Dernières nouvelles de Bruxelles : les débats sur l’utilisation des terres et la bioénergie s’emportent.
Dernières nouvelles de Bruxelles : les débats sur l’utilisation des terres et la bioénergie s’emportent.
A la fin de l’année dernière, après l’adoption d’un accord climatique vraisemblablement historique, le monde a lancé un regard prometteur sur Paris. L’objectif donné de limiter la hausse globale des températures moyennes à 2°C ou même 1.5°C est considéré par beaucoup comme une victoire ; mais bien peu a été énoncé quant à la manière d’atteindre ce but. A y regarder de plus près, l’évidence qu’il n’y ait qu’une faible chance de remplir l’objectif devient nette. Des études récentes montrent que l’implémentation des Contributions Nationales (INDCs) à la réduction des émissions de gaz à effet de serre conduirait à une hausse de 2.7 à 3.7°C des températures moyennes globales, et non à celle de 1.5°C souhaitée. De plus, certaines des « solutions pour le climat » proposées s’accompagnent d’écueils majeurs. Les études employées dans le rapport du Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat (GIEC) par exemple, prennent en compte les scenarii d’émissions négatives, de technologies à haut risque (i.e. BECCS) et des vastes changements dans l’utilisation des terres (i.e. pour des monocultures).
L’année passée, l’Union Européenne a annoncé ses objectifs climatiques et énergétiques, lesquels constituent aussi la base de leur « Contribution Nationale » (INDC). Parmi les objectifs visés jusqu’en 2030, on retrouve celui d’une réduction de 40% des émissions de gaz à effet de serre, ainsi que celui d’une part d’énergies renouvelables d’au moins 27%. Afin d’atteindre leur but, l’utilisation des sols et la bioénergie ont été placés en tête de liste du programme de Bruxelles. Les prochaines décisions sur ces sujets détermineront la voie que prendra l’Union Européenne après 2020, et auront de fait des incidences majeures sur la question de savoir si l’accord de Paris conduira à un parcours véritablement durable ou se consumera en air chaud.
Le secteur de l’utilisation des terres (LULUCF – Utilisation des terres, Changements d’affectation des sols et Foresterie) est d’une importance notoire dans le cas présent. Les incertitudes dans le contrôle et le signalement des émissions issues de ce secteur demeurent extrêmement élevées. Son caractère complexe et spécifique (link) l’a amené à obtenir un statut spécial dans la Convention Cadre de la CCNUCC, de sorte que ses incidences sur le climat ne peuvent être aisément utilisées pour compenser les émissions issues des combustibles fossiles et d’autres secteurs. Cependant, cela pourrait changer sous peu. En regardant les Contributions Nationales des états (INDCs) pour l’atténuation des émissions de gaz à effet de serre, inscrites dans l’Accord sur le Climat de Paris, il apparaît clairement que de nombreux pays considèrent (au moins) exploiter le potentiel du secteur pour atteindre leurs objectifs volontaires en matière de réduction de gaz à effet de serre. Du fait de leurs vastes étendues de forêts et de leurs activités d’exploitation forestière, des pays comme le Brésil, l’Indonésie ou la Russie sont à même d’atteindre pleinement, ou au moins pour une grande part, les objectifs climatiques qu’ils se sont donnés rien qu’en réduisant leurs émissions provenant de ce secteur. L’image 1 présente à quel niveau le secteur de l’utilisation des terres contribue aux émissions de gaz à effet de serre, et présente aussi des scenarii futurs d’après les INDCs. La tendance décroissante observée les 20 dernières années vient en fait essentiellement de la réduction des activités de déforestation du Brésil, qui était rampante jusqu’il y a quelques années. Cela prend également en compte le fait que la transformation de forêts en plantations n’est pas considérée comme de la déforestation. Des faits comme celui-ci indiquent clairement que la potentielle contribution de ce secteur ne doit pas être sous-estimée. Au total, l’atténuation des contributions du secteur de l’utilisation des terres, des changements d’affectation des sols et de la foresterie (LULUCF), relativement à l’ensemble des réductions des émissions, s’élève entre 20 et 25% !
Image1 : Tendances globales des émissions et réductions du secteur de l’utilisation des terres, des changements d’affectation des sols et de la foresterie (LULUCF) ; et scénarii futurs analysés.
