Nouveau rapport : La grande illusion climatique de REDD+
La grande illusion climatique de REDD+ : une équation bancale pour les forêts, les populations et la planète
Un nouveau rapport de la Coalition mondiale des forêts
La dernière recherche de GFC soumet le programme REDD+ à un examen critique, et montre qu’il a dangereusement détourné l’attention d’une véritable action pour les forêts et le climat, tout en causant de réels préjudices aux communautés sur le terrain.
Lire en français – espagnol – anglais
Malgré des milliards de dollars de financement et des centaines de projets, le programme REDD+ n’apporte pas les résultats promis en matière de réduction de la déforestation ou de la dégradation des forêts.
Au contraire, il permet aux grandes entreprises de continuer à polluer et faire des bénéfices, tout en déplaçant les communautés autochtones, en niant leurs connaissances traditionnelles et en transformant les forêts en puits de carbone, sans tenir compte de leurs fonctions complexes en tant qu’écosystèmes qui assurent la subsistance des communautés et la préservation de la biodiversité.
Le rapport souligne la nécessité de s’éloigner des approches du type REDD+, qui sont des approches défaillantes imposées par les hautes sphères. Il est étayé par des études de cas venant d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine, qui montrent pourquoi il est grand temps de mettre de côté les fausses solutions afin de s’attaquer aux causes profondes de la crise climatique, en réduisant véritablement les émissions de gaz à effet de serre et en garantissant les droits des Peuples Autochtones, des femmes dans toute leur diversité, et des communautés locales qui protègent leurs forêts et leurs territoires depuis des générations.
Ce document fait partie d’une série de rapports de GFC sur REDD+. Consultez notre précédent rapport (disponible en anglais et espagnol) :
Vous pouvez télécharger La grande illusion climatique REDD+ au format PDF ou lire le texte intégral abjao. Ce document fait partie d’une série de rapports de GFC sur REDD+. Consultez notre rapport précédent : Qui en profite vraiment ? Comment REDD+ nuit aux forêts et à ceux qui les protègent.
Cliquez ici pour en savoir plus sur notre travail sur les forêts et le changement climatique.
La grande illusion climatique de REDD+ : une équation bancale pour les forêts, les populations et la planète
Introduction
L’industrie des combustibles fossiles détient une influence et un pouvoir tout à fait impressionnants. Malgré un vaste consensus scientifique sur la responsabilité des combustibles fossiles dans la crise climatique, cette industrie polluante s’est implantée dans les espaces décisionnels destinés à lutter contre la destruction de l’environnement. Des expressions en vogue, telles que « la neutralité carbone », « le zéro perte nette » et « les solutions fondées sur la nature » (NBS, en anglais), sont ainsi des euphémismes qui permettent aux pollueurs de poursuivre leurs activités néfastes sous prétexte d’agir pour le climat. Ces termes masquent la réalité : en effet, la « compensation » des émissions de gaz à effet de serre dans d’autres régions n’arrête en rien l’extraction et la combustion des combustibles fossiles responsables de la crise climatique. Planter des arbres dans une autre partie du monde ne peut pas réparer les dommages causés par la production incontrôlée de pétrole et de gaz, ni remplacer les millénaires de conservation et de protection assurés par les Peuples Autochtones et les communautés locales, gardiens des forêts depuis des temps immémoriaux.
Les scientifiques s’accordent à dire que le monde a besoin d’une réduction drastique des émissions, et ce, très vite. Cependant, des projets tels que les NBS et le « zéro perte nette » ne sont pas conçus pour protéger la planète ou les populations. Ils visent au contraire à préserver les intérêts et l’influence de ces puissants groupes de pression afin de maintenir les profits des entreprises qu’ils représentent. Hélas, ces fausses solutions sont régulièrement appuyées lors des négociations mondiales sur le climat, ce qui permet à l’industrie des combustibles fossiles de façonner la politique de lutte contre le changement climatique, tout en continuant à gérer ses affaires commerciales sans modifier ses pratiques. Alors que nous sommes confronté.e.s à la recrudescence des catastrophes écologiques et sociales, ces entreprises perpétuent les systèmes d’extraction pétro-capitalistes qui contribuent à la crise climatique et au déplacement des communautés qui protègent nos écosystèmes.
