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« Les forêts représentent la santé » : entretien avec Fundaexpresión à l’occasion de la Journée internationale des forêts

À l’occasion de la Journée internationale des forêts, la Coalition mondiale des forêts salue le travail de ses organisations membres, qui œuvrent sans relâche à la protection de nos forêts et des droits des communautés locales, des femmes et des Peuples Autochtones. Elles sont souvent en première ligne dans la lutte pour garantir des approches et des réponses fondées sur les droits et l’égalité de genre face aux menaces qui pèsent sur nos forêts et notre environnement. L’emprise du capitalisme, des entreprises et du patriarcat sur la politique climatique signifie qu’à maintes reprises, de fausses solutions sont imposées à nos communautés et à nos forêts, avec de graves conséquences négatives, en particulier pour les femmes dans toute leur diversité.

De fait, une Journée internationale des forêts peut sembler un peu étrange pour les millions de personnes qui vivent dans et autour des forêts, dans des régions du monde où il n’existe pas de fausse division entre les humains et la nature. Pour ces communautés, les forêts ne sont pas quelque chose que l’on honore une fois par an : elles doivent être traitées avec soin et protégées tous les jours, car elles sont vitales pour la santé de la planète et de tous les êtres vivants.

Elles savent que ces écosystèmes sont vitaux pour la santé de la planète et de tous les êtres vivants.

Aujourd’hui, nous vous invitons à découvrir l’histoire d’un groupe membre de GFC, Fundaexpresión, qui œuvre en faveur d’une protection des forêts fondée sur les droits et qui apporte de vraies solutions à la crise du climat et de la biodiversité.

 

Réserve communautaire et paysanne Los Maklenkes, Selva Andina Floridablanca – Santander, Colombie. Photo : Fundaexpresión.

Fundaexpresión est une organisation culturelle et environnementale colombienne dont la mission est de servir la communauté et d’améliorer les conditions de vie de la population au moyen de processus d’organisation sociale, de la création d’économies alternatives et de la préservation du patrimoine culturel et environnemental. Elle développe des programmes de recherche sociale, environnementale et culturelle avec la participation active des communautés locales, des artistes, des femmes, des jeunes et des enfants, qui visent à renforcer les capacités d’autogestion des groupes locaux.

Nous reproduisons ci-dessous l’entretien que nous avons réalisé avec Fundaexpresión, qui a été édité pour plus de clarté.

Pourriez-vous décrire le travail de votre organisation en relation avec les forêts?

Fundaexpresión fait partie du Collectif des réserves paysannes et communautaires de Santander, dans le nord-est de la Colombie. Ce collectif a promu les réserves en tant qu’espaces de vie, de conservation communautaire, de culture et d’identité, dans des zones où les forêts andines subsistent encore avec difficulté. Les groupes du collectif ont encouragé la restauration écologique de zones dégradées, qui avaient été touchées par la déforestation ou par des monocultures.

Nous encourageons également les systèmes agroforestiers, dans lesquels les forêts et les jungles sont les principales sources d’apprentissage, par le biais de l’éducation populaire. Les forêts et les jungles sont également fondamentales pour les économies locales, en particulier grâce à la plantation et à la récolte de fruits. Le bois de chauffage, s’il est bien utilisé lors de l’élagage des arbres, peut fournir de l’énergie pour l’alimentation des familles qui vivent dans ces zones et les protègent.

Cette année, le thème de la Journée internationale des forêts est « Forêts et santé ». Qu’est-ce que cela signifie pour vous ?

Les forêts sont indispensables à la santé physique, culturelle, spirituelle et matérielle des peuples. Elles signifient beaucoup, car il est impossible d’envisager la vie sans les forêts.  Elles permettent la survie des êtres humains et non humains, et sont vitales pour que l’air, l’oxygène, l’eau et les plantes puissent nous apporter leur médecine dans toute leur essence et leur permanence. Les forêts procurent la paix, la tranquillité, la joie, le bien-être, tout un monde de possibilités pour se réconcilier avec la nature, et elles sont au fondement des connaissance et des savoirs des communautés pour le buen vivir (bien vivre).

