Utiliser les droits électoraux pour négocier les droits des communautés forestières
Souparna Lahiri*
Alors qu’il ne reste qu’à peine une dizaine de jours pour se rendre aux élections législatives, les villageois des zones forestières au pied de l’Himalaya, Terai et Duars de l’Etat indien du Bengal occidental, ont créé un certain émoi dans un climat politique très lourd. Environ 250.000 habitants vivant dans plus de 250 villages forestiers ont été sollicités pour presser le bouton NOTA (Vote en blanc) le jour de l’élection afin de protester et dénoncer le rôle des grands partis politiques dans la non application de la Loi historique sur les droits forestiers octroyant et définissant les droits des villageois de ces régions forestières sur leurs terres et ressources communautaires.
Le système électoral indien a introduit pour la première fois le concept de vote en blanc (NOTA) en 2013 pour les urnes électroniques où, en plus d’indiquer le nom et les symboles des candidats des divers partis politiques , figure un bouton NOTA qui permet aux électeurs qui le désirent de ne pas voter en faveur de candidats représentant des partis politiques.
La Loi sur la reconnaissance des droits forestiers, votée par le parlement indien en décembre 2006 et promulguée en janvier 2008, reconnaît les droits des habitants des forêts sur leurs terres et les ressources communautaires. La Loi contient des dispositions spécifiques octroyant et définissant leurs droits visant à annuler la bévue historique perpétrée lors du régime colonial britannique lorsqu’on supprima les droits des habitants des forêts et que l’Etat s’appropria des ressources forestières.
Les villages forestiers et les communautés y résidant font historiquement partie de l’enclave de la gestion forestière coloniale ayant été popularisée et appliquée par Dietrich Brandis, l’ingénieur des eaux et forêts allemand qui fut inspecteur général des forêts lors du Gouvernement colonial.
Selon Lal Singh Bhujel, responsable de l’Uttar Banga Bon-Jan Shramajibi Manch (Forum des habitants des forêts et ouvriers forestiers du Nord Bengale), fer de lance du mouvement pour les droits des villageois forestiers avec l’Organisation des habitants des forêts de l’Himalaya, « Depuis 2009, nous nous battons pour obtenir nos droits légitimes, nos droits constitutionnels, or les différents gouvernements successifs n’ont pas pris la peine de respecter leurs engagements. A plusieurs reprises, nous avons abordé la question avant la tenue des élections législatives de l’Etat en 2011, et les élections parlementaires fédérales de l’Inde en 2014. Tous les partis politiques nous ont assuré de la traiter mais rien ne s’est passé par la suite. C’est pourquoi, cette fois-ci, nous avons décidé d’utiliser nos votes comme moyen de protestation. Nos gens vont donc dédaigner les partis politiques et voter NOTA. » a ajouté Lal Singh.
Avec plus de 150.000 votants des villages forestiers, distribués dans 14 circonscriptions, un grand nombre de votes nuls, ou NOTA, peut changer la politique électorale du Nord Bengale et c’est pourquoi les partis politiques se sentent menacés déclare Soumitra Ghosh, un militant social important et réalisateur de documentaires.
“Il s’agit de nos forêts. Nos familles ont pendant des générations régénéré et nourri les forêts. Nous étions des travailleurs asservis, n’ayant jamais touché une roupie, mais avons quand même protégé et conservé notre forêt. Les partis politiques et le département des forêts se sont mis d’accord pour nous déposséder de nos droits sur la forêt. Nous avons été harcelés, arrêtés et battus pour avoir institué notre Gram Sabha (conseil de village) comme la Loi le prévoit et exerçant nos droits ”, déclare visiblement en colère Sunder Singh Rava, un jeune chef tribal du village forestier Kurmai dans le secteur de Chilapata.[1]
En attendant, alors que le jour des élections approche, la campagne pour le NOTA gagne du terrain avec de multiples réunions dans les villages et des marches à travers la région. Des affiches demandant aux villageois de voter NOTA et d’exiger l’application de la Loi sur les droits forestiers ont été collées et des tracts sont distribués de porte à porte.
Une campagne électorale parallèle des communautés forestières dans le Nord Bengale pour obtenir leurs droits est en train de provoquer une véritable tempête. Dans un quotidien local on pouvait lire le titre retentissant suivant “Les Terai et Duars tremblent de colère avec les NOTA”.
[1] Les habitants des forêts de Chilapata participent actuellement à une initiative mondiale, facilitée par la Coalition mondiale des forêts (GFC), visant à évaluer la résilience de conservation des communautés.
* Souparna Lahiri est associé à les Forum Inde ou mouvements de la forêt (AIFFM) et La Coalition Mondiale des Forêts (CMF)