Le message se perd en route : si nous voulons parvenir à freiner les effets catastrophiques du changement climatique, nous devons stopper les grands pollueurs qui sont à l’origine de la crise climatique, maintenir les combustibles fossiles dans le sol et garantir que les personnes les plus touchées obtiendront justice et réparation. Nous devons également protéger les forêts primaires et la biodiversité, pas dans le cadre de programmes de compensation, mais en tant qu’écosystèmes irremplaçables dotés d’une valeur intrinsèque. Viser moins que cela, c’est se distraire, et le programme REDD+ le montre bien.
Le programme REDD+ réduit-il la déforestation ?
Cette note d’information s’appuie sur les conclusions d’une publication récente de GFC intitulée A qui profite réellement le programme REDD+ ? Comment REDD+ manque à ses engagements envers les forêts et ceux qui les protègent (disponible en anglais et espagnol). Cette publication se penche sur le programme REDD+ et sur les systèmes de compensation des émissions de carbone dont il fait partie. Ses résultats indiquent que, même si le mécanisme REDD+ a été conçu pour lutter contre la déforestation, des données provenant de pays tels que le Brésil et l’Indonésie démontrent qu’il n’a pas permis une réduction significative de la déforestation. Dans le même temps, la biodiversité a continué à se détériorer. Ces programmes, qui impliquent souvent des plantations d’arbres en monoculture dont on sait qu’elles nuisent aux communautés et à l’environnement, ne fonctionnent pas : on ne peut pas restaurer en un clin d’œil des années d’interrelations complexes qui sont déjà perdues lorsque les forêts sont décimées.
Notre publication mettait également en évidence le fait que le mécanisme REDD+, dans son essence, réduit les forêts à des marchandises en les considérant comme de simples puits de carbone, sans tenir compte de leur véritable rôle en tant qu’écosystèmes complexes qui régulent le climat de la planète, soutiennent les communautés locales et les Peuples Autochtones, et préservent une biodiversité irremplaçable. REDD+ donne la priorité aux compensations plutôt qu’à l’intégrité écologique et aux droits des communautés. Il ne considère pas les forêts comme des écosystèmes vivants précieux et dotés d’une valeur intrinsèque, mais seulement comme des ressources qui peuvent être utilisées et transformées en molécules de base telles que le « carbone ». En ce sens, REDD+ va à l’encontre des conceptions du monde des Peuples Autochtones, qui accordent à la vie une valeur intrinsèque. REDD+ est également une source de négligence et d’oppression pour les Peuples Autochtones et les communautés locales, du fait des déplacements, des conflits et de la perte des moyens de subsistance et des pratiques culturelles. Les Peuples Autochtones protègent déjà les forêts, et le fait de leur nuire continuellement par le biais de ces programmes démontre que REDD+ est foncièrement incompatible avec les forêts et les peuples forestiers.
La nature même de REDD+, en tant que mécanisme de marché, ne tient pas compte des connaissances traditionnelles et des compréhensions plus profondes des rôles écologiques et spirituels des forêts. Il faut de toute urgence mettre en place des stratégies gérées par les communautés et fondées sur les droits, en prévoyant notamment un financement direct pour celles et ceux qui accomplissent déjà ce travail de protection de l’environnement. Et pourtant, malgré les nombreuses démonstrations de ses défauts structurels, le mécanisme REDD+ reste un élément clé du discours sur le climat, en raison du soutien continu des institutions financières multilatérales (comme la Banque mondiale et le Fonds vert pour le climat), de son inclusion dans les négociations de l’article 6.4 de l’Accord de Paris, et de son rôle dans les marchés volontaires du carbone. Cette situation ne peut plus durer.
Qui finance REDD+ ?
Il existe plus de 700 projets REDD+ répartis dans 57 pays, soutenus par des financements bilatéraux et multilatéraux. Les principaux acteurs sont le programme UN-REDD et le Fonds de partenariat pour le carbone forestier de la Banque mondiale, qui couvrent chacun plus de 50 pays.
Depuis 2008, plus de 5,6 milliards de dollars de fonds publics (ou selon d’autres sources, près de 10 milliards de dollars) ont été promis à des fonds climatiques multilatéraux soutenant REDD+. 3 milliards de dollars ont été effectivement alloués à des projets. Les principaux contributeurs sont la Norvège, l’Allemagne, le Royaume-Uni et les États-Unis. Malgré ces investissements, la déforestation se poursuit. Les délocalisations d’émissions de gaz à effet de serre (GES), l’absence de permanence et la comptabilisation problématique des plantations de monocultures comme des forêts ont souligné l’inefficacité de REDD+.