Quelles sont les relations spécifiques entre les forêts et la santé, d’une part, et les femmes, les Peuples Autochtones, les paysans et paysannes et autres groupes, d’autre part?

Les forêts représentent la santé pour les femmes, les Peuples Autochtones, les paysannes et les paysans. En respectant le droit de la nature à exister, il est possible de créer des espaces de récréation, de faire en sorte que les forêts deviennent des sources de nourriture, d’eau pure, d’insectes pollinisateurs et de plantes qui répondent aux besoins des populations. Ce sont principalement les groupes de femmes, les Peuples Autochtones, les paysannes et les paysans qui ont maintenu l’équilibre des forêts, à travers la conservation des semences et leurs connaissances des plantes médicinales et des animaux comme source d’inspiration pour la paix avec la nature et l’harmonie, pour la défense du territoire et la subsistance de la vie.

Quels sont les défis majeurs dans votre travail? Et quelles sont vos plus grandes victoires?

Pour nous, le plus grand défi, c’est de constater, jour après jour, toutes les tentatives de déforestation, d’utilisation des terres pour d’autres usages purement commerciaux et de changement d’affectation des terres pour des mégaprojets miniers, agro-industriels, routiers et autoroutiers, qui détruisent et fragmentent les forêts. Par ailleurs, le fait de proposer une forme de conservation communautaire va à contre-courant, car cela s’oppose à l’idée de considérer la nature comme un simple service environnemental, comme le présentent les modèles de conservation que l’on nous impose et qui sont conçus sans les communautés qui protègent et conservent les forêts depuis toujours.

Notre plus grande réussite est d’avoir pu nous rassembler avec différentes associations paysannes pour conserver nos territoires, et notamment les forêts, de manière communautaire, et d’avoir pu nous organiser de façon articulée pendant plus de 20 ans pour la déclaration des réserves, qui sont un fondement réel et symbolique, doté d’une identité propre, qui vient renforcer la conservation communautaire.

Qu’est-ce qui vous inspire et vous apporte de l’espoir?

An anteater hanging upside down in a forest in Colombia

Tamanoir dans l’espace de vie pour la faune de Reserva Campesina Alma-Matanza, Santander, Colombie

Ce qui nous inspire et nous donne de l’espoir, c’est de voir comment les petites filles, les petits garçons, les femmes, les anciennes et les anciens rêvent de déclarer des réserves pour leur propre vie, pour les générations futures, et pour donner aux êtres non-humains la même possibilité de vivre : à l’eau, aux insectes, aux oiseaux, aux reptiles, aux mammifères, aux arbres, à tous les êtres qui, aussi petits soient-ils, méritent d’exister.

Cela nous donne l’espoir de savoir que les réserves sont des lieux de connaissance, des lieux qui promeuvent la paix avec la nature, où nous pouvons non seulement faire la paix avec les groupes armés en Colombie, mais aussi apporter la paix aux espaces de vie que sont les forêts, et en particulier les forêts andines.

Nous accueillons avec une joie immense les échanges que nous avons organisés entre les paysannes, les paysans, les populations autochtones et d’autres groupes locaux, pour voir dans les forêts des espaces vitaux pour l’éducation populaire.

Quel est le rôle des Peuples Autochtones, des femmes et des communautés locales dans la protection de nos forêts ?

Les Peuples Autochtones, les femmes et les communautés locales sont les gardiennes et les gardiens de nos forêts, ce sont eux qui ont permis aux forêts de perdurer dans l’espace et dans le temps. Ce sont eux qui contribuent à contrebalancer la crise climatique, tout en protégeant la biodiversité et les ressources alimentaires.

Comment les femmes des communautés avec lesquelles vous travaillez accèdent-elles au pouvoir de décision et au contrôle des ressources ?

