Les questions de conflits, de paix et de résolution au cœur du débat lors de la 15ème session de l’Instance permanente des Nations Unies sur les questions autochtones
Par Jeanette Sequeira et Mrinalini Rai*
La quinzième session de l’Instance permanente sur les questions autochtones [1] s’est tenue du 9 au 20 mai au siège des Nations Unies à New York. Un grand nombre d’organisations de peuples autochtones, de peuples autochtones, d’Etats membres, d’agences des Nations Unies ou autres et d’organisations non gouvernementales y ont participé [2].
Lors de la cérémonie d’ouverture, le Secrétaire général des Nations Unies, M. Ban Ki-moon, a annoncé par vidéoconférence le lancement d’un plan d’action à l’échelle du système des Nations Unies [3] pour la pleine réalisation des droits des peuples autochtones. Il s’agit d’un élément important, puisque ce Plan d’action à l’échelle du système figurait parmi les recommandations du document final de la Conférence mondiale sur les peuples autochtones [4], qui appelait les Nations Unies à adopter une approche cohérente pour atteindre les objectifs de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA) (A/RES/69/2, par. 311). Il s’agit d’un plan en six points traitant de questions essentielles, notamment la mise en œuvre de la DNUDPA au niveau national, la promotion de la DNUDPA et la réalisation des droits des peuples autochtones dans la mise en œuvre et la révision du Programme de développement durable à l’horizon 2030, entre autres.
Cette année, la quinzième session s’est tenue sur le thème « Les peuples autochtones : conflits, paix et résolution ». Cette tribune a permis aux peuples autochtones de parler des effroyables et funestes conflits qui les touchent partout dans le monde, notamment la militarisation de leurs territoires, l’oppression violente et la confiscation de leurs terres. De nombreux peuples autochtones ont évoqué être confrontés à des conflits liés à la terre et aux ressources naturelles, en particulier dans les cas de méga-projets surélevés, comme les projets de barrages et d’explorations minières promus par les gouvernements et le secteur privé. Ces projets n’ont que faire du respect, de la promotion et de la protection des peuples autochtones, y compris leur consentement préalable, libre et éclairé. De nombreux peuples autochtones et membres de l’Instance permanente ont fait part de leurs préoccupations quant à la détresse des autochtones impliqués dans la défense des droits humains, lesquels sont victimes d’intimidation, de harcèlement et de violences se soldant bien souvent par la mort. L’Instance permanente a exhorté la Commission inter-américaine des droits de l’homme à enquêter sur l’assassinat de Berta Caceres au Honduras et a enjoint le gouvernement mexicain à élucider la disparition des 43 jeunes enseignants stagiaires à Guerrero, au Mexique.
Les Etats membres ont été instamment et ardemment priés de reconnaître et mettre en œuvre pleinement la DNUDPA ainsi que les recommandations formulées dans le document final de la Conférence mondiale sur les peuples autochtones. Les participants ont à plusieurs reprises appelé à agir, notamment sur les questions du droit à la vie, à la paix et à la sécurité ainsi qu’à l’auto-détermination des peuples autochtones. D’autres sujets capitaux ont été évoqués, notamment la prévention des suicides chez les jeunes autochtones, la préservation de l’héritage culturel et des langues autochtones ainsi qu’une participation accrue des peuples autochtones dans les organes et processus des Nations Unies traitant de questions qui les touchent. En ce qui concerne la suite des travaux de l’Instance permanente, il a été recommandé que cette dernière trouve des solutions pour garantir la mise en œuvre de ses recommandations par ses Etats membres et autres partenaires.
Tout au long de la session de l’Instance permanente, les peuples autochtones ont en outre organisé de nombreuses initiatives et manifestations parallèles intéressantes. Les femmes autochtones sont intervenues à plusieurs reprises pour souligner la nécessité de lutter contre la violence et les discriminations à l’égard des femmes et filles autochtones et de reconnaître les spécificités de leurs rôles et ambitions en ce qui concerne la vie en communauté, la conservation de l’environnement, la résolution de conflits et la consolidation de la paix. La Coalition mondiale des forêts a, elle aussi, organisé un événement parallèle sur les conflits liés aux terres et aux ressources et sur la résilience de la conservation communautaire et les aires et territoires préservés par les peuples autochtones et les communautés locales (APAC, ou ICCA en anglais). Lors de cet événement, les intervenants ont échangé sur les conflits destructeurs liés aux terres et aux ressources auxquels sont confrontées les communautés en Malaisie, au Kenya et en Colombie. Pour lutter contre ce phénomène, ils ont évoqué la résilience et les initiatives communautaires, et plus particulièrement les initiatives sur la résilience de la conservation communautaire (IRCC) au sein de leurs propres communautés.