Au vu de ce qui précède, quels rôles jouent alors les gouvernements dans le soutien à REDD+ ? Quelles sont leurs motivations ? Le financement des projets REDD+ devrait-il être entièrement interrompu ?
La polémique sur les compensations
La compensation des émissions de carbone, que ce soit dans le cadre de REDD+ ou dans d’autres contextes, s’avère toujours un mécanisme inefficace et préjudiciable. En examinant de plus près les expériences observées en Colombie, au Cambodge, au Kenya, en Ouganda, en Indonésie, au Pérou et au Brésil, nous souhaitons mettre en évidence les problématiques sous-jacentes, qui découlent de la marchandisation de la nature.
Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) définit les compensations comme « la réduction, l’évitement ou l’élimination d’une unité d’émission de gaz à effet de serre (GES) effectuée par une entité, et qui est achetée par une seconde entité pour contrebalancer une unité d’émission de GES produite par cette seconde entité ». Selon la Climate Land Ambition & Rights Alliance (CLARA), « les promoteurs parlent des compensations comme si les émissions produites “ici” étaient effectivement annulées par une autre activité réalisée “là-bas”. Or, les émissions ont quand même eu lieu. Éviter les émissions ou les réduire dans un autre lieu n’y change rien ». En d’autres termes, la compensation ne s’attaque pas aux causes profondes du changement climatique.
En 2022, le GIEC a signalé la nécessité de réduire rapidement et massivement les émissions de GES, en soulignant ses inquiétudes concernant l’efficacité, la permanence et l’additionnalité des compensations carbone. Cependant, les compensations continuent d’être débattues et mises en avant dans l’Accord de Paris au mépris de leurs nombreux défauts. Elles sont même au cœur des prétendues actions prévues à l’article 6. Pendant ce temps, le vrai problème, et les véritables solutions à la crise climatique, sont ignorés au profit de cadres inefficaces et problématiques qui donnent la priorité aux gains financiers à court terme et à l’opportunisme politique plutôt qu’à la résilience écologique et sociale à long terme.
Les compensations permettent aux grands pollueurs, et notamment aux compagnies pétrolières et gazières, de continuer à rejeter des émissions en « compensant » leurs activités polluantes par des projets tels que le boisement, le reboisement ou l’« évitement de la déforestation » dans le cadre des programmes REDD+. Cette approche permet aux entreprises et aux gouvernements de continuer à polluer plutôt que de s’engager dans une véritable action climatique.
Une étude réalisée par Carbon Market Watch (CMW) a mis en évidence des tendances récurrentes observées dans les projets REDD+, notamment des niveaux de référence gonflés, des économies de carbone invérifiables et des résultats généralement inefficaces. Les règles biaisées qui découlent de ces failles signifient que même si certains projets sont présentés comme réussis, ils ne sont généralement pas en mesure d’apporter de réels avantages environnementaux. Les grandes entreprises, y compris celles du secteur des combustibles fossiles, peuvent facilement exploiter des crédits défectueux et bon marché, leur permettant ainsi de continuer à polluer tout en se cachant derrière la « neutralité carbone ». En achetant des crédits douteux à bas prix, elles peuvent prétendre annuler leurs émissions sans pour autant procéder à des changements significatifs.
Vérification, annulations et crédits fictifs
La société Verra, spécialisée dans la vérification de crédits de compensation carbone, a récemment été contrainte d’annuler un grand nombre de ses crédits suite à la multiplication des preuves indiquant que bon nombre de ses crédits sont faux, inefficaces et liés à des atteintes à l’environnement et aux droits humains. De très nombreuses données attestent du lien entre ses crédits et l’exploitation illégale des forêts, l’accaparement des terres et le « blanchiment de bois ». Une enquête menée par le Guardian en 2023 a révélé que plus de 90 % des crédits de Verra étaient fictifs ( vraisemblablement inexistants) et n’apportaient aucun avantage tangible en matière de lutte contre le changement climatique. Bien que Verra affirme qu’elle reverra ses méthodes d’ici 2025, ces crédits inefficaces restent en vigueur et perpétuent les dommages environnementaux et sociaux.
