Le respect des droits des femmes est en jeu: Le fossé entre la vie réelle et les bonnes intentions de l’ONU
par Juana Vera Delgado, Coalition mondiale des forêts
Évaluer les progrès en matière d’égalité des genres et les impacts du COVID-19 figure au premier plan de l’ordre du jour du Forum politique de haut niveau pour le développement durable qui est organisé virtuellement cette semaine depuis New-York. Ce type d’évènements représente habituellement une occasion pour vanter et mousser les avancées, mais un nouveau rapport de la Coalition mondiale des forêts offre une analyse détaillée de la réalité sur la base d’évaluations de l’égalité hommes-femmes réalisées au niveau des communautés dans cinq pays d’Amérique latine. Bien qu’il existe des politiques importantes en matière d’égalité des genres, les communautés souvent n’en récoltent pas les bienfaits.
Il est capital d’écouter la voix des femmes autochtones, paysannes et du monde rural et de tenir compte de leurs expériences, car ce sont elles qui sont le plus affectées par les impacts négatifs de la perte de biodiversité et du changement climatique, et aussi parce qu’elles sont les moteurs-clé des solutions. Elles vivent aussi des formes diverses et inter-reliées de violence (domestique, structurelle, politique et culturelle).
L’ONU est en partie complice de ces injustices alors qu’avec sa main gauche elle appuie les réformes institutionnelles domestiques en matière d’égalité des genres, et de sa main droite elle s’associe avec les grandes entreprises et donne préséance à leur pouvoir aux dépens de l’atteinte de l’ODD 5 et de la réalisation de l’Agenda 2030.
Les histoires des femmes de la forêt et des communautés autochtones révèlent l’existence d’une étroite connexion entre les injustices à l’endroit des femmes et le pouvoir des entreprises et les politiques d’accumulation par dépossession sur lesquels sont bâtis les modèles actuels de production et de consommation. Les évaluations de genre effectuées en Bolivie, au Brésil, au Chili, en Colombie et au Paraguay nous démontrent que la réalisation des droits fondamentaux des femmes et des Peuples autochtones est influencée par des activités extractives comme l’exploitation minière, forestière et l’agriculture industrielle. Ces industries sont les moteurs de la déforestation, de la perte de biodiversité, de la détérioration des sols, de la rareté de l’eau, et de la pollution, chacune créant des dommages irréparables pour les communautés. Elles portent atteinte à la sécurité alimentaire et à leurs moyens de subsistance, et engendrent la migration forcée, l’augmentation de la violence de genre, et d’autres conséquences négatives qui affectent les femmes en plus grande proportion et minent leur capacité à combattre la pauvreté, le changement climatique et l’actuelle pandémie de coronavirus.
Au-delà des grandes tendances, chaque pays comporte des défis et des besoins qui lui sont propres. Par exemple au Chili, le peuple Mapuche ne jouit pas de la reconnaissance de l’État et par conséquent ne reçoit pas les ressources pour faire face aux problématiques les affligent, comme l’accaparement des terres pour la culture de l’eucalyptus et les plantations de pins, pour les projets hydroélectriques, ayant comme point commun de transformer leur territoire en une ressource pour le grand capital et de dévaster les forêts naturelles et la riche biodiversité locale. À ce sujet, une participante interrogée lors de l’évaluation d’impacts sur le genre explique que «le territoire est entre les mains des transnationales qui ont isolé les hommes et femmes paysannes en misant sur des achats frauduleux [et] d’autres méthodes pour tromper la population, les communautés autochtones Mapuche aussi ayant été acculées au bord du gouffre: pour ces dernières, la situation est encore pire à cause de l’usurpation de la forêt».
En Colombie, les communautés rurales se confrontent à l’expansion croissante des mégaprojets de l’État, comme l’agriculture industrielle, l’extraction de pétrole et de gaz, l’infrastructure routière, l’exploitation minière à grande échelle et les barrages. Selon une interviewée, «le problème est apparu suite aux politiques du gouvernement visant à favoriser l’extraction des ressources aux dépens de la protection de la biodiversité. Les dirigeants voient les territoires et les forêts uniquement comme des sources d’enrichissement, sans tenir compte de l’impact des politiques sur nous et la nature, ayant pour effet de polluer l’environnement».
Au Paraguay, les forêts de la région du Chaco, à l’Ouest du pays, ont été dévastées au cours des dernières décennies par la déforestation et les incendies dans le but de «nettoyer» le territoire pour l’agro-industrie. Tandis que dans l’Est, 94% des terres arables sont utilisées pour des monocultures modifiées génétiquement, principalement les graines de soya et plus récemment le riz et l’eucalyptus, en vue de leur exportation pour l’alimentation animale, comme les bœufs, les cochons et les poulets. Les monocultures polluent aussi les cours d’eau et les eaux souterraines et conduisent à une perte de biodiversité et de productivité des sols. La fumigation de pesticides met en danger l’écosystème et mine le droit des habitants locaux à vivre dignement et en santé. La progression constante des activités prédatrices a transformé les zones rurales en grands terrains vagues, convertissant les femmes et les hommes paysans et autochtones en parias de leur propre territoire. Une femme paraguayenne explique: «le principal problème des zones rurales est la perte de nos territoires, qui sont capturés par les monocultures de soya et de maïs modifiés génétiquement qui s’ajoutent à l’élevage intensif du bétail».
Dans ces cinq pays et ailleurs, les politiques qui font la promotion de l’égalité des genres doivent reconnaître que les femmes et les communautés autochtones se confrontent à des obstacles structurels, politiques et socioculturels si l’on veut traduire la «bonne volonté» des réformes institutionnelles en actions concrètes sur le terrain. Ces obstacles sont étroitement liés aux pratiques coloniales d’accumulation par dépossession, aux multiples formes de discrimination, à la corruption et à l’absence de reddition de comptes. Cette dépossession va au-delà de l’accaparement des ressources, elle perturbe aussi les identités locales liées au territoire et à l’histoire.
Du côté positif, le rapport aussi met en évidence comment les femmes s’organisent pour réduire les écarts et atteindre la justice de genres par elles-mêmes, en construisant une solidarité entre les communautés, en consolidant le rôle vital qu’elles jouent dans la production d’aliments et la conservation de la forêt, et dans la quête du bien vivre. Ces modèles alternatifs et justes du point de vue du genre devraient être au cœur des efforts pour atteindre les ODD.
Pour lire l’évaluation de l’égalité des genres ici mentionnée, visiter https://globalforestcoalition.org/lac-gender-assessments-report/