Les femmes ont acquis une grande force dans la conservation des semences, de l’eau, de la souveraineté alimentaire et des économies locales. Toutefois, il faut souligner que les inégalités de genre persistent et que de nombreuses femmes sont confrontées à des difficultés en ce qui concerne le pouvoir de décision et le contrôle des ressources qui permettent d’assurer leur subsistance et font partie de leurs économies familiales.

Les femmes et les hommes peuvent-ils posséder des terres dans les mêmes conditions ? Quelle est la situation des femmes dans la réforme agraire et la redistribution de terres qui se déroulent actuellement en Colombie ?

En réalité, les femmes et les hommes ne sont pas confrontés aux mêmes situations, les femmes sont moins bien loties sur le plan économique et en ce qui concerne l’accès à la terre. En ce moment, la proposition est que les femmes bénéficient d’un meilleur accès à la terre. On voit aussi la promotion d’une réforme agraire qui respecte les droits des paysannes et des paysans.

Quels sont les plus grands défis auxquels sont confrontées les communautés locales avec lesquelles vous travaillez, en particulier les femmes ?

Les défis auxquels sont confrontées les communautés locales sont l’homogénéisation des modes de vie, c’est-à-dire la prétendue « modernisation » et l’introduction de toutes les populations dans la consommation de masse, ainsi que le développement de projets néfastes de déprédation des forêts.

En ce qui concerne les femmes, le plus grand défi est de vaincre le système patriarcal, qui donne la priorité à la voix et aux décisions des hommes, une situation qui est répandue dans nos territoires, tout comme dans l’ensemble de notre pays.

Pouvez-vous nous parler d’un projet lié aux forêts dont vous vous sentez fière?

Women in a market in Colombia

La conservación comunitaria de bosques apoya la diversificación de semillas y las economías locales – Barrio La Joya Bucaramanga

Notre plus grande fierté est de savoir que nous avons contribué à apporter de vraies solutions à la crise climatique, grâce à la conservation communautaire. Bien qu’il s’agisse également d’un défi de taille, nous sommes fiers de nous maintenir dans le temps, et d’avoir construit des relations qui nous permettent d’être enracinés dans le territoire.

Nous avons plusieurs projets liés aux forêts. Nous sommes fiers car, dans nos réserves, dans un pays comme la Colombie, où l’on parle du déplacement interne des communautés, nous avons également constaté le déplacement des animaux et nous avons pu l’empêcher. Il y a des cas emblématiques, comme celui du paresseux ou des singes hurleurs, de la flore et de la faune en général, et nous sommes fiers qu’elles puissent avoir la possibilité d’être et d’exister. Nous célébrons le respect de ces animaux, et le fait de pouvoir témoigner de leur présence grâce au système de suivi communautaire de la biodiversité. Des liens d’affection avec la nature se sont tissés, en particulier chez les petites filles, les petits garçons et les jeunes.

De même, la conservation communautaire nous a aidés à montrer que la pollinisation est possible, avec un groupe de jeunes femmes qui se sont lancées dans l’apiculture, ce qui a transformé leur vie et revitalisé leurs moyens de subsistance économiques.

Dans le cadre du suivi de la biodiversité, ce sont les jeunes, les petites filles et les petits garçons qui, par le biais de l’éducation populaire, permettent à leurs familles de partager leurs espoirs et de réaliser que leurs territoires regorgent de richesses dont ils peuvent être fiers, et grâce auxquelles ils peuvent construire une vie digne, en améliorant leurs conditions de vie, qui dépendent des réserves.

Image principale : Atelier de suivi de la biodiversité réalisé avec des enfants dans la Selva Alto Andina – Suratá, Santander, Colombie.

 

Traduction de Gaëlle Le Gauyer

21 mars, 2023
Posted in Supporting Community Conservation, [:en]1Campaigns[:], Justice de genre et forêts, Forêts et Changement Climatique