Une fois certifiés, ces projets manquent de supervision. Au Kenya, le projet REDD+ de Kasigau, qui compte parmi les plus anciens certifiés par Verra, a fait l’objet d’une controverse pour cause de harcèlement et d’abus sexuels systémiques. Une enquête menée conjointement par le Centre de recherche sur les entreprises multinationales et la Commission kényane des droits humains a mis au jour des abus sexuels endémiques dans le cadre de ce projet, géré par Wildlife Works. Bien que ces crédits carbone vérifiés par Verra prétendent promouvoir l’empouvoirement des femmes et des communautés, ces allégations suggèrent tout le contraire. La contradiction soulève des questionnements plus généraux sur la vérification des crédits d’émission de carbone. Les marchés volontaires du carbone sont autorégulés, les sociétés d’audit étant payées par les promoteurs des projets, ce qui rend les certifications douteuses. Verra aurait demandé à Wildlife Works de résoudre ces questions, qui révèlent pourtant de profonds déséquilibres de pouvoir, systémiques et inhérents aux modèles de « conservation », où l’on permet à des systèmes d’oppression de se développer par le biais d’une conservation de forteresse, imposée par les hautes sphères.
Human Rights Watch (HRW) a recueilli des informations faisant état de violences, d’expulsions forcées et de destructions de biens à l’encontre de communautés autochtones dans le cadre du projet REDD+ Southern Cardamom au Cambodge, projet approuvé par Verra. En outre, les protocoles de consentement préalable, libre et éclairé (CLIP) n’ont pas été respectés par l’ONG Wildlife Alliance, l’un des cogestionnaires du projet. Il a également été rapporté que le personnel de l’ONG, souvent accompagné de gardes forestiers et de policiers militaires du gouvernement, a expulsé par la force et la violence des membres de la communauté. Wildlife Alliance a affirmé que le projet bénéficiait d’un soutien massif de la communauté, mais le rapport indique que cette affirmation est fausse, puisque le soutien réel oscille entre 10 et 16 %. L’ONG a continué à affirmer que HRW déformait les données pour servir ses propres intérêts et que le projet avait été couronné de succès. Cependant, les données de Global Forest Watch montrent que 1.400 hectares de forêt primaire ont été perdus dans la région entre 2016 et 2022 et que le projet n’a pas réussi à préserver la forêt de la construction de grands barrages hydroélectriques. L’exploitation forestière illégale reste également très répandue sur place et les forêts sont de plus en plus menacées. Un grand secret plane sur les revenus générés par le projet et sur le montant qui parvient à la communauté, si tant est que cette dernière en bénéficie.
Malgré les enquêtes en cours sur les nombreuses plaintes pour atteinte aux droits humains rapportées par Mongabay et d’autres acteurs, Wildlife Alliance prévoit d’établir un autre projet de compensation REDD+ à proximité sans répondre de manière adéquate à ces graves allégations ni démontrer de résultats significatifs. Bien que certains affirment que la forêt de Cardamome est protégée par l’initiative REDD+, il est impossible de le démontrer, car il n’est pas possible de prouver l’additionnalité. La communauté autochtone de la forêt avait déjà réussi à stopper un barrage hydroélectrique en 2014. Si ce nouveau projet ne parvient pas à empêcher le développement d’un autre barrage, on peut se demander pourquoi il devrait être crédité des efforts continus et fructueux de la communauté en matière de protection des terres.
Le projet Tumring, un autre projet accrédité par Verra au Cambodge et conduit par le Service coréen des forêts, a été célébré en 2020 comme un projet REDD+ modèle, alors que 22 % des arbres ont été perdus depuis le début du projet. Bien que ce projet n’ait pas réussi à freiner la déforestation, il continue de vendre des crédits carbone.
Ces exemples illustrent la façon dont les projets de compensation REDD+ donnent la priorité au profit plutôt qu’à une véritable protection de l’environnement. Ils sont également basés sur un système de vérification défectueux et autorégulé : les auditeurs sont payés par les promoteurs des projets et les entreprises achètent des crédits sans aucun contrôle, perpétuant ainsi un système qui permet la poursuite des atteintes aux droits humains et de la dégradation de l’environnement en toute impunité. En raison de ces dysfonctionnements et puisque la déforestation ne diminue pas dans les zones où les programmes REDD+ sont mis en œuvre, les financements devraient être suspendus.