Source : Grasse, G. & Denteler, F. 2015
Dans le cas de l’Union Européenne, la potentielle contribution de ce secteur est bien moindre. Dans la mesure où il existe peu d’activités de déforestation (en tout cas pas d’après la définition considérant les plantations comme des forêts) dans les pays de l’UE, le potentiel d’atténuation des émissions de gaz à effet de serre de ce secteur est plutôt limité. Bien que demeure une pression à inclure le secteur de l’utilisation des terres (LULUCF) dans l’ensemble de la Convention Cadre en rehaussant son statut, il apparaît de plus en plus évident que d’autres solutions sont nécessaires pour que l’Union Européenne atteigne ses objectifs climatiques. Il semblerait que l’Union Européenne mise ses chances sur la bioénergie. L’énergie issue de la biomasse est malencontreusement vue comme une énergie renouvelable et par conséquent, comptée comme une source énergétique neutre en carbone. La bioénergie représente les deux tiers des énergies renouvelables totales déjà en usage dans l’Union Européenne. Son gros potentiel, engageant des coûts d’investissement et d’opérationnalisation relativement faibles (majoritairement du fait des subventions), a conduit ces dernières années à une demande croissante de bioénergie au sein de l’UE. Cependant, la bioénergie de grande échelle n’est ni durable ni renouvelable. La biomasse ne peut se régénérer aussi vite qu’elle est consumée ; et pourtant, c’est une donnée nécessaire à la définition d’une ‘énergie renouvelable’. Pire encore, les émissions de gaz carboniques émanant de la combustion de la biomasse pour des fins énergétique, sont souvent plus importantes que les émissions issues des combustibles fossiles que la biomasse est justement sensée remplacer. Les politiques bioénergétiques de l’Union Européenne et la demande de biomasse qui en résulte a généré une pression colossale sur les terres. Les activités d’exploitation forestière et de boisement de tout le globe fournissent d’énormes centrales à biomasse en granules de bois, matière puisée en partie dans des forêts centenaires. En plus de compromettre l’intégrité de l’environnement, cela produit des effets dévastateurs sur les femmes, les communautés locales et les populations autochtones. La pression grandissante sur les terres donne lieu à la perte des ressources alimentaires primaires et des moyens de subsistance des populations locales, ainsi qu’à une hausse des prix des denrées qui frappe en premier lieu les pauvres et les plus vulnérables. Dans un rapport publié à Paris, la Coalition Mondiale des Forêts a expliqué quelques-uns des grands ‘Biomythes’ circulant dans les débats sur la bioénergie ; et avec 115 autres organisations de la société civile, elle a lancé une pétition pour préserver la biomasse de la Directive sur les Energies Renouvelables (RED) de l’UE.
Les décisions à venir concernant l’utilisation des terres et les politiques sur la bioénergie donnent lieu à des efforts lobbyistes grandissants à Bruxelles. La Commission Européenne planifie des consultations publiques, des rendez-vous avec les actionnaires et des évaluations des répercussions environnementales, avant que des décisions ne soient prises à la fin de cette année et au début de la prochaine. Cela étant, il ne semble pas pour l’instant que la Commission prenne en considération des problèmes cruciaux tels que les retentissements sociaux d’une bioénergie de grande échelle, avec la pression foncière qu’elle implique. Différents Etats-Membres et groupes de lobby commencent à faire pression sur l’UE, autant pour inclure le secteur de l’utilisation des terres, des changements d’affectation des sols et de la foresterie (LULUCF) dans l’ensemble de la Convention Cadre, que pour faciliter l’encadrement politique de l’usage de bioénergie de grande échelle. Dans les secteurs du transport et du chauffage en particulier, la bioénergie a un fort potentiel pour se substituer aux combustibles fossiles. La directive de Changement Indirect d’Affectation des Terres (ILUC) de l’UE adoptée l’année passée, qui inclue des sous-objectifs sur des biocombustibles avancés virtuels et une maigre limite de 7% des biocarburants issus des terres agricoles, subit de plus en plus de pression. Tandis que les Etats-Membres proposent leurs propres objectifs pour les biocarburants, une définition claire de ce que sont les biocarburants dits ‘avancés’ fait défaut.
Les décisions à venir sur l’utilisation des sols et sur la bioénergie auront des incidences majeures sur nos chemins futurs. Afin de garantir une intégrité environnementale et sociale qui mène à une voie véritablement durable après 2020, ces décisions devraient être prises avec prudence. La bioénergie doit être retirée de la Directive sur les Energies Renouvelables de l’Union Européenne où le terme ‘durable’ est employé à tort, en facilitant un développement dévastateur mettant feu à nos forêts ou les transformant en plantations. Enfin, la frauduleuse comptabilité du secteur de l’utilisation des terres, des changements d’affectation des sols et de la foresterie (LULUCF) ne devrait jamais être incluse dans les politiques climatiques nationales.