. Le FIP vise principalement à mobiliser des fonds pour effectuer des investissements directs dans le secteur forestier des pays en développement et aider ces derniers à réaliser leurs objectifs en matière de développement et de projets REDD+. Le FIP agit en collaboration avec d’autres fonds REDD+, comme le Fonds de partenariat de carbone forestier (FPCF), le Fonds pour l’environnement mondial (FEM) et le Programme ONU-REDD.

Le FIP dispose en outre de deux guichets de financement spécifiques. D’une part, le Mécanisme spécial de dons en faveur des peuples autochtones et des communautés locales, qui vise à soutenir la participation de ces populations à l’élaboration des stratégies, programmes et projets d’investissement FIP. D’autre part, la réserve du secteur privé (Private Sector Set-Aside, ou PSSA) qui, par le biais de mesures d’incitation positive, encourage le secteur privé à s’impliquer dans des projets REDD+.

A l’heure actuelle, 23 pays figurent sur la page web du FIP. Parmi eux, 14 ont obtenu la validation de leur plan d’investissement (PI, ou FIP-IP en anglais), devenant ainsi officiellement des pays pilotes : il s’agit du Brésil, du Burkina Faso, de la République du Congo, de la Côte d’Ivoire, de la République Démocratique du Congo, de l’Equateur, du Ghana, du Guatemala, de l’Indonésie, du Mexique, du Mozambique, du Népal, du Pérou et de la République démocratique populaire du Laos.

Les 9 pays restants sont encore dans la phase l’élaboration de leurs PI : le Bangladesh, le Cambodge, le Cameroun, la Guyane, le Honduras, le Rwanda, la Tunisie, l’Ouganda et la Zambie [1].

Il est particulièrement préoccupant qu’après l’Accord de Paris sur le changement climatique, les contributions déterminées au niveau national (INDC) fournies auprès de la CCNUCC par les différents gouvernements puissent devenir la source principale d’information pour préparer les PI nationaux dans le cadre du FIP. Les INDC se distinguent par leur caractère globalement peu ambitieux et le fait qu’on y découvre que certains des principaux pays forestiers prévoient en fait de poursuivre, d’une façon ou d’une autre, les activités de déforestation.

Le FIP se charge de gérer et de mobiliser des fonds pour soutenir les pays pilotes. En juin 2015, le total des promesses de financements s’élevait à 787 millions de dollars US, pour un portefeuille de 47 projets situés à différents niveaux de développement et de mise en œuvre. Selon l’unité administrative, le FIP constitue « actuellement le plus gros fonds d’investissement forestier mondial axé sur la Phase 2 de l’architecture de financement de REDD+ » [2]

Certes, 787 millions de dollars US de promesses de financements et un portefeuille de 47 projets peuvent être perçus comme des progrès considérables. Mais comme dit le proverbe, tout ce qui brille n’est pas or. En vérité, le FIP est confronté à différents problèmes, notamment des ressources disponibles limitées. L’incertitude quant aux financements futurs des neuf pays en train de préparer leurs plans d’investissement illustre parfaitement cette situation. Le FIP soutiendra la préparation de chaque PI à hauteur de 250 000 dollars, « tout en sachant pertinemment qu’[il] ne dispose actuellement d’aucune ressource disponible pour la mise en œuvre de ces plans d’investissement », a souligné l’unité administrative. Cette dernière a en outre invité les pays concernés à trouver d’autres sources de financements pour leurs PI. Dans un contexte de difficultés économiques, on peut s’interroger sur la pertinence d’allouer 250 000 dollars aux nouveaux pays pour préparer leurs plans d’investissement, tout en continuant d’allonger la liste de pays pilotes, alors qu’il n’existe aucune garantie que ces derniers obtiennent par la suite les financements nécessaires à la mise en œuvre de leurs plans.

En réalité, la mobilisation de fonds est aussi devenue un véritable casse-tête pour le FIP, et pour tous les programmes des FIC en général. Cela risque fort d’entraîner ce dernier sur une pente savonneuse où le secteur privé, porté par la quête de profits, deviendrait une source alternative de financements. Des signes pointent d’ores et déjà dans cette direction. Lors des dernières réunions de printemps de la Banque mondiale en avril 2016, le G24 a exigé que les FIC soient réapprovisionnés de toute urgence, et ont proposé pour ce faire d’avoir recours aux banques multilatérales de développement pour mobiliser le secteur privé [3].

Autre problème digne d’attention : bien que le FIP soit opérationnel depuis 2009, seuls 36,1 millions de dollars avaient été décaissés au mois de mai 2016, sur un total de 787 millions de dollars de promesses de financements ! D’ailleurs, en comparant les sommes décaissées aux promesses de financements, le taux de décaissement moyen pour les 8 premiers pays pilotes du FIP n’est que de 13,9%, bien que ce taux varie considérablement d’un pays à l’autre – 44% pour l’Indonésie par exemple, contre 1% pour le Brésil.

Pour couronner le tout, lorsqu’on se penche sur les données relatives aux dons et prêts concessionnels, on s’aperçoit que la situation est plus grave encore. Le FIP a promis à ses « petits nouveaux » (c’est-à-dire les pays pilotes que sont la République du Congo, la Côte d’Ivoire, l’Equateur, le Guatemala, le Mozambique et le Népal) la somme de 24 millions de dollars chacun. Mais lorsqu’on creuse un peu et qu’on regarde en détail les différences entre dons et prêts, il devient clair qu’il s’agira pour ces pays davantage d’un fardeau que d’une aide.