Les compensations posent un autre problème de taille, celui des délocalisations d’émissions de GES. Ainsi, on observe souvent un déplacement de la demande de produits forestiers depuis les zones protégées vers les zones non protégées, ce qui signifie que la protection d’une zone n’élimine pas la déforestation ; elle ne fait que la délocaliser. Un rapport de CMW a mis en évidence le fait que les délocalisations sont largement sous-déclarées. Bien que les méthodologies REDD+ de Verra exigent des promoteurs de projet qu’ils estiment les déductions liées aux délocalisations, CMW a constaté que 59 % des projets de Verra ne faisaient état d’aucune déduction, et que ceux qui le faisaient appliquaient des taux inférieurs. Cette surestimation de l’impact des projets entraîne une surcréditation, ce qui permet aux projets de revendiquer plus de crédits carbone qu’ils ne le valent réellement, car ils ne prennent pas en compte les émissions causées par les activités déplacées. Les avantages environnementaux revendiqués par ces projets sont donc surévalués, ce qui se traduit par des crédits carbone qui ne reflètent pas de véritables réductions d’émissions.
Aires protégées, accaparement des terres et colonialisme
Les projets de compensation REDD+ conduisent souvent à des accaparements de terres, des déplacements de populations et de graves atteintes aux droits humains. Ils ne tiennent souvent pas compte des droits fonciers et des modes de gouvernance autochtones, et de nombreux projets sont mis en œuvre sans le consentement libre et préalable des Peuples Autochtones dans les régions où ils sont déployés. Cette situation n’est pas spécifique à une région, car elle se répète dans de nombreux projets, dans tout le Sud global, ce qui dénote une faille persistante et fondamentale dans la conception de REDD+.
En Ouganda, le projet REDD+ du Mont Elgon, mené par la société néerlandaise FACE Foundation, est un autre exemple d’accaparement de terres et de déplacement de communautés dus aux mesures de compensation. Avec le soutien de la Banque mondiale, le gouvernement ougandais a classé la région comme parc national protégé dans le cadre de sa stratégie de compensation des émissions de carbone. Au lieu de protéger la forêt ou les Peuples Autochtones, le projet a déplacé de force le Peuple Benet, gardien de ces terres depuis des générations. Sous prétexte de préserver la forêt, le projet a procédé à des expulsions brutales et violentes, détruisant les maisons et les moyens de subsistance des habitant.e.s.
Cela renvoie à un aspect particulièrement insidieux des stratégies de conservation remontant à l’époque coloniale, car ces stratégies impliquent souvent l’expulsion des Peuples Autochtones de leurs terres au nom de la « conservation ». Historiquement, le concept d’une nature vierge, séparée de l’humanité, a été imposé par les projets coloniaux, ce qui a conduit à la création paternaliste de nombreux parcs nationaux dans le monde . Les communautés autochtones ont souvent été expulsées par la force et les parcs ont été relégués à un usage récréatif, souvent à un prix élevé. Ce schéma persiste aujourd’hui, y compris en Afrique, où les communautés autochtones sont déplacées pour faire place au tourisme. C’est notamment le cas en Tanzanie chez les Massaï.
De nombreux projets REDD+, en particulier ceux qui se déroulent dans des aires protégées et des parcs nationaux, suivent ce modèle colonial de « conservation de forteresse ». Tandis que de nombreuses aires sont encore utilisées pour le tourisme, d’autres sont utilisées pour des plantations de monocultures ou des projets de compensation carbone. Les communautés autochtones sont souvent considérées comme des menaces pour ces projets ou sont contraintes de s’adapter à de nouveaux modes de vie pour survivre.
Le parc national du Mont Elgon montre bien comment la création d’aires protégées dans le cadre de REDD+ reproduit les stratégies coloniales de dépossession : les terres sont clôturées et les Peuples Autochtones sont déplacés de force pour faire place au commerce du carbone et aux objectifs internationaux de conservation. Ces projets ne tiennent souvent pas compte du fait que les Peuples Autochtones ont géré et protégé ces forêts bien avant l’arrivée d’acteurs extérieurs. Ce modèle de « conservation forteresse » exacerbe les conflits fonciers et les atteintes aux droits humains, tout en renforçant l’idée coloniale selon laquelle la nature doit être protégée des populations, plutôt que par les populations.
Comme le souligne GRAIN, les projets de ce type ignorent souvent le CLIP, pourtant crucial pour le respect des droits fonciers autochtones. Les expulsions forcées et la destruction des moyens de subsistance ne relèvent pas d’incidents isolés, mais s’inscrivent au contraire dans une logique générale où les projets REDD+ servent les intérêts des entreprises aux dépens des communautés locales. Malgré les promesses de protection des forêts et d’empouvoirement des communautés, les véritables bénéficiaires sont souvent des investisseurs étrangers et des acheteurs de crédits carbone, tandis que les personnes vivant dans les écosystèmes en question sont confrontées à la dépossession et à la violence. Cela soulève une lacune majeure dans l’architecture de REDD+ : ce mécanisme commercialise et facilite l’accaparement des forêts et de leurs ressources, sans apporter d’avantages climatiques ou sociaux significatifs, en laissant derrière lui de multiples injustices.