Des rebondissements intéressants ont par ailleurs été constatés du côté des Etats membres. Ainsi, le Canada, qui fut l’un des quatre pays à s’opposer à la DNUDPA, est devenu, sous la houlette du nouveau Premier ministre Justin Trudeau, un fervent défenseur de cette dernière. Ce pays a d’ailleurs fait part de son intention d’inscrire dans sa constitution l’obligation de respecter chacun des principes de la DNUDPA. Ce nouveau partenaire qu’est le gouvernement canadien envisage, parmi d’autres projets, l’ouverture d’une enquête sur les assassinats de femmes autochtones et la création d’une commission vérité et réconciliation.
Les recommandations formulées par les peuples autochtones et les délégués s’échelonnent du niveau communautaire jusqu’au niveau de politique internationale, en passant par les échelons nationaux et régionaux. De nombreux peuples autochtones ont appelé leurs propres Etats membres à reconnaître et mettre en œuvre les droits inscrits dans la DNUDPA, en particulier les droits fonciers. Au niveau international, de nombreux appels ont été lancés en faveur d’une participation accrue des peuples autochtones dans les organes des Nations Unies. Ce fut là l’une des questions clé ; en effet, de nombreux participants, dont plusieurs Etats membres, ont publié des communiqués prônant de renforcer les moyens de participation des peuples autochtones. Une proposition suggérait de conférer aux peuples autochtones le statut d’observateur permanent en tant que peuple plutôt qu’organisations non-gouvernementales uniquement. Il a également été mentionné la nécessité d’accroître les financements pour permettre aux peuples autochtones, notamment les femmes, les jeunes et les autochtones handicapés, de participer à l’Instance permanente sur les questions autochtones et à d’autres instances politiques des Nations Unies. De nombreux peuples autochtones ont critiqué la difficulté pour eux d’accéder à l’Instance permanente et à d’autres forums politiques des Nations Unies.
Cet événement a joué le rôle – nécessaire – de tribune interactive, permettant ainsi aux peuples autochtones de partager leurs revendications et recommandations, sans pour autant répondre pleinement aux attentes de ces derniers. Beaucoup ont ainsi rappelé que la participation des peuples autochtones au sein de l’Instance permanente reste limitée, et que seule une poignée d’experts est en mesure de participer et de rencontrer les Etats membres. Il convient donc d’élargir et de multiplier les formes de participation au sein de l’Instance permanente et d’autres espaces des Nations Unies, y compris dans la révision et le suivi du Programme de développement durable à l’horizon 2030, au sein du Forum politique de haut niveau, par exemple. Les participants ont en outre recommandé aux Etats membres et aux agences des Nations Unies de diffuser largement les Objectifs de développement durable auprès des peuples autochtones en ayant recours à des outils pédagogiques adaptés d’un point de vue culturel et dans les langues autochtones. L’Instance permanente s’est par ailleurs félicitée de l’intention de la Commission de la condition de la femme de faire de l’autonomisation des femmes autochtones un des thèmes clés de sa 61ème session en 2017.
Lors de la séance de clôture, l’Instance permanente a soumis au Conseil économique et social des Nations Unies trois projets de décisions (contenus dans le document E/C.19/2016/l.8) [5] sur la suite de ses travaux. La première décision porte sur l’organisation, sur trois jours, d’une réunion d’un groupe d’experts internationaux sur le thème : « Mise en œuvre de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones : le rôle de l’Instance permanente sur les questions autochtones et d’autres mécanismes spécifiques aux autochtones ». Le deuxième projet de décision appelle le Conseil économique et social à décider que la seizième session de l’Instance permanente sur les questions autochtones se tiendra au siège des Nations Unies du 24 avril au 5 mai 2017. Enfin, la troisième décision demande au Conseil économique et social de prendre acte du rapport de l’Instance permanente lors de sa quinzième session et d’adopter un ordre du jour provisoire pour la session suivante, qui soit axé sur l’autonomisation des femmes et des jeunes autochtones.
* Traduit de l’anglais par Iris Borianne
Notes:
[1] L’Instance permanente des Nations Unies sur les questions autochtones est un organe consultatif du Conseil économique et social (ECOSOC), chargé de fournir des conseils d’experts auprès d’ECOSOC et des programmes, fonds et agences des Nations Unies travaillant sur les questions autochtones. Son mandat prévoit en outre de « favoriser le respect et la pleine application de la Déclaration et à veiller à en assurer l’efficacité ».
[2] https://www.un.org/development/desa/indigenouspeoples/unpfii-sessions-2/unpfii-fifteenth-session.html
[3] http://www.un.org/esa/socdev/unpfii/documents/2016/Docs-updates/SWAP_Indigenous_Peoples_WEB.pdf
[4] http://www.un.org/en/ga/69/meetings/indigenous/#&panel1-1
[5] https://www.un.org/development/desa/indigenouspeoples/wp-content/uploads/sites/19/2016/05/L8RevisedbyRapp.pdf