Dons (en millions de dollars US)

Prêts (en millions de dollars US)

République du Congo

6,1

17,9

Côte d’Ivoire

8,2

15,8

Equateur

3,15

20,85

Guatemala

3,15

20,85

Mozambique

10,8

13,2

Népal

6,1

17,9

Source : Basé sur un tableau présenté par l’unité administrative des FIC lors de la réunion du sous-comité du FIP en novembre 2015

Le fait que les nouveaux pays pilotes du FIP obtiennent davantage de prêts que de dons risque de les entraîner dans le sempiternel cercle vicieux de l’endettement – en l’occurrence, dans le secteur forestier. L’acceptation de ces prêts sous-entend pour ces pays qu’ils aient une gestion lucrative du secteur forestier pour pouvoir les rembourser ; les plantations forestières, perçues par ces pays comme une activité rémunératrice qui leur permettra de rembourser leur dette[4], continuent ainsi à se développer, devenant souvent un facteur majeur de déforestation et de dégradation des forêts.

Comme si cela ne suffisait pas, les maigres fonds du FIP se destinent à des projets, ou des PI de projets souvent fondés sur les plantations forestières, au lieu de soutenir des initiatives luttant réellement contre la déforestation et la dégradation des forêts. En parcourant les différents PI nationaux, on constate que bon nombre d’entre eux voient les plantations comme un facteur majeur de dégradation des forêts. Pourtant, un peu plus loin, les mêmes PI mentionnent – de façon plus ou moins explicite – les avantages de ces plantations pour endiguer la disparition des forêts, ce qui est paradoxal. Les plantations ne sont pas toujours mentionnées explicitement ; la définition des forêts dans les PI nationaux est quant à elle si sommaire et vague qu’elle permet l’expansion des plantations avec le soutien du FIP.

La proposition de concept de « Projet pour le développement de l’agroforesterie dans quatre provinces » (PRODAF) en République démocratique du Congo illustre parfaitement le lien (potentiel) entre FIP et plantations forestières. Ce projet vise à mobiliser des fonds pour établir des plantations forestières en monoculture dans différentes régions de la RDC afin de réduire la déforestation. Il convient de dire que l’étude de cette proposition de concept a été ajournée dans l’attente que des fonds supplémentaires soient disponibles. Elle n’a donc été ni rejetée, ni validée, mais simplement ajournée. Le groupe d’experts, l’unité administrative et les observateurs de la société civile ont fait part de leurs préoccupations quant à ce projet, au vu, entre autres, de i) l’accent mis sur l’établissement, sur des terres dégradées, de plantations en monoculture – principalement des plantations de palmiers à huile – afin d’endiguer la perte des forêts, ii) une définition sommaire des terres dégradées et une autre particulièrement vague de l’agroforesterie, iii) l’incapacité de déterminer si ces « terres dégradées » soutenaient des moyens de subsistance et pour qui, et iv) l’absence d’explication pour justifier la promotion de plantations semi-industrielles de palmiers à huile afin de réduire la pression sur les forêts naturelles.

Bien que ce projet ait été ajourné, de nombreux autres projets prévus par des PI ont d’ores et déjà été validés et mettent en lumière le lien inquiétant entre FIP et plantations. A titre d’exemple, le PI du Ghana souligne la nécessité de développer la recherche sur les cultures telles que le jatropha et les arbres tels que le palmier à huile et le caoutchouc pour réduire notre empreinte carbone[5]. D’après le PI de l’Indonésie, une aide est nécessaire pour faire face à une demande croissante de bois pour le marché local et les exportations ; pour le FIP, l’objectif du secteur privé est d’encourager le développement de la gestion durable des forêts, de sorte que forêts naturelles et plantations gagnent en efficacité[6].

La prochaine réunion du sous-comité des FIC se tiendra du 12 au 16 juin à Oaxaca au Mexique, parallèlement à la réunion annuelle des pays pilotes du FIP. L’unité administrative fera le point entre autres sur la mobilisation des fonds, la disponibilité des ressources, le taux de décaissement au fil du temps et les plans d’investissement du Mozambique et de la Côte d’Ivoire. Mais peut-être serait-il temps de réfléchir sur la mise en œuvre de la clause d’extinction, qui prévoit la cessation des FIC dès l’opérationnalisation d’une nouvelle architecture financière sur le climat dans le cadre de la CCNUCC, par le biais d’un mécanisme. Et ce nouveau mécanisme, c’est le Fond vert pour le climat.

Notes:
[1] https://www-cif.climateinvestmentfunds.org/fund/forest-investment-program
[2] https://www-cif.climateinvestmentfunds.org/events/fip-sub-committee-meeting-thursday-november-12-2015-900-am-1200-noon
[3] http://www.brettonwoodsproject.org/2016/04/spring-meetings-2016-communiques-coverage/
[4] https://globalforestcoalition.org/the-devastating-plantation-plans-of-the-world-bank-forest-investment-program/
[5] http://www-cif.climateinvestmentfunds.org/sites/default/files/FIP_5_Ghana.pdf
[6] http://www-cif.climateinvestmentfunds.org/sites/default/files/FIP_6_Indonesia_0.pdf

26 mai, 2016
Posted in Actualités, Forêts et Changement Climatique