La publication récente de GFC soulignait le manque de données significatives sur la déforestation au Brésil et en Indonésie, deux pays qui accueillent de nombreux projets REDD+ approuvés par Verra. Malgré cela, les taux de déforestation restent inchangés et l’accaparement des terres continue d’être un problème majeur. Dans ces deux pays, des projets de compensation carbone de grande envergure, précédemment vérifiés par Verra, ont fait l’objet de critiques considérables. Il a été découvert que le projet Jari, au Brésil, vendait des crédits basés sur des terres publiques sans l’approbation de l’État, y compris à de grandes entreprises telles que CNN, BMW et Janssen, et des rapports font état de problèmes persistants d’accaparement des terres. Une enquête a ainsi révélé que le projet opérait sur des terres en litige. En Indonésie, les projets Katingan Mentaya et Rimba Raya ont été accusés de surestimer leur efficacité en matière de prévention de la déforestation et d’exclure les communautés locales des processus décisionnels.
En juin 2023, une autre enquête a révélé que la Réserve autochtone de Cumbal, en Colombie, vendait des crédits carbone à l’insu de nombreux membres de la communauté. Chevron, qui a émis 745 millions de tonnes d’équivalent CO2 en 2023 et dont les émissions sont en constante augmentation, a été la seule entreprise à acheter des crédits du projet environnemental REDD+ pour la protection de Pachamama Cumbal. Chevron a affirmé que ses audits indiquaient une consultation suffisante de la communauté, bien que des résultats positifs du projet de conservation aient été signalés avant qu’aucun membre de la communauté n’ait eu connaissance du système de compensation. Cette situation montre clairement les logiques néocoloniales présentes dans les projets de compensation, puisque Chevron continue de polluer tout en achetant des crédits à une communauté autochtone qui n’est pas au courant du programme et n’en bénéficie pas.
Les membres de la communauté ont formé le Collectif environnemental de Cumbal et ont tenté d’obtenir des informations sur le projet, en vain. Cette enquête souligne le problème de fond des programmes de compensation REDD+ et de leur confidentialité bien connue. Il n’y a pas de transparence, et les membres de la communauté concernée n’ont reçu aucun avantage, ce qui a créé d’importantes tensions au sein de la communauté au sens large. D’autres questions ont été soulevées sur la gestion du projet, ainsi que sur les antécédents douteux des personnes impliquées. Certains membres de la communauté ont intenté une action en justice, et le juge a reconnu que le CLIP avait été bafoué, ordonnant aux responsables du projet d’y remédier dans un délai de six mois. Des sources confirment que le projet continue de vendre des crédits, Chevron et Zeuss étant des acteurs majeurs.
Même si l’on constate une baisse des taux de déforestation en Colombie, il est erroné d’attribuer ce phénomène aux initiatives REDD+. En 2022, le gouvernement colombien a annoncé des plans pour réduire la déforestation en limitant l’expansion de l’agro-industrie, et en créant des espaces où les communautés autochtones peuvent récolter des ressources forestières non ligneuses. En outre, les pourparlers de paix entre le gouvernement et les groupes de guérilleros pourraient avoir contribué à ce déclin. Toutefois, selon l’Associated Press, les taux de déforestation dans la région andine augmentent à nouveau en raison des incendies, de l’élevage de bétail, des cultures de drogue et de l’exploitation minière illégale, ce qui démontre une délocalisation des émissions, puisque la déforestation est simplement déplacée d’une zone à l’autre.
Ce projet n’est pas unique en son genre. Des centaines de projets similaires ont été mis en œuvre en Colombie au cours des six dernières années. Parmi les facteurs qui contribuent à cette augmentation, citons les allégements fiscaux accordés par le gouvernement colombien aux entreprises de combustibles fossiles pour l’achat de crédits, la possibilité de réaliser des profits rapidement avec une surveillance minimale et, surtout, le fait qu’environ 600.000 kilomètres carrés de terres sont déjà protégés par des communautés autochtones et afrodescendantes qui exercent leur autorité sur ces zones. Cette situation permet à des entreprises comme Chevron de réclamer des crédits pour une absence de déforestation qui préexistait au projet, tout en continuant à tirer profit de l’exploitation du pétrole et du gaz.
Dans l’ensemble, les membres des communautés qui protègent activement leurs forêts et leurs terres ne bénéficient pas de ces projets ; certains font même l’objet de poursuites judiciaires. On continue à leur dire qu’ils ont besoin de REDD+ pour protéger leurs terres ancestrales. Le ministre colombien de l’environnement a d’ailleurs déclaré que l’absence de réglementation sur les projets de compensation carbone signifie qu’ils sont négociés sans contrôle du gouvernement, ce qui permet aux entreprises d’exploiter les communautés.
En ce qui concerne le CLIP et l’implication des communautés, il est essentiel d’identifier qui est invité et qui ne l’est pas. Un entretien mené par le WRM avec Letícia Yawanawa, une dirigeante autochtone d’Acre, au Brésil, et Dercy Teles de Carvalho, l’ancien président du syndicat des travailleurs ruraux de Xapuri, a révélé que les femmes sont souvent complètement exclues de toutes les étapes de la planification REDD+, si tant est qu’il y ait une consultation. Les femmes en retirent peu ou pas d’avantages financiers et les communautés autochtones ne reçoivent que de maigres ressources.
Dercy a également indiqué que, dans sa communauté, de nouvelles réglementations introduites en 2010 ont affecté les pratiques culturelles des femmes en leur interdisant de cultiver des terres agricoles dans la forêt selon leurs méthodes traditionnelles. L’impact a été disproportionné pour les femmes, car ce sont elles qui travaillaient la terre dans la communauté. Ainsi, on a vu se développer une dépendance aux achats de produits alimentaires venant de l’extérieur, compromettant la souveraineté alimentaire de la communauté. Les rapports signalent également une augmentation des violences sexuelles, y compris à l’encontre des mineur.e.s, en raison de l’afflux d’agents extérieurs.
Le fait d’imposer aux femmes des changements dans leurs moyens de subsistance ou de les soumettre à des violences perpétue le cycle de la perte culturelle. Les projets REDD+ deviennent des initiatives néocoloniales lorsqu’ils ne consultent pas les communautés de manière significative, excluent les femmes, imposent des modes de vie non traditionnels, souvent qualifiés de « modernes et développés », sapent la souveraineté autochtone et continuent de nuire aux femmes et à leurs cultures.
REDD+, exploitation forestière et plantations d’arbres en monoculture
Ces projets vont à l’encontre de l’objectif initial de REDD+ en s’installant dans des zones où le risque de déforestation est déjà minime. Ils ne réduisent pas activement la déforestation, mais se contentent de son « évitement » théorique . Dans certains cas, l’exploitation forestière est toujours autorisée, ce qui permet à la déforestation de se poursuivre même après la vente des crédits. Par exemple, certains projets REDD+ au Pérou combinent souvent l’exploitation forestière avec la gestion des forêts, contribuant ainsi à la dégradation continue des forêts.
En outre, les efforts de reboisement dans le cadre des programmes de compensation REDD+ s’appuient souvent sur des plantations d’arbres en monoculture. Cependant, ces plantations n’augmentent pas les stocks de carbone, les forêts naturelles le font bien mieux. La récolte régulière du bois libère également le CO2 stocké dans l’atmosphère, alors que les vraies forêts absorbent le carbone pendant des décennies et préservent la biodiversité.
À mesure que le changement climatique influe sur les conditions météorologiques, les incendies de forêt incontrôlés augmentent chaque année. Bien que les incendies contrôlés puissent favoriser la régénération des forêts (naturellement ou via l’intervention humaine), les incendies incontrôlés dans les plantations d’arbres en monoculture posent de sérieux problèmes. Les incendies de forêt se propagent à une vitesse alarmante à l’échelle mondiale, libérant davantage de carbone dans l’atmosphère et réduisant la capacité des forêts à absorber le carbone. Ce phénomène est particulièrement préjudiciable dans le cas des plantations d’arbres en monoculture, dont les études montrent qu’ elles brûlent plus intensément et facilitent la propagation des incendies. En revanche, les forêts anciennes sont plus aptes à atténuer la propagation des incendies, à stocker le carbone et à favoriser la biodiversité.
Malgré ces problèmes, les plantations en monoculture se multiplient. Le lien entre les projets de compensation et les plantations en monoculture remonte à des décennies et est de plus en plus insidieux. Un rapport publié à la mi-2024 par le World Rainforest Movement (WRM) indique que les demandes d’établissement de nouvelles plantations d’arbres ont presque doublé au cours des trois dernières années. Alors que les projets de boisement et de reboisement ont les taux d’approbation les plus bas, ils étendent considérablement l’utilisation des terres et génèrent des volumes nettement plus importants de crédits carbone. Les principaux bénéficiaires sont les entreprises d’exploitation forestière, de pâte à papier et de papier, les « entreprises climatiques », les entreprises qui produisent beaucoup de carbone (par exemple, Total Energies), les grandes ONG de protection de la nature (comme WWF ou The Nature Conservancy) et les gouvernements (voir le rapport complet du WRM pour plus d’informations).
La recherche continue de démontrer les effets néfastes des plantations d’arbres en monoculture. Elles déplacent des communautés, détruisent la biodiversité et encouragent la destruction des forêts anciennes. « Compenser » les émissions tout en établissant des plantations de monocultures inefficaces et nuisibles n’est pas une solution pour le climat ; au contraire, cela pose des défis importants pour le climat et les droits humains. Le nombre croissant de demandes met en évidence, au mieux, la logique erronée qui sous-tend les compensations et, au pire, la volonté d’industries destructrices de tirer profit de fausses solutions.
REDD+ a échoué
Si l’on examine les données, à savoir l’augmentation des niveaux de carbone dans l’atmosphère, l’escalade de la déforestation mondiale et la croissance des programmes de compensation du carbone, y compris REDD+, on constate une tendance troublante. REDD+ ne tient pas ses promesses. La déforestation continue d’augmenter et les communautés qui protègent les forêts sont non seulement négligées, mais aussi soumises à des atteintes généralisées aux droits humains, des accaparements de terres, des déplacements de population et des pratiques d’exploitation. En outre, de nouvelles recherches indiquent que les forêts, les terres et les océans absorbent moins efficacement le CO2 à mesure que la planète se réchauffe. Nous ne pouvons pas compter sur ces « puits de carbone » pour faire leur travail, même si le GIEC continue de tabler sur leur potentiel de capture du carbone.
L’intention n’est pas synonyme d’action. Bien que le programme REDD+ ait pu être animé de bonnes intentions au départ, il est temps de reconnaître qu’il a échoué et qu’il faut rectifier le tir d’urgence. Les systèmes de compensation, en particulier ceux dont bénéficient les entreprises à forte empreinte carbone, permettent aux pollueurs de faire des profits sous couvert d’action climatique, tout en n’apportant pas de solutions significatives et équitables. Nous ne pouvons pas nous permettre de prendre plus de retard.
Le programme REDD+ est fondamentalement défectueux. Il est trop dépendant du système de comptabilisation du carbone, lequel n’aborde pas des questions cruciales telles que la permanence et les délocalisations d’émissions de GES. De plus, il perpétue le passé colonial qui a façonné la création des parcs nationaux, au lieu de s’attaquer à ces inégalités profondément enracinées. L’incohérence du suivi et des rapports, combinée à un manque de transparence, rend presque impossible de suivre avec précision l’efficacité de ces projets.
Pour réduire véritablement la déforestation et la perte de biodiversité, nous devons passer à des approches qui partent des bases, fondées sur les droits et les communautés et dont l’efficacité a été prouvée. Ces solutions doivent être mises en œuvre par les communautés qui dépendent des forêts, en particulier les Peuples Autochtones et les communautés locales, en tenant compte des femmes dans toute leur diversité, des jeunes et des personnes âgées, et bénéficier d’un soutien direct par le biais de cadres financiers et politiques. Ces communautés ont su préserver les forêts pendant des générations, et leurs connaissances, leur leadership et leurs droits devraient être au cœur de l’action climatique.
Nous ne pouvons plus nous permettre de nous laisser distraire par l’écoblanchiment commercial et les fausses promesses des programmes de compensation à grande échelle. La véritable justice climatique et la protection des forêts viendront de la valorisation et du financement des idées et des solutions promues par celles et ceux qui défendent déjà nos écosystèmes et travaillent sans relâche pour garantir une planète vivable pour tous.tes.
Remerciements
Chercheuse et rédactrice en chef
Allie Constantine
Équipe éditoriale
Souparna Lahiri
Gadir Lavadenz
Megan Morrissey
Ismail Wolff
Mise en page et conception
Ismail Wolff
Traduction en espagnol
Megan Morrissey
Traduction en français
Gaëlle le Gauyer et Rachel Babin
Couverture gracieusement fournie par NO REDD AFRICA/